Magazine Le Mensuel

Nº 2850 du vendredi 22 juin 2012

Associations

Hommes nouvelle génération. Quand papa veut materner

Ils sont de plus en plus nombreux ces jeunes pères qui ne souhaitent plus sacrifier l’éducation de leurs enfants à leur carrière ou loisirs. Place aux papas navigants à vue pour concilier vie familiale et vie professionnelle. A l’occasion de la fête des Pères, Magazine enquête sur un nouveau phénomène générationnel qui touche le Liban de plein fouet.

«Moi, je change mon fils et lui donne le biberon le matin au réveil et le soir au coucher. Parfois, je lui donne le bain. Ces instants passés auprès de lui me procurent un bonheur intense. Je n’échangerais ces moments pour rien au monde», confie Robert, jeune publicitaire de 40 ans.
«Depuis la naissance de Carl, je m’organise pour entrer plus tôt à la maison afin de profiter de lui et de partager avec ma femme ces moments de pur bonheur. C’est vital pour moi, cela contribue à mon équilibre et à mon épanouissement personnel, assure Majed, financier de 50 ans.
«J’ai monté ma propre boîte de marketing. Cela me permet de mieux gérer mon temps. C’est essentiel pour mon équilibre de pouvoir passer de longs moments avec ma fille. Je rentre toujours vers 18h quitte à revenir au boulot après 20h, l’heure où elle se couche», affirme Karim, 35 ans.
Ils s’appellent Robert, Majed, Fadi et Christian, ont entre 30 et 50 ans, sont cadres supérieurs, fonctionnaires ou travaillent à leur propre compte et ont un point commun: ce sont de «nouveaux pères». En effet, un nouveau genre de père est en train d’émerger. Son objectif? Prendre une part active dans l’éducation des enfants et ne pas seulement veiller à leur bien-être matériel. Les pères réclament du temps pour s’occuper de leurs bambins et des moments de tendresse à partager avec eux. A quoi les reconnaît-on? A leur manière de manipuler le biberon, de changer la couche en deux tours deux mouvements, à leur capacité de caler le rendez-vous chez le pédiatre entre deux meetings au bureau, de rentrer à des heures fixes, question de s’intéresser de près aux études de leurs rejetons et, en week-end, de consacrer leur temps libre aux sorties des petits. Leurs revendications désormais? Etre des pères à plein temps au risque de voir leur promotion-travail retardée.
Pourquoi les pères ont envie de s’occuper plus de leurs enfants? Selon le sociologue Pierre Khoury, ce phénomène est dû à plusieurs facteurs. «Il y a, dit-il, le fait que ces hommes ont eux-mêmes souffert de l’absence de leur père trop accaparé par ses contraintes professionnelles et passant à côté de leur vie de famille, quitte à le regretter une fois les enfants devenus adultes et volant de leurs propres ailes. Ce manque les a marqués et ils ne souhaitent pas voir leurs enfants en souffrir. Il y a aussi le fait que, dans un monde de plus en plus compétitif, les hommes ne sont plus parfaitement comblés par le succès que leur assure leur carrière et ont besoin de ce cocon familial pour se ressourcer et s’épanouir».
Dans l’un de ses ouvrages intitulé Comment être père aujourd’hui, le psychologue Jean Le Camus définit le père du XXIe siècle. Selon lui, après le père sévère traditionnel, le père actuel est impliqué dans l’éducation de ses enfants et conscient de sa fonction de parent de sexe masculin. Ce profil est aux yeux de l’auteur le père idéal de ce siècle. «Même s’il est inévitablement imparfait, écrit-il, il est celui qui incarne la forme de paternité la plus récente et sans doute la plus prometteuse…».

Attention toutefois. Le papa n’est pas une maman bis.
Selon bon nombre de psychologues, les pères ne doivent pas devenir de nouvelles mères. Chacun doit avoir une fonction bien définie qui le rend unique aux yeux des enfants. Selon la psychanalyste Hélène Brunschwi, «tout comme le rôle de la mère, celui du père est indispensable dans la construction de l’identité sexuée de l’enfant, garçon ou fille, une identité qui conditionne le choix du partenaire quand l’enfant sera adulte. Le père propose son modèle masculin. Il a une façon caractéristique de s’occuper de son enfant. Même quand il materne, il ne le fait pas comme la mère. Il tient le bébé de façon plus tonique, n’a pas la même gestuelle ni la même intonation… Le bébé différencie parfaitement le rythme du père et celui de la mère».

Comment les mamans reçoivent-elle ce nouveau partage des rôles?
«A la naissance de Zoha, quand mon mari me faisait part de son souhait de s’occuper d’elle, je ne me sentais pas rassurée et, malgré ma fatigue, je veillais à ce que les choses se passent comme je le souhaite. Avec le temps, j’ai renoncé à cet autoritarisme stérile, heureuse de constater quel bon père il était», raconte Carla.
«Au début, les choses se passaient à merveille. Quand Pierre s’occupait de Ralph, je les regardais avec tendresse partager ces moments à deux. Les choses se sont compliquées à l’adolescence, quand il voulait intervenir dans l’éducation de mon fils. Je ne le laissais pas faire, croyant seule savoir ce qui lui convenait. Il a fini par renoncer à donner son avis et, avec le temps, je regrette mon attitude», confie Sana.
Si, au début, certaines femmes semblent dérangées par «l’intrusion» de leur mari dans l’éducation des enfants, n’hésitant pas à s’imposer pour s’assurer que les choses se passent de façon rassurante, elles ne tardent pas à se montrer ravies de cette implication qui les soulage souvent sur le plan physique et moral. En effet, la femme assure le plus souvent une activité professionnelle au même titre que son conjoint, et aimerait compter sur lui pour l’aider à cumuler leurs fonctions. D’une autre part, la mère partage désormais l’éducation avec le père, ce qui la décharge de responsabilités lourdes à porter et à assumer.
Les choses se compliquent quand les enfants commencent à grandir, assure Dr Khoury. «Ce nouveau partage d’autorité, explique-t-il, sous-entend une complication: comment assurer une constante éducative qui soit en accord avec les deux parents? L’idéal consiste à accepter la complémentarité apportée par chacun des deux parents, que ce soit dans les valeurs transmises ou la façon de les transmettre. Ce partage d’un même espace éducatif ne doit pas devenir source de conflit, mais contribuer à l’épanouissement du rôle parental des deux conjoints et à celui des enfants entourés de part et d’autre par leur mère, mais aussi par leur père».
Soulignons que le lien précoce père-enfants aurait, selon les spécialistes, des effets positifs sur la socialisation de l’enfant, puisqu’en intervenant dès la naissance, le père se positionne entre la maman et son bébé pour éviter une relation trop fusionnelle, l’ouvrant ainsi au monde extérieur. Par ailleurs, ce lien précoce participe à la construction du langage de l’enfant qui devient plus riche et diversifié et au développement intellectuel du jeune enfant qui, doublement sollicité par la mère mais aussi par le père, est précocement éveillé et communicatif.

Danièle Gergès

 

Congé-paternité
S’occuper de ses enfants, passer de longs moments avec eux, partager leur éducation avec leur mère… Ils sont nombreux ces papas nouvelle génération prêts à sacrifier quelque part leur carrière pour donner la priorité à leurs gosses, au point où, dans les pays développés, les pères, à l’instar des mamans, ont désormais droit à un congé-paternité. A quand le tour du Liban?

 

 

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