Magazine Le Mensuel

Nº 2953 du vendredi 13 juin 2014

Semaine politique

Boutros Harb, ministre des Télécommunications. Un président avant les législatives

Boutros Harb, candidat «officieux» à la présidence de la République, dresse le portrait d’un «président fort», et met en garde contre une vacance à la tête de l’Etat. Pour le ministre des Télécommunications, une Assemblée constituante signifierait l’abrogation de Taëf en faveur d’un nouvel accord annulant l’équilibre entre chrétiens et musulmans.
 

Votre prédécesseur au ministère des Télécoms se plaignait des ingérences de Abdel Menhem Youssef dans le secteur des télécommunications. Est-ce toujours le cas?
Je ne suis pas au courant des plaintes de l’ancien ministre. Je sais que les deux hommes ne se sont jamais rencontrés. Le ministre n’a jamais accepté de recevoir le directeur général des Télécoms. Je ne peux pas juger des raisons de cette situation. Avec moi, tout se passe selon la loi et le règlement. Et j’en suis satisfait. C’est ce qui m’a permis de réaliser en 100 jours ce qui n’a pu être réalisé en 100 mois.

La baisse de tarifs des téléphones mobiles que vous avez initiée va-t-elle provoquer celle des recettes du Trésor?
Les recettes du Trésor vont baisser durant les six premiers mois puis une hausse importante commencera. Les rentrées augmenteront, les responsables des finances du ministère ont fait une étude méticuleuse sur le sujet. Il ne faut pas limiter ces mesures à mon ministère. Si on élargit le champ de pénétration, ceci développera rapidement tous les secteurs économiques. Les rentrées indirectes dues aux mesures que j’ai prises vont être très importantes. Il est établi que toute hausse de 10% dans les télécommunications engendre directement 1% de croissance du Produit intérieur brut (PIB). J’ai la conscience tranquille. D’ailleurs, les réserves et les critiques émises n’étaient pas basées sur des données scientifiques, mais sur des considérations politiques ou sur le fait que certains ne connaissent pas les effets de ce changement sur la croissance. Les mois qui viennent apporteront la preuve de ce que j’avance.

Dans un autre registre, êtes-vous officiellement candidat à la présidence?
Officieusement, oui je le suis, mais officiellement, je ne me porte pas candidat. Je ne peux pas empêcher les gens et les forces politiques de prendre ma position et mon rôle en considération et à me placer dans le rang des présidentiables. Mon attitude n’est pas désintéressée mais neutre. Si un accord politique se fait autour de mon nom, je déclare tout haut et fièrement que je suis prêt à assumer mes responsabilités. Si, en revanche, ça ne se présente pas, je ne le regretterai pas sur le plan personnel. Je ne suis pas demandeur mais volontaire.

Le chef des Forces libanaises, Samir Geagea, candidat officiel du 14 mars, affirme dans toutes ses déclarations politiques qu’il revient aux représentants «forts» de la communauté chrétienne de décider du profil du prochain président. Partagez-vous son avis?
Les chrétiens sont la partie la plus concernée par le choix du président. Leur avis est important et ne peut être négligé, mais le président ne sera pas celui des chrétiens. Tous les Libanais doivent être concernés. Quant à la qualification de «fort», elle n’a pas la même signification chez tous. Pour certains, cela signifie qu’il détient une force militaire ou parlementaire… à mes yeux, ce qualificatif s’applique à une personne qui sait ce qu’elle veut, qui a la capacité d’assumer ses responsabilités, qui est forte par son expérience, sa culture, sa moralité, son nationalisme, forte parce qu’elle n’a pas d’intérêt personnel familial, partisan ou confessionnel, mais celui de la nation et des citoyens. Forte par son courage de tout sacrifier pour donner aux Libanais la chance d’avoir une vie meilleure. Pour moi, c’est cela un président fort. Si le président a un bloc parlementaire sur lequel  s’appuyait, cela l’affaiblit et ne le renforce pas, parce qu’il représentera son bloc et ses intérêts face aux autres.

L’ouverture de Saad Hariri sur le Courant patriotique libre vous indispose-t-elle?
Au contraire, c’est une chose que nous souhaitions. Le dialogue entre les forces politiques est la clé de salut du pays. Les barricades dressées à cause de l’agressivité du discours politique de certains sont à la base de la dislocation de l’unité nationale, du fanatisme politique et de la coupure qui ont sévi. Notre souhait était que les forces politiques s’ouvrent les unes aux autres, ce qui était impossible du fait des accusations de corruption lancées par le groupe du général et ses alliés. L’ouverture de Michel Aoun à l’égard de Saad Hariri à l’approche de la présidentielle, parce que je tiens à préciser que c’est lui qui a pris cette initiative, est une bonne chose que je souhaite. J’espère qu’elle ne sera pas occasionnelle.

Selon des observateurs, ce rapprochement pourrait conduire à une éventuelle alliance. Cela vous dérange-t-il?
Si Michel Aoun et le 14 mars peuvent avoir les mêmes principes et les mêmes constantes démocratiques, c’est une excellente chose, mais s’entendre sur des intérêts ponctuels et s’y limiter n’est pas sain et ne peut qu’être éphémère.

La vacance à la présidence pourrait-elle conduire à une Assemblée constituante, qui mènerait à une révision des accords de Taëf?
C’est un danger que nous craignons. Cela peut mener au vide au niveau de la fonction parlementaire et gouvernementale. Le risque peut grandir si l’élection présidentielle ne se déroule pas avant les législatives. Le vide sera consacré dans les pouvoirs constitutionnels, ce qui peut conduire à l’effondrement de l’Etat.

Certains préconisent que cette conférence donnerait le tiers aux chrétiens, le tiers aux sunnites et le tiers aux chiites…
Ceci  signifie l’abrogation de Taëf en faveur d’un nouvel accord. L’équilibre entre chrétiens et musulmans sera rompu. Le rôle des chrétiens diminuera et le compte à rebours de leur rôle politique commencera.

Certains parlent d’un nouveau 7 mai du Hezbollah sous couvert des revendications sociales. Le redoutez-vous?
Je ne crois pas qu’il commettra de nouveau cette erreur. Qu’on soit de son avis ou pas, cette expérience n’était profitable ni pour lui ni pour les Libanais. Nous comptons sur les sages du parti pour éviter une situation aussi dramatique pour le pays. Gardons en tête que le Liban n’est pas un laboratoire. Le système ne peut pas servir de cobaye. Il faut revenir à la Constitution et l’appliquer. C’est là où réside la solution. Toute autre démarche peut être un pas vers la tombe.

Si la vacance à la tête de l’Etat se poursuit jusqu’en septembre, y aura-t-il une seconde prorogation du mandat de la Chambre des députés? Est-il possible que ces élections aient lieu même sans président de la République?
Nous ne devons pas envisager de façon négative ce qui peut se passer dans les mois à venir. Nous devons élire un président, qui ne doit pas accepter un renouvellement du mandat du Parlement. Le fait de faire diversion dans les élections législatives ne résout aucun problème. Des élections parlementaires ne changeraient pas la majorité actuelle sauf dans des proportions minimes, ne donnant aucune possibilité d’avoir les deux tiers pour élire un président. Nous aurions fait un pas vers la dislocation, et la responsabilité reviendra aux personnes qui auront conduit à cette situation antidémocratique.

Propos recueillis par Danièle Gergès

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