Cette semaine, la presse internationale s’est profondément interrogée sur la signification du comportement des milliers de Syriens installés au Liban qui se sont précipités dans les bureaux de vote pour l’élection présidentielle.
Libération
«Pour élire Bachar»
Le correspondant du quotidien français de gauche, Libération, écrit: «En organisant le scrutin anticipé de la présidentielle du 3 juin, l’ambassade de Syrie à Beyrouth a réussi une vaste opération de propagande pro-Assad».
«Regardez, tout le peuple syrien est venu voter! s’exclame Ahmad, euphorique. C’est une leçon pour les pays occidentaux qui disent qu’il n’y a pas de démocratie en Syrie». Ahmad invoque la «démocratie» mais, comme la majorité des électeurs, il ne se souvient même pas du nom des deux adversaires de Bachar el-Assad. Autour de lui, un groupe d’hommes cogite, sans plus de résultat. Ahmad reprend: «Le nom des candidats importe peu, nous sommes venus pour élire Bachar!». Comme lui, ils sont des dizaines de milliers à avoir fait le déplacement. Sans surprise, les électeurs plébiscitent donc Bachar el-Assad. «C’est le seul capable de gagner la guerre et de rétablir la sécurité. Nous sommes fatigués de cet exil. Le changement n’est plus notre priorité», estime Mahmoud. Il souhaite un retour à la Syrie d’avant. Houssam, un homme d’affaires d’Alep, abonde dans le même sens. «Avec Bachar, nous savons comment nous allons être gouvernés. L’opposition à l’étranger, ce sont des marionnettes créées par le Qatar, les Américains et les Israéliens». «Certaines personnes qui soutenaient auparavant l’opposition réalisent que le régime risque de gagner et votent pour démontrer à nouveau leur loyauté. Ils espèrent de la clémence pour leurs proches emprisonnés», raconte Youssef.
The Guardian
L’espoir des réfugiés s’amenuise
Le quotidien britannique de centre-gauche, The Guardian, présente Abou Nour, réfugié syrien au Liban, «qui n’a plus qu’une idée en tête, émigrer au Canada avec sa famille».
Avec la réélection attendue de Bachar el-Assad, la fin de la guerre qui ravage son pays relève selon lui désormais d’un «miracle». Dans son logement insalubre à Tripoli, le quadragénaire s’en remet à «Dieu tout-puissant, le seul qui puisse en finir avec cette guerre». Il se souvient avec amertume du temps des manifestations géantes contre le régime dans sa ville natale Hama au début de la révolte. «Les manifestations contre le régime étaient un miracle et cette guerre ne se terminera que par un miracle», dit Abou Nour, qui partage avec sa femme et ses cinq enfants un logement situé dans un ensemble d’immeubles achevés à la hâte. Comme beaucoup, Abou Nour n’a jamais cru que la révolte se muerait en conflit. «Il est impossible que je rentre en Syrie et ici, notre situation est de mal en pis. La seule issue est d’émigrer au Canada», soupire-t-il. Sur le front de mer, dans un camp de réfugiés informel, même son de cloche chez Abou Tareq. «Je ne retournerai pas tant que le régime est en place. Je ne reviendrai qu’avec la liberté et la démocratie». Pour Ghazia el-Kour, 42 ans, le rêve de retour reste également lointain. «Après la présidentielle, rien ne va changer. La Syrie qui était un paradis sur terre va devenir un deuxième Irak». «Comment voter? Vais-je vendre le sang de mes enfants?» Si la plupart des réfugiés interrogés à Tripoli considèrent le scrutin comme une «farce», certains s’enorgueillissent de leur loyauté à Assad. «Bachar nous ramènera la sécurité», affirme Sabah, 75 ans. D’autres, tout simplement, disent voter pour Assad par lassitude, même s’ils lui sont hostiles. «Nous voulons en finir», affirme Khaled, 48 ans.
Washington Post
Les bébés réfugiés
L’angle choisi par les correspondants du Washington Post éclaire le dossier des réfugiés syriens d’une tout autre lumière.
Les Syriennes, qui donnent la vie au Liban, devenu leur terre d’exil, imaginent mal l’avenir de leurs enfants, nés sous une tente, sans certificat de naissance délivré par leur pays si proche et si lointain. «Mon bébé a vu le jour comme réfugié et son avenir sera vraiment difficile ici», confie Oum Khaled, attentive à son nouveau-né dans une clinique ouverte en mars par Médecins sans frontières (MSF) dans la ville frontalière de Ersal. Même si son mari a trouvé du travail à Ersal, ils ont du mal à joindre les deux bouts et à offrir une vie décente à leurs quatre enfants. «Je les adore, mais parfois je les regarde et je pleure. En Syrie, j’avais une maison et un jardin où ils pouvaient jouer. Ici, je n’ai rien», confie avec tristesse cette femme qui paraît bien plus âgée que ses 25 ans.
Le Liban accueille plus d’un million de réfugiés ayant fui la guerre civile. La moitié d’entre eux sont des enfants, faisant dire à l’Onu qu’il s’agit d’une «génération perdue». La majorité des enfants ne vont pas à l’école et passent leur journée à jouer dans des conditions insalubres près de leurs habitations. Amal et son mari Amer sont partagés entre la peur et l’excitation de la prochaine naissance. «Quand je suis tombée enceinte il y a neuf mois, tout allait bien à Yabroud et il était impossible d’imaginer que nous allions devenir des réfugiés».
Daily Beast
Entre sunnites et chiites
Le site américain alternatif d’information Daily Beast s’est intéressé aux relations conflictuelles entre les deux plus grandes communautés musulmanes au Liban.
Après l’été 2013, au moment où les deux communautés se dirigeaient vers la guerre civile au Liban, plusieurs facteurs ont contribué à la désescalade. L’accord entre les Etats-Unis et la Russie sur les armes chimiques syriennes en septembre, le déploiement des FSI à Dahié, la fuite d’Ahmad el-Assir et surtout la formation du gouvernement de Tammam Salam en février dernier ont contrebalancé les attaques jihadistes contre le Liban. Mais la crise politique continue, le vide présidentiel et le dysfonctionnement total du Parlement pourraient alimenter le climat d’instabilité et empêchent la création d’un mécanisme qui pourrait prévenir une détérioration future des relations entre sunnites et chiites au Liban.
The National
La libération du Sud a bouleversé la région
Dans les colonnes du premier quotidien anglophone des Emirats arabes unis, The National, Faisal el-Yafai explique que la libération en 2000 du Liban-Sud par le Hezbollah «a fait du mal au Liban et à Israël».
Le succès du Hezbollah en 2000 aurait dû marquer le début d’une nouvelle ère politique dans les deux démocraties concernées. Le retrait était populaire à la fois en Israël et au Liban – mais les répercussions du retrait ont entraîné les deux pays vers l’extrémisme.
En Israël, le retrait de l’armée a redonné voix au discours du grand Israël porté par Ariel Sharon. Et le centriste Ehud Barak n’a pas vu que l’occupation du Liban et celle de la Palestine étaient liées. Les Palestiniens ont commencé à croire qu’eux aussi, ils pourraient déloger Israël de leurs terres. Pareille démarche a eu lieu au Liban. En 2000, le Hezbollah ressorti militairement et politiquement grandi. En a découlé une emprise tentaculaire du parti sur l’agenda politique du pays. Avec le Hezbollah au cœur du jeu interne, la politique à Beyrouth se résume désormais à des accords à court terme. Les deux pays sont désormais sous l’emprise d’ailes extrémistes, le Hezbollah au Liban et les colons en Israël.
Top Thèmes
Comme la presse libanaise, les grands titres de la presse internationale ont été abasourdis par le flux des réfugiés syriens qui se sont déplacés à l’ambassade de Syrie au Liban. L’actualité du Liban n’est, cette semaine, traitée que sous ce prisme-là. Le Figaro explique par exemple que «le président de la Banque mondiale, Jim Yong Kim, a déclaré en Arabie saoudite que le conflit en Syrie avait coûté au Liban voisin plus de 7,5 milliards de dollars jusqu’à l’été dernier». Autre occurrence dans la presse française, le fait que Mehdi Nemmouche, soupçonné d’être l’auteur de la tuerie du Musée juif de Bruxelles qui a fait quatre victimes le 24 mai dernier, ait séjourné à Tripoli pour poursuivre son jihad.
Julien Abi Ramia