Magazine Le Mensuel

Nº 3072 du vendredi 2 décembre 2016

Point final

Du Pacte national et de la Formule

Le Pacte national est l’acte de naissance du Liban indépendant et détermine la philosophie politique du système. Il constitue une coutume au sens juridique du terme et revêt, donc, tant une valeur éthique que juridique. Pourtant, une mésentente profonde subsiste sur son sens et son contenu. Nombreux sont ceux qui pensent que les fondements de l’indépendance ne reposent que sur l’entente entre les communautés, quant à la répartition des fonctions publiques, alors que cet accord porte, plutôt, sur l’identité de l’Etat: le Liban est un pays arabe indépendant. Proche et solidaire des pays arabes, mais indépendant; ouvert sur le monde, mais fermé à l’impérialisme. Tel est le consensus national exposé par Riad el-Solh dans la Déclaration ministérielle d’octobre 1943, dont de nombreux passages demeurent d’une pertinence frappante 1.
Une vision qui revêt une double négation, mais comporte aussi plusieurs affirmations: la coexistence au sein d’une identité nationale à laquelle tous adhèrent volontairement; l’appartenance à l’arabité et la volonté de coopération avec les pays arabes; le maintien de notre ouverture naturelle à ce qui est «assimilable et utile» dans «la civilisation occidentale». Aussi, tant dans les termes que dans l’esprit, la neutralité est consubstantielle au Pacte; une condition nécessaire qui impose à tous une allégeance absolue à la nation et à l’Etat.
Néanmoins, une autre interprétation s’est imposée progressivement jusqu’à devenir exclusive, réduisant le Pacte à la Formule de partage du pouvoir intercommunautaire.
Ce partage est régi par la «formule» bien antérieure au Pacte et à la Constitution de 1926. Mieux enracinée dans les mœurs et scrupuleusement appliquée, elle n’a eu de cesse de s’imposer, détournant même, au gré des circonstances, les dispositions des deux autres corpus fondateurs. Taëf n’a fait qu’accentuer cette confusion entre le Pacte et la Formule de vie en commun, deux concepts certes distincts mais complémentaires. Si le Pacte est immuable, la Formule peut évoluer et se modifier, le Pacte n’étant pas soumis à une seule traduction institutionnelle. Du reste, il n’est pas tributaire d’une seule forme de structure étatique et administrative.
Si la Formule garantit les droits des communautés, le Pacte leur impose l’obligation de se conformer à la neutralité. Toute violation de ce principe rend la Formule illégitime et inopérante, menace l’unité nationale, brise le contrat de confiance et crée des dysfonctionnements du système politique. Inversement, les atteintes à la Formule fragilisent le Pacte et délient les communautés de leur devoir de neutralité. Mais l’application de la Formule nécessite aussi l’avènement d’un Etat civil, sans lequel la gouvernance et l’Etat de droit sont illusoires. Ainsi Pacte et neutralité, Formule et Etat civil vont de pair et sont indissociables.
Pour consolider le vivre en commun, il nous faut, désormais, parvenir à un consensus, large et univoque, autour de nos constantes, afin d’instaurer une véritable identité politique et un patriotisme constitutionnel.

1 «Cette indépendance, nous la voulons effective, cette souveraineté, nous la voulons entière, de telle sorte que nous puissions régir nos destinées, comme nous l’entendons, ainsi que nous l’imposera notre intérêt national, à l’exclusion de tout autre… Nous ne voulons plus que le Liban demeure la route où passe le colonialisme vers les pays arabes. Nous et eux-mêmes le voulons, par conséquent, une patrie chère, indépendante, souveraine et libre.»  

Camille Najm
Analyste et politologue

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