Les jours passent et les onze pèlerins libanais chiites, détenus par un groupe armé de l'opposition syrienne, n'ont toujours pas été relâchés. Les familles ont choisi l'escalade en organisant tous les jours un sit-in, sur la route de l'aéroport, tandis que les travailleurs syriens commencent à quitter en masse la banlieue sud de Beyrouth. Le point sur un drame qui risque de durer.
La visite à Ankara du Premier ministre Najib Mikati, accompagné d’une délégation ministérielle, et sa rencontre avec son homologue turc, n’a pas réussi à débloquer le dossier des pèlerins libanais détenus par l'opposition syrienne. A part une photo souvenir avec Recep Tayyip Erdogan et un cliché avec son homologue yéménite Mohammad Basindawa, de passage à Ankara, la visite n’a abouti à rien. Mikati a dû quitter bredouille la capitale turque, sans la moindre nouvelle à annoncer aux familles des victimes, réunies à Dahié, et qui commencent à s'impatienter. Dans ce dossier, plus les heures passent, plus la libération des détenus se complique et paraît lointaine, d'autant que les conditions posées par les kidnappeurs durcissent. L’affaire serait en train de prendre une toute autre tournure, loin de la demande de rançon ou de la libération de prisonniers dans les geôles du régime syrien, comme cela avait été annoncé au début. En effet, les membres de l’opposition syrienne et leurs alliés régionaux ne pardonnent pas au Hezbollah son soutien au président Bachar el-Assad et pensent que cet enlèvement leur offre l'occasion de prendre leur revanche sur Hassan Nasrallah. D’où les «excuses publiques» exigées du secrétaire général du parti. Réponse du berger à la bergère: «Si votre problème est avec moi et non pas avec ces personnes innocentes et si vous voulez résoudre ce dossier à l’amiable, nous le résoudrons à l’amiable. Mais si vous voulez la guerre, nous sommes prêts», a dit sayyed Nasrallah lors de la commémoration du 23e anniversaire de la disparition de l’Ayatollah Rouhallah Khomeiny.
Des otages «martyrs»
Une source proche des familles, priées par le Hezbollah de ne plus communiquer avec les médias, a déclaré à Magazine: «Jamais nous n’accepterons que sayyed Nasrallah présente des excuses aux bandits et aux trafiquants. Qu’a-t-il fait de mal pour s’excuser? Rien. Si c’est vraiment leur seule condition, nous leurs disons haut et fort que nous considérons nos hommes comme des martyrs. Mais il faut qu‘ils sachent que nous ne les oublierons jamais et que leurs assassins payeront cher leur crime».
Les ravisseurs auraient présenté une nouvelle demande: la libération du colonel Hussein Harmouche, premier officier syrien dissident. Enlevé par des agents secrets syriens, en septembre 2011 en Turquie, dans des circonstances non encore élucidées, le colonel Harmouche était apparu à la télévision syrienne pour se «confesser». Des sources bien informées ont indiqué à Magazine que l’officier a été condamné à mort par une Cour martiale et que la sentence a été exécutée par les redoutables services de renseignements de l'armée de l'air.
Entre-temps, les déclarations faites par des membres du Conseil national syrien (CNS) ne rassurent personne, accusant les otages d’être des experts en explosifs ou de hauts et responsables du Hezbollah. Le conseiller politique du CNS, Bassam al-Dada, a enfoncé le clou en affirmant que quatre ressortissants iraniens faisaient partie du voyage et qu’ils sont détenus avec leurs compagnons libanais. Comme rien dans les déclarations des opposants syriens ne paraît logique, al-Dada accuse le régime de Bachar el-Assad de détenir la majorité des onze otages! Pour sa part, son collègue Haïtham el-Maleh se vantait d’avoir conseillé aux ravisseurs de ne pas relâcher les otages, car selon lui, ils seraient membres du Hezbollah et devraient être punis pour le soutien apporté par le parti «à la machine de mort du régime syrien.» Al-Maleh a même affirmé, dans une entrevue publiée par le journal saoudien Asharq al-Awsat, que l’un des hommes (Abbas Chéhaïb) était un haut responsable du Hezbollah chargé «de transporter des membres du parti pour combattre en Syrie», ajoutant que des objets les incriminant avaient été retrouvés en leur possession. Toutes ces déclarations ont eu lieu au moment où les médiateurs de la première heure jetaient l’éponge sans que rien ne filtre sur les entretiens qui ont eu lieu à Ankara entre la délégation libanaise et les responsables turcs. Une source journalistique libanaise présente à Ankara a indiqué que «si le Premier ministre Mikati avait obtenu de bonnes nouvelles, il aurait fait une annonce sur-le-champ. Le mutisme qui a suivi les rencontres de Mikati, du ministre des Affaires étrangères Adnan Mansour et, surtout, du ministre de l’Intérieur, Marwan Charbel, avec les responsables sécuritaires turcs, prouve qu’il n’y a pas eu de réelle avancée».
Mardi soir, un développement nouveau est intervenu. Des proches des otages ont déclaré avoir identifié deux de leurs ravisseurs dans un reportage télévisé sur la rébellion armée.
Plusieurs femmes, qui faisaient partie du groupe de pèlerins enlevés le 22 mai, ont contacté la LBC après avoir vu lundi ces rebelles à la télévision, rapporte la chaîne.
Le reportage en question a été filmé dans une région turque frontalière de la Syrie. Il montre deux hommes qui se présentent comme appartenant à l'Armée syrienne libre.
«Les hommes aperçus dans le reportage étaient ceux qui ont enlevé leurs maris», indique la LBC. Les femmes sont apparues sur la chaîne mardi pour confirmer l'information. «Ils nous ont dit: Nous sommes de l'Armée syrienne libre. Nous ne voulons faire de mal à personne. Certains de nos hommes sont détenus par l'armée syrienne et nous voulons les échanger contre vos hommes», a déclaré l'une d'elles.
«Nous tenons l'ASL en Turquie et en Syrie pour responsable de la sécurité» de nos proches, a indiqué la femme. L'ASL avait démenti toute implication dans cette affaire.
Fuite précipitée
Compliquant une situation déjà très confuse, un autre élément a surgi avec l'exode, ou plutôt la fuite précipitée, de plusieurs milliers de travailleurs syriens du Liban. La majorité d’entre eux résidait dans la banlieue sud de Beyrouth. La circulation d’une photo d’un présumé ouvrier égorgé dans la nuit du vendredi 1er juin a provoqué un vent de panique. La photo, dont l’authenticité n’a pu être vérifiée, a poussé les Syriens à rentrer chez eux malgré la situation chaotique qui règne dans leur pays. Magazine s'est rendu dans la banlieue sud, plus précisément sur les lieux de ralliement des travailleurs. Seuls quelques dizaines ont choisi de rester. Mohammad, un porteur âgé de 22 ans, a déclaré que la psychose était due à l’enlèvement des onze pèlerins chiites. «Nous n’avons personne pour nous défendre et depuis l’enlèvement des Libanais, nous subissons au quotidien insultes et vexations. Plusieurs d’entre nous ont été attaqués et volés, se plaint-il. Depuis quelques jours, des rumeurs enflent faisant état de l’existence d’un groupe qui tue les Syriens en pleine nuit. La majorité d’entre nous ont préféré rentrer au pays alors que ceux qui sont restés n’osent pas dormir tous seuls. Ils restent en groupe».
Des sources du Hezbollah et du Mouvement Amal contactées par Magazine ont refusé de commenter cette affaire ou de dire si une consigne avait été donnée aux travailleurs syriens de quitter le Liban pour garantir leur propre sécurité. Mais il est clair qu’au cas où un malheur arrivait aux pèlerins libanais, les travailleurs syriens subiront des représailles dans les régions à majorité chiite. Walid Raad
Détenus en Turquie?
Sur les seules photos qui ont filtré depuis l'enlèvement, les pèlerins libanais apparaissent en bonne santé mais fatigués. Leur lieu de détention ressemble à une maison normale ou à une ferme, ce qui ne facilite pas les recherches, car il en existe des centaines dans la région d'Alep. Les photos ont été diffusées par la chaîne qatarie al-Jazeera et les ravisseurs se sont présentés sous le nom de «Révolutionnaires de Syrie et du rif d'Alep».
Des sources ont révélé à Magazine que le lieu de détention des otages se situerait dans une région frontalière, à l‘intérieur de la Turquie, car les ravisseurs n’étaient plus en sécurité après la mort de trois de leurs collègues dans des bombardements de l’armée syrienne contre leur repère.
Travailleurs effrayés
Après l'exode des travailleurs syriens vers la Syrie par le poste de Masnaa, l’ambassade de Syrie à Beyrouth a précisé qu’aucune consigne n’a été donnée par l’ambassadeur aux ressortissants de son pays pour quitter le Liban. Quoi qu’il en soit, dans la seule journée du dimanche 3 juin, plus de 13000 travailleurs sont rentrés en Syrie, préférant mourir chez eux plutôt qu’au Liban. Le secteur du bâtiment souffre désormais d’un manque de main-d’œuvre qui ne pourra pas être comblé facilement.
Le jour de l’enlèvement des onze pèlerins, le 22 juin, des dizaines de Syriens ont été arrêtés dans la banlieue sud et tabassés avant d’être relâchés après l’intervention de responsables du Mouvement Amal et du Hezbollah.