Par son timing et son caractère exceptionnel, la visite éclair, mercredi, du secrétaire d’Etat américain à Beyrouth signe l’attachement de Washington à la stabilité du Liban menacée par la guerre en Syrie et à l’élection d’un nouveau président, protecteur des équilibres du pays, dans les plus brefs délais.
Après le fiasco du Printemps arabe qui a porté les islamistes au pouvoir, les Etats-Unis de Barack Obama ont repris les choses en main au Moyen-Orient. Washington travaille désormais à la stabilisation de la région. Après avoir échoué à faire tomber Bachar el-Assad, les pétromonarchies, qui ont joué la carte jihadiste, ont été mises au pas. Dans l’autre sens, la Maison-Blanche a lancé des passerelles vers la Russie et l’Iran. Les Etats-Unis ont pris acte de l’équilibre des forces en Syrie et en Irak. Pour Obama, l’homme de paix et des compromis, Moscou et Téhéran sont devenus des partenaires incontournables qui doivent être intégrés à l’effort de normalisation. La nouvelle stratégie US, parvenir à mettre l’Arabie saoudite et l’Iran autour d’une table, parrainée par l’Occident et la Russie, pour pacifier les points chauds dans la région. Sur cette liste, Beyrouth figure en troisième position, derrière Damas et Bagdad, mais la vacance du pouvoir présidentiel a visiblement rendu le dossier libanais encore plus urgent.
«Les Etats-Unis sont engagés à préserver la sécurité, la stabilité et la souveraineté du Liban, ainsi qu’à soutenir le peuple libanais. Les problèmes du monde et de la région doivent être réglés en vue de profiter des plaisirs de Beyrouth et du Liban, lequel est un pays important pour la sécurité régionale», a expliqué le secrétaire d’Etat au Grand sérail.
Aux yeux des Etats-Unis, le Liban est un petit Moyen-Orient, dont les équilibres sont aussi fragiles qu’indispensables. Noyé par les tensions sunnites-chiites et l’afflux des réfugiés syriens, le pays est perçu à Washington comme une poudrière qui ne doit pas exploser. Objectif, éviter l’ouverture d’un autre front de tensions. Cet équilibre fragile, l’absence d’un président de la République le menace. Pour sa première visite au Liban depuis sa nomination au Département d’Etat, John Kerry entre dans le dur. En rencontrant Tammam Salam et Nabih Berry, il s’est adressé à ceux qui sont désormais chargés de conduire la gestion du pays. Le secrétaire d’Etat leur transmettra un message ferme: c’est à vous qu’incombe la responsabilité d’assurer la continuité de l’Etat en attendant l’élection du prochain président.
«Nous voulons un gouvernement qui soit à l’écart de toute intervention étrangère, ainsi qu’un président fort et un chef du Parlement capable de répondre aux besoins du peuple libanais. J’ai clarifié à M. Salam que le président américain, Barack Obama, est engagé à soutenir le Liban et sa sécurité qui sont au centre de notre intérêt. Il s’agit de remplir le vide constitutionnel dans le but de permettre aux institutions d’être efficaces».
Le chef du gouvernement, lui, a sans doute expliqué que le Conseil des ministres de mardi était, justement, uniquement consacré à l’étude des mécanismes de décision, de la signature des décrets et du flou constitutionnel de l’article 62 qui stipule simplement que le gouvernement exerce les prérogatives du chef de l’Etat en cas de vacance. Sans doute a-t-il également ajouté que les partis chrétiens sont les plus réfractaires à l’idée qu’un autre exerce le pouvoir dévolu à la communauté maronite. Le président du Parlement a, de son côté, dénoncé le blocage de la Chambre. A-t-il fait remarquer que ceux qui réclament un président fort sont les mêmes qui n’assurent pas le quorum? Probablement illustrera-t-il son désarroi en parlant du projet de loi sur la grille des salaires des fonctionnaires, bloqué au Parlement parce que les partis chrétiens refusent de s’y rendre avant l’élection d’un chef de l’Etat.
Eviter les débordements
L’ambassadeur David Hale, qui s’est efforcé de rencontrer ces dernières semaines l’ensemble des leaders politiques du pays, avait déjà fait remonter ces informations. Imbroglios politiques et constitutionnels qui rendent d’autant plus urgente cette élection. Sur son agenda express, Kerry a coché une autre étape incontournable. A Bkerké, le patriarche Raï n’a été prévenu que lundi. C’est à l’archevêché maronite de Beyrouth que la rencontre aura lieu.
La position des Etats-Unis sur la question présidentielle est la même, martelée depuis plusieurs semaines. Pas d’ingérence, pas de noms, juste un appel au respect des délais constitutionnels. Cela n’aura pas suffi. Pour éviter toute confusion des genres, John Kerry a décidé de s’entretenir directement avec le chef de l’Eglise maronite. Ces dernières semaines, la diplomatie américaine et Bkerké ont développé la même approche sur la question présidentielle. Dernière convergence en date, l’étude de la possibilité de prolonger le mandat de Michel Sleiman. Peine perdue. La rencontre entre Kerry et le patriarche va dans ce sens. L’un a-t-il proposé à l’autre une feuille de route qui conduirait à l’élection d’un président? Des noms de candidats ont-ils été prononcés? «Les Etats-Unis n’ont pas de candidat à la présidence libanaise et n’apposent aucun veto à l’encontre d’un candidat ou d’un autre», a répondu le responsable américain.
Cette visite de John Kerry signe l’importance capitale du pays et donc, de sa stabilité. L’élection d’un président y participe mais au même titre, par exemple, que le règlement de la question des réfugiés syriens ou le soutien indéfectible de son pays à l’Armée libanaise. Kerry a annoncé que «les Etats-Unis accordent 290 millions de dollars comme aide humanitaire aux sociétés touchées par la crise en Syrie et celles qui accueillent les réfugiés». Son escale, quelques heures après les élections présidentielles syriennes, doit être interprétée à travers ce prisme-là. Le fait qu’il ait quitté, même pendant quelques heures, le président Obama en tournée en Europe à l’occasion des commémorations du Débarquement en Normandie, doit être considéré comme un geste fort en direction du Liban.
Visite impromptue, messages forts. S’adressant aux pays qui «soutiennent (le régime syrien du président Bachar) el-Assad», Kerry a souligné que «ce qui se passe actuellement en Syrie est une guerre menée par un régime contre son peuple», appelant ces pays, «et tout particulièrement l’Iran, la Russie et le mouvement libanais Hezbollah à adhérer à un effort légal pour mettre un terme à cette guerre».
Les Etats-Unis attendent désormais de voir l’évolution des discussions entre l’Arabie saoudite et l’Iran. A Rabié, Michel Aoun, plus impatient, l’attend aussi. En envoyant dans les prochaines semaines un émissaire à Paris auprès de Saad Hariri, le leader du CPL veut montrer au chef du Courant du futur qu’il a assez attendu. L’été approche et le 20 août, date de la convocation du collège électoral pour les élections législatives, également. Les rencontres entre Gebran Bassil et Nader Hariri ne suffisent plus. Aucune avancée concrète ne semble en résulter. Aoun attend une réponse claire et définitive. Ce n’est que sur ce front-là que l’échéance présidentielle pourrait bouger. Avec le vide s’est installée une torpeur qui rend de moins en moins visibles les intentions du Courant du futur et des autres partis musulmans. Sans le dire, le CPL a obtenu l’assurance du soutien du Hezbollah à Aoun.
Kerry est donc venu délivrer trois messages. Les Etats-Unis tiennent absolument à préserver la stabilité du Liban. Les discussions à l’échelle régionale lancées par Washington vont dans ce sens. Le pays ne doit plus revivre la parenthèse noire des débordements sécuritaires à Tripoli, la banlieue sud de Beyrouth, dans la Békaa et au Sud. Deuxième message, le prochain chef de l’Etat devra préserver les équilibres nés des accords de Taëf que John Kerry a évoqués au cours de sa rencontre avec le patriarche Raï. Sa visite à Beyrouth aura, en tout cas, rappelé la préoccupation des Occidentaux. Reste à transformer cet «attachement particulier» en initiatives concrètes susceptibles de sortir le pays de la paralysie du vide.
Julien Abi Ramia
Bassil manque Kerry
Les relations entre les ministres américain et libanais des Affaires étrangères se résument à des occasions manquées. Il y a un mois, le tout nouveau ministre avait transmis à l’ambassadeur des Etats-Unis au Liban, David Hale, une demande de rencontre avec son homologue. Mais il avait refusé sous prétexte que cette rencontre aurait pu être mal interprétée – comme un soutien à la candidature de Michel Aoun à la présidence. Deux jours avant la visite de Kerry, Hale a prévenu Bassil de la venue du premier, mais le ministre CPL lui a expliqué qu’il devait se rendre au Forum de coopération sino-arabe à Pékin mardi soir.