Tout récemment honorée du prix Sharjah de l’Unesco pour la culture arabe, la Fondation arabe pour l’image (FAI) n’a pas boudé son plaisir d’ouvrir les portes de sa caverne d’Ali Baba aux 600 000 clichés, au grand public les 7, 8 et 9 juin dernier dans le cadre de la Journée internationale des archives. L’occasion de se familiariser avec l’une des fondations culturelles les plus dynamiques de Beyrouth.
S’il faut lire le passé pour comprendre le présent, alors la photographie est un témoin-clé pour résoudre l’énigme. Témoignage d’un autre temps, le cliché est traité comme un roi dans les locaux de la Fondation arabe pour l’image (FAI). Bichonné, il est tout d’abord collecté, préservé et documenté. Ce traitement de faveur, il le doit à trois amoureux de l’image, les photographes Akram Zaatari, Samer Mohdad et Fouad el-Khoury. Estimant qu’il manquait un lieu consacré à la photographie arabe, les trois compères créent à Beyrouth en 1997 la FAI, avec à sa tête Zeina Arida, sa directrice emblématique depuis dix-sept ans qui vient d’ailleurs tout juste de passer la main à Rima Mokaiesh.
Collecter… mais pas seulement
Très vite après sa création, la fine équipe s’agrandit, d’autres artistes ou photographes viennent gonfler les rangs des chercheurs de clichés. Leur objectif: collecter un maximum de photographies à renfort de voyages dans les différents pays arabes et pays de diasporas, pour pouvoir les préserver et les exploiter. «Au départ, beaucoup de clichés provenaient de familles. Puis les sources se sont diversifiées, informe Rima Mokaiesh. La fondation est par exemple allée à la rencontre de photographes de studio en fin de carrière. De belles rencontres où les générations dialoguent, et dont les entrevues enregistrées sont à consulter dans nos locaux; les photographies ont toujours plus de sens quand elles sont racontées par ceux qui les ont prises». Au total donc, quelque 600 000 photos (négatifs ou positifs) sur tout type de format (verre, planche de contact, album, etc.), forment aujourd’hui la collection estampillée Fondation arabe pour l’image. Pris par des photographes professionnels ou amateurs, ces portraits, publicités, paysages urbains, photographies de studio datant majoritairement des années 1920-60, même si certains remontent au milieu du XIXe siècle, peuvent avoir autant une valeur esthétique, sociologique ou historique. Aujourd’hui, si «seulement» 50 000 clichés ont été numérisés (dont la moitié est disponible sur son site Internet), la fondation ne relâche pas la pression et n’a de cesse de scanner ses pépites d’or à longueur de journée.
A la croisée des chemins entre centre d’archivage et centre d’art contemporain, la fondation a plusieurs cordes à son arc. Récemment, l’architecte et photographe réputé, Rifaat Chadirji, lui a confié pour une dizaine d’années son impressionnante collection de 100 000 photographies très bien documentées, révélant Bagdad des années 40 et 50, entre paysages urbains et rites sociétaux. «Nous travaillons sur la manière d’aborder une collection, sur les possibilités que l’on a pour la mettre en valeur, notamment en faisant collaborer des chercheurs et artistes de plusieurs domaines, reprend la nouvelle directrice. Nous faisons également beaucoup de projets de formation à travers le programme Middle East Photograph Preservation Initiative (Meppi). Nous avons par exemple collaboré à mettre en place plus de soixante collections photographiques dans quinze pays du monde arabe que ce soit pour des bibliothèques nationales ou des archives de journaux. D’autre part, nous avons recensé quelque trois cents collections publiques ou privées de photos dans la région, ce qui nous a permis de créer un réseau à travers lequel nous collaborons tous ensemble. Et nous allons bientôt pouvoir mettre à jour un répertoire de ces collections, très utile pour fournir aux chercheurs une base de données».
La Fondation arabe pour l’image c’est également une bibliothèque de 1 300 ouvrages, quinze expositions et huit publications depuis sa création, sans compter la cofondation de l’Observatoire du patrimoine moderne, catalyseur d’initiatives. Le 2 mai dernier, la fondation a reçu le prix Sharjah de l’Unesco, qui récompense les efforts d’une personnalité ayant contribué par ses œuvres artistiques, intellectuelles ou promotionnelles, au développement et à la propagation dans le monde de la culture arabe (le second lauréat du prix étant l’éditeur Farouk Mardam-Bey).
«Historiquement, le prix est plus souvent remis à des individus, souligne Rima Mokaiesh. L’année passée, nous avions été nominés et la question de savoir si la photographie était un élément important dans la culture arabe avait été posée. Nous avons reçu la réponse cette année et nous en sommes très fiers. C’était très important pour nous que notre travail et la photographie soient reconnus dans la culture arabe». Qui plus est, cette reconnaissance institutionnelle, délivrée par une entité comme l’Unesco, met du baume au cœur à la fondation privée de subventions publiques malgré ses efforts destinés à l’intérêt public.
Delphine Darmency
Photos Julien Bonnin
www.fai.org.lb
La Journée des archives
Si, pour sa première édition en 2013, la Journée internationale des archives avait regroupé sept institutions, cette année, dix de plus ont répondu présentes. Du 7 au 9 juin dernier, dix-sept institutions, orchestrées par l’Observatoire du patrimoine moderne (le Moho) ont donc joué le jeu et accepté d’ouvrir les portes et placards de leurs archives au grand public: Le Centre arabe pour l’architecture, la Fondation arabe pour l’image, la Fondation pour la recherche et l’archivage de la musique arabe, an-Nahar, l’AUB, L’Orient-Le Jour, la Bibliothèque orientale, la Fondation Liban Cinéma, la Collection Fouad Debbas, l’Institut Cervantes, la Bibliothèque nationale, Solidere, le centre de documentation et de recherche Umam, l’Usek, la bibliothèque Recto Verso, l’Institut des études palestiniennes et Dar al-Hayat.