Magazine Le Mensuel

Nº 3076 du vendredi 7 avril 2017

Média

Plantu au Liban: «Je ne m’empêche pas de penser librement»

«Un dessin vaut mille mots», mais c’est avec des mots que Magazine a échangé avec Plantu, célèbre dessinateur de presse dans le journal Le Monde, lors de sa visite au Liban.

«A un moment où les communautés en France se posent des questions sur le vivre-ensemble, je pense que nous sommes à la veille d’autres tragédies. Je suis aujourd’hui au Liban d’abord pour rencontrer des jeunes, dans le cadre de conférences organisées par l’Université Antonine, sur le thème de Dessins sans frontières, indique Plantu.
«Cet événement nous a permis d’échanger autour du rapport à l’image, de la liberté de créer et d’exprimer ses opinions. J’ai également assisté à la cérémonie de remise des prix du concours La Plume de Pierre lancé par la Fondation Pierre Sadek», ajoute le dessinateur.
Plantu souligne qu’il est «ici aussi pour poser des questions à tout le monde, y compris au Président de la République». «Je cherche à recueillir des conseils qui pourraient nous aider, en France, à mieux aborder ce
passage difficile de démocratie chancelante qui peut très vite basculer, vous qui avez connu plusieurs guerres civiles », confie-t-il encore à Magazine.
«Vous savez au Liban ce que c’est que de ne pas voir arriver le danger, de vivre la tragédie et d’essayer de se reconstruire au lendemain de cette dernière. Alors que nous, en France et en Europe de l’Ouest, nous continuons à nous poser des questions devant ce tsunami d’intolérance, d’islamophobie et d’antisémitisme qui frappe tout le continent», poursuit-il. Certes, les dessins de Plantu sont très controversés. Sa visite au Liban et certains de ses propos ont d’ailleurs été critiqués par certains médias et journaux de presse locaux. «Mais ce n’est pas parce qu’on est soumis parfois aux pressions ou parce qu’il y a eu des drames (comme celui de la fatwa contre les dessinateurs danois ou celui de l’assassinat des caricaturistes de Charlie Hebdo) qu’il faut s’empêcher de révéler des faits essentiels et prioritaires», assure Plantu. «L’attentat de Charlie Hebdo nous a appris qu’il ne faut rien lâcher sur l’essentiel de nos combats. Nous luttons principalement contre l’ignorance», atteste le caricaturiste.

De la liberté de penser
De son vrai nom Jean Plantureux, Plantu se revendique autant des influences graphiques du père de Tintin, Hergé, que celles de Charlie Hebdo, ou encore de grands peintres comme David et Delacroix. Sans oublier, évidemment, les conseils avisés qu’il reçoit des rédacteurs en chef.
Selon le dessinateur, tout porte à interprétation. L’essentiel est de comprendre le véritable message que le dessinateur souhaite transmettre. Les dessins de Plantu sur les bombardements de Gaza peuvent, en effet, être compris de deux manières : une insurrection contre les atteintes aux droits de l’homme ou un antisémitisme exacerbé. Plus encore, les représentations du dessinateur du Monde, relatives aux mutilations sexuelles effectuées au Soudan ne constituent pas une critique de l’islam, mais une révolte contre les atteintes aux droits des jeunes filles. Aussi, en se rebellant, à travers ses croquis, contre les viols qui ont lieu dans certaines sacristies catholiques, Plantu ne s’attaque pas à l’Eglise mais plutôt aux curés qui dérapent. A la question de savoir si l’image supprime les clivages sociaux, Plantu répond que tout dépend de la manière avec laquelle on y a recours. «Les images peuvent aider à mieux communiquer, pourvu que la personne qui les crée réfléchisse à la culture des autres», souligne-t-il. D’après lui, lire une image, cela s’apprend. Une image peut être comprise de diverses manières selon les époques, les cultures des pays, la mentalité des individus… La loi des Etats limite très souvent la liberté d’expression. Les dictatures, mais aussi certaines démocraties (la France au moment de la guerre d’Algérie par exemple) empêchent son exercice.  

Cartooning for Peace
En 2006, Plantu et Kofi Annan concrétisent leur désir commun d’organiser un grand rassemblement de dessinateurs de presse internationaux de toutes les religions: c’est la naissance de l’association Cartooning for Peace, qu’il préside. Le but de ce regroupement? «Défendre la liberté d'expression dans le monde entier, limiter les malentendus provoqués par les dessins diffusés sur la toile et essayer de comprendre comment nous devons continuer et ne rien lâcher sur nos spécificités éditoriales graphiques, tout en pensant à la culture des autres», explique Plantu. Le dessinateur précise qu’il ne faut jamais oublier qu’Internet est un outil indispensable, mais qu’il faut lui laisser son statut d’«instrument». «Tout un travail est désormais à entreprendre par les journalistes, les dessinateurs et les pédagogues, pour tenter de reprendre tout ce qui a été mal pensé dernièrement», affirme-t-il encore.

En chiffres
1971
Direction Bruxelles pour suivre les cours de dessins de l’école Saint-Luc.

1972
Plantu entre au journal Le Monde, avec un premier dessin consacré à la guerre du Vietnam.

1985
Le directeur de la publication du Monde, André Fontaine, impose la quotidienneté des dessins de Plantu en Une pour «rendre sa place à la tradition française des dessins politiques».

43
Cela fait 43 ans que Plantu dessine pour Le Monde.

1991
Obtention du Prix du document rare, au Festival du Scoop d’Angers pour avoir fait apposer sur le même dessin les signatures de Yasser Arafat et de Shimon Pérès.

Natasha Metni

 

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