L’Assemblée constituante est une idée lancée par sayyed Hassan Nasrallah. Elle fut fraîchement accueillie par le 14 mars. Son principal argument est le refus de dialoguer sous la menace des armes du Hezbollah. Nous ne reviendrons pas sur la nécessité que ces armes soient exclusivement aux mains de l’armée, tel n’est pas l’objectif de ces propos. Il s’agit de vérifier si cette menace peut influencer l’issue de ce congrès. Le Hezbollah utilisa deux fois la force dans le conflit politique interne. Une première fois en mai 2008, quand il prit d’assaut les permanences du Courant du futur à Beyrouth. Sur quoi déboucha cette campagne?
Sur l’accord de Doha qui donna à la minorité parlementaire le tiers de blocage. La montagne accoucha d’une souris, le 8 mars resta une minorité après les élections de 2009 et ne réussit qu’à faire tomber le gouvernement Hariri. La seconde fois, le Hezbollah utilisa ses épouvantails vêtus de noir pour convaincre Walid Joumblatt de soutenir son candidat à la troisième présidence, Najib Mikati. Seuls maîtres à bord, le Hezbollah et ses alliés ont eu le loisir de démontrer leur incapacité à gouverner. Belle victoire
Les armes du Hezbollah ne lui servent à rien dans la conduite des affaires internes du Liban, au contraire, elles constituent son point faible. Tout le monde lui réclame de s’en défaire, à commencer par son principal allié, le général Michel Aoun, qui a toujours réclamé le désarmement du parti, mais temporairement accepté qu’il les garde tant qu’une stratégie nationale de défense n’est pas élaborée. On sait tout le bénéfice politique que tire le Courant patriotique libre (CPL) de cette temporisation, pour ne pas douter de son malaise face à l’arsenal du Hezbollah. Sayyed Nasrallah sait pertinemment qu’en 2008, nous avons frôlé la catastrophe. Et si Beyrouth est tombé en 48 heures, il en fut autrement avec les druzes dans la Montagne. Sayyed Nasrallah sait également que ses missiles ne lui servent à rien sur le front interne, que tous les Libanais sont armés et prêts à en découdre. Le scénario de 2008 ne se répétera pas, on a vu comment les Ahbache de Beyrouth, les salafistes de Tripoli, les groupuscules de Tariq Jdidé et tant d’autres sont prêts à l’affrontement. Le Hezbollah sait, sans aucun doute, que s’il tentait d’imposer par la force une nouvelle Constitution, l’embrasement sera généralisé, que l’armée se scindera. Que s’il emporte quelques quartiers, les lignes de démarcation se dessineront à nouveau. Il sait qu’Israël se fera un devoir de l’attaquer, le voyant affaibli par un front interne et par une Syrie à genoux. Enfin, pour en revenir à l’histoire récente du Liban, le Hezbollah a certainement compris que personne au Liban ne peut durablement gouverner par la force, ni imposer sa volonté. Les seuls qui ont jamais cédé à la contrainte sont les chrétiens, en 1990, non pas qu’ils furent vaincus militairement, mais parce qu’ils se sont battus entre eux et ont perdu toute immunité. C’est cette mise en quarantaine de 1990 à 2005 qui a marqué leur défaite et non l’accord de Taëf. Celui-ci est un aménagement que l’évolution du Liban depuis 1943 exigeait. D’ailleurs, si cet accord est bancal, c’est bien parce qu’il a été imposé par la force par des non-Libanais, à savoir: l’Arabie saoudite, la Syrie et les Etats-Unis.
Cela nous ramène à la nécessité de ce congrès national. En 1958, il n’y en a pas eu. La première guerre civile prépara la seconde. En 1990, il n’y en a pas eu non plus, mais ce fut la mascarade de Taëf. Où réside le mal? Il faut être aveugle pour nier les mutations de la société libanaise. Pour l’exemple, rappelons, qu’en 1926, les musulmans libanais voulaient le rattachement à la Syrie, et qu’en 1943, ils acceptaient de former une nation indépendante avec les chrétiens. Or, la Guerre civile au Liban a duré quinze ans, et depuis 1990, c’est-à-dire vingt-deux ans, les Libanais ne se sont jamais encore expliqués sur les causes de cette guerre.
Depuis 1975, la démographie, la géographie des communautés, la structure sociale, les fondements économiques, les idéologies et les aspirations des Libanais sont entièrement bouleversés. Peut-on dans une telle situation imaginer moins qu’un congrès national? Le degré de suspicion et de haine n’a-t-il pas atteint un seuil suffisamment élevé pour dialoguer? Faut-il une autre guerre pour qu’on nous impose un nouveau Taëf? Que craignons-nous? Que le parti Kataëb, qui seul a accueilli positivement l’initiative de sayyed Nasrallah, ait une vision du Liban à l’opposé de celle du Hezbollah? Que les Libanais décident de se séparer? Ne vaut-il pas mieux le dire et le faire autour d’une table que derrière un canon? Et si ce n’était pas vrai. S’il y avait encore moyen de sauver la maison? Faut-il refuser cette opportunité, sous le prétexte fallacieux de la peur? Non. Les Libanais n’ont pas peur de la vérité, ils ne craignent pas de se battre s’il le faut. Seuls certains politiciens ont peur de perdre leurs privilèges. Que ce congrès se tienne au plus tôt.
Amine Issa