Magazine Le Mensuel

Nº 2953 du vendredi 13 juin 2014

Semaine politique

L’échelle aux calendes grecques. Les examens au forceps

Au terme d’une longue journée de négociations, le ministre de l’Education, Elias Bou Saab, et les syndicats enseignants se sont ménagé une porte de sortie en faisant passer les examens officiels, mais leur correction dépendra du vote de la grille des salaires. La balle est désormais dans le camp des politiques. Retour sur la longue journée de mardi.
 

Une semaine avant la séance parlementaire reportée, mardi matin, au 19 juin prochain, le monde de l’éducation a préservé l’essentiel. Ce vendredi ont eu lieu les examens du brevet, décalés d’une journée, histoire d’offrir aux syndicats enseignants une petite victoire. Après des semaines de mobilisation, ils se devaient d’obtenir quelque chose. Elias Bou Saab a, lui, obtenu des manifestants qu’ils fassent passer les examens officiels. Le ministre des professeurs est aussi celui des élèves et de leurs parents. Ces derniers ont obtenu gain de cause. On ne joue pas avec l’avenir de nos enfants, n’a-t-il cessé de penser, sans pouvoir le dire aussi clairement par crainte de froisser les troupes du président de la Ligue des enseignants des classes secondaires, Hanna Gharib et «leurs revendications légitimes». Mardi soir, le ministre de l’Education l’a concédé: «Je ne suis pas le Parlement». Au cours de ces négociations nocturnes, la Chambre était représentée par le député Ali Bazzi, membre du bloc de Nabih Berry, dont le rôle dans cette affaire aura été déterminant.
Les trois parties – ministère, syndicats et Parlement– se sont, au final, accordées sur un échelonnage des échéances. La première, le passage des examens du brevet est désormais entériné. A l’heure où ces lignes sont écrites, les dates des examens suivants n’ont pas été modifiées. Après une journée de mardi empreinte de colère et de frustration, la soirée a fini par apaiser les tensions. En début de matinée, Bou Saab s’est rendu à Clémenceau pour y rencontrer Walid Joumblatt. La veille, le leader druze avait dénoncé «les surenchères populistes» des enseignants. «Le PSP apprécie les sacrifices du Comité de coordination syndicale (CCS) et insiste sur la justesse des revendications sociales et de la lutte syndicale, mais il juge nécessaire d’assurer la pérennité des institutions et de l’économie libanaises, car tout revers se ferait ressentir sur les employés et les travailleurs», écrivait-il lundi. Un discours qui indiquait, la veille de son échéance, sa non-tenue. Au même moment, l’inspectrice générale de l’Education, Faten Jomaa, lançait un avertissement aux enseignants contre toute tentative de boycott des examens officiels sous peine de poursuite en justice.
Mardi matin, le quorum requis − la majorité absolue des membres du Parlement, soit 65 députés − pour la tenue de la séance parlementaire consacrée à l’étude de la grille des salaires n’a pas été atteint. Les députés n’étaient que 54. Les blocs parlementaires du 8 mars, ainsi que des députés du bloc Joumblatt se sont présentés au Parlement. La coalition du 14 mars a, pour sa part, boycotté la séance. Après l’avoir levée, Nabib Berry a pris Elias Bou Saab en aparté. «Il est impossible de tenir les examens officiels de cette façon». Dans la foulée, le CCS de Gharib annonce, tambour battant et moustache au vent, le boycott des examens officiels qui commencent jeudi et la poursuite de la grève générale. Il est 11h30 ce mardi matin.
Une heure plus tard, Elias Bou Saab tient une conférence de presse. «Je suis désolé de la non-approbation de la grille des salaires malgré tous nos efforts. Mais la tenue des examens officiels est une décision qui revient au ministère de l’Education, a-t-il martelé. Je ne suis pas prêt à reporter les épreuves même pour un quart d’heure. Les examens auront lieu jeudi, je ne reculerai pas», affirme le ministre, regard sévère, tout en annonçant qu’il se réunira dans les prochaines heures avec les comités des enseignants du secteur public pour trouver une issue à la crise. Pendant la journée, Gharib a rodé ses revendications: «Pas de grille, pas d’examens». Un slogan que le porte-voix des enseignants a voulu intangible.   Le CCS a observé mardi un sit-in massif au ministère de l’Education et de l’Enseignement supérieur. «Nous sortirons victorieux de cette bataille. Les surveillants ont tenu 14 assemblées générales dans les régions libanaises et ont pris la décision de boycotter les examens officiels en attendant l’approbation de la grille des salaires».
Dans l’après-midi, le discours du CCS s’est nettement infléchi, sans doute grâce à l’intercession de Nabih Berry. Les enseignants avaient décidé en fin d’après-midi de camper sur place et de «passer la nuit» au siège du ministère de l’Education. Mais, grâce à la médiation de Ali Bazzi, les négociations ont pu reprendre. Débutée à 21 heures, la première s’est plutôt mal déroulée. Il s’est surtout agi pour le ministre de l’Education de démentir les bruits sur ses intentions de court-circuiter le corps enseignant, de confier à d’autres la responsabilité de la tenue des examens ou de délivrer des attestations de passage du brevet, annulant de fait la tenue même des examens. Finalement, Elias Bou Saab, avec l’aide précieuse de Bazzi, a réussi à trouver la parade.
«Nous reconnaissons la nécessité de la participation du comité syndical à la tenue des examens officiels. Le président du comité syndical, Hanna Gharib, avait raison de l’affirmer», justifie le ministre, qui ajoute dans la foulée que rien n’est tranché «pour ce qui est de la correction des épreuves et de l’annonce des résultats». La suite des événements est donc tributaire du sort que fera le Parlement de la grille des salaires. Le principal, pour le ministre, était de figer le calendrier et de reporter les perturbations à plus tard.
«L’accord avec le CCS sur les examens officiels est solide et définitif», a confié mercredi Elias Bou Saab. «Après de longues négociations, nous sommes parvenus à une solution. Ma responsabilité était de soulager les étudiants. Nous n’allons simplifier, ni compliquer les examens. Nous tenons à préserver le niveau des examens et des diplômes». Il poursuit: «Nous avons fait ce que nous devions faire. Maintenant, il n’est pas question de mettre la pression sur les enseignants afin qu’ils corrigent les examens. C’est aux responsables de régler cette question, et cela ne se fera pas dans la confrontation avec les professeurs. Les professeurs ont des droits». La balle est donc dans le camp du Parlement.

Julien Abi Ramia

Le Parlement moribond
Alors que le Hezbollah et le mouvement Amal, en soutien traditionnel aux revendications sociales, et le PSP, afin d’assurer la continuité des institutions, se sont rendus au Parlement pour légiférer sur le texte sur la grille des salaires, le Courant du futur et le 14 mars, dans leur ensemble, ont décidé ne pas prendre part à la séance. A l’exception de Bahia Hariri, présidente de la Commission parlementaire de l’Education, le parti met en cause le volet économique de la mesure. Lors d’une conférence au Parlement, les députés du Futur Ghazi Youssef, Ahmad Fatfat et Jamal Jarrah, ainsi qu’Antoine Zahra pour les FL se sont dit «prêts à étudier les recettes pour le financement d’une grille acceptable, tandis que d’aucuns veulent nous obliger à voter une grille qui serait destructive pour le pays, appelant le ministre des Finances, Ali Hassan Khalil, à «assumer ses responsabilités à ce niveau». Tiraillé entre le boycott parlementaire consécutif au vide parlementaire, comme les Kataëb, et son parti pris social, le CPL adopte une position ambiguë.     

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