Magazine Le Mensuel

Nº 2850 du vendredi 22 juin 2012

ACTUALITIÉS

Mohammad Morsi. Un président sans prérogatives?

«Je serai le président de tous les Egyptiens, et je ne règlerai mes comptes avec personne. Je veux travailler main dans la main avec tous les citoyens pour un avenir meilleur, pour la liberté, la démocratie et la paix». Il a promis de «servir tous les Egyptiens» quelle que soit leur obédience politique ou religieuse. L’homme qui s’exprime comme un chef d’Etat est le Dr. Mohammad Morsi, candidat des Frères musulmans à la présidence de la République. Ses agents électoraux ont surveillé le dépouillement du scrutin, et l’ont assuré d’une victoire certaine, avec plus de 52% des voix.

Denise Ammoun, Le Caire
Debout dans le salon principal de l’élégante villa louée par la confrérie pour la campagne présidentielle, Mohammad Morsi s’exprime d’une voix forte, marquée par l’émotion. Certaines chaînes de télévision filment ce moment historique, tandis que les journalistes enregistrent chaque mot. Morsi, docteur en ingénierie métallurgique, la soixantaine, barbiche blanche mais cheveux noirs, était jusqu’à ce jour le président du Parti de la Liberté et la Justice, la vitrine politique des Frères musulmans. Il est désormais le nouveau président de la République.
Ce résultat, totalement inattendu ne suscite pas une joie générale.  Laïcs et libéraux ne veulent pas d’un chef d’Etat islamiste, et les Coptes (environ 8 à 10% de la population) redoutent l’islamisation du pays. Mais la plupart d’entre eux n’ont pas voté parce qu’ils rejettent tout aussi bien la candidature d’un Frère musulman, que celle d’un ancien général du régime Moubarak. Cette abstention semble avoir profité à la confrérie.
Mais la tâche de Morsi ne sera pas facile. Le jeudi 14 juin, la Haute cour constitutionnelle a dissout le Parlement (composé en majorité de Frères musulmans) parce qu’un vice juridique dans la loi électorale rendait son actuelle composition «illégale». D’autre part, au soir du dimanche 17 juin, le Conseil suprême des forces armées a publié une Déclaration constitutionnelle complémentaire qui lui confère le pouvoir législatif et le contrôle du budget de l’Etat jusqu’à l’élection d’une nouvelle assemblée. Privé d’une bonne partie de ses prérogatives, Mohammad Morsi serait une sorte de président chrysanthème.
Les Frères musulmans et les mouvements révolutionnaires ont qualifié ces deux actes de «coup d’Etat» et décidé de ne pas en tenir compte. Irréaliste.  

Président inconnu
Applaudi ou détesté, Morsi suscite l’intérêt, sinon la curiosité de bien des Egyptiens. Ils ne savent rien de ce leader, ils ne l’ont vu à la télévision que ces dernières semaines, et il n’a pas suscité leur enthousiasme. Il semble donc indiqué de se familiariser avec ce personnage.
Le jour où Mohammad Morsi, jeune étudiant en ingénierie métallurgique, a décidé d’adhérer au mouvement des Frères musulmans, il était loin d’imaginer qu’il deviendrait en 2011 le président du plus puissant parti politique d’Egypte. Originaire de Charkiah, dans le Delta du Nil, il a fait ses études dans les collèges de la ville, puis s’est inscrit à la faculté d’ingénierie de l’Université du Caire. Par la suite, il a obtenu son doctorat à l’Université de Caroline du Sud et a enseigné pendant plusieurs années aux Etats-Unis. De retour en Egypte, il a occupé la chaire d’ingénierie jusqu’à ces derniers mois à l’université de Zagazig.  
Pieux musulman, le futur homme politique est attiré par la doctrine de la confrérie autant que par ses activités charismatiques. Sa vie professionnelle ne l’empêche pas de militer au sein des Ikhwan (Frères) où il occupe divers postes, dont celui de responsable des affaires avec le Soudan, puis de directeur de la section des Affaires étrangères, avant de devenir membre du Conseil de guidance, la plus haute autorité du mouvement.
En 2005, les Frères musulmans font une entrée spectaculaire à l’Assemblée du peuple (Parlement égyptien), où ils occupent 20% des sièges. Un résultat qu’ils n’attendaient pas. Leurs membres avaient fait campagne sous l’étiquette de «candidats indépendants». Une fois élus, ils ont retrouvé leur identité, qui n’était d’ailleurs un secret pour personne, et sont devenus  la principale force d’opposition parlementaire. Morsi était alors député.
Aux législatives de novembre 2010, Mohammad Morsi, qui dirige la campagne électorale, espère dépasser le score de 20%. Mais l’Etat égyptien ne l’entend pas de cette oreille, d’autant plus que le futur Parlement doit soutenir la candidature de Gamal Moubarak à la présidence de la République en septembre 2011. Bien avant l’heure du vote, les arrestations de Frères prennent le style d’une chasse aux sorcières.
Mohammad Morsi se déchaîne au cours d’une conférence de presse: «Cela ne découragera pas la confrérie». Dès cette époque, son nom commence à être familier aux journalistes. Lors des résultats du premier tour de scrutin, un seul Frère a été élu, et 22 sont en ballottage. Ce sont peut-être les législatives les plus truquées de l’histoire d’Egypte.
Le 25 janvier 2011 ouvre la porte de la Révolution. Place Tahrir, 15000 personnes environ ont répondu à l’appel du Mouvement du 6 avril. Ces jeunes gens, qui ont programmé cette manifestation et crié leur rancœur contre le régime à travers Facebook, décident de réunir un million de personnes le 28 janvier pour réclamer le départ de Hosni Moubarak. Les Frères musulmans, qui n’avaient pas participé officiellement le 25 janvier (le Guide suprême Mohammad Badie s’était contenté de laisser aux membres de la confrérie toute liberté  d’action) prennent le train en marche. Ils viennent par centaines de milliers à la place Tahrir. Et ne quitteront plus cette place, épicentre de la Révolution.
Dix jours après la démission de Moubarak, la confrérie annonce son intention de fonder un parti politique. Le nom de cette formation circule avant sa naissance officielle, ce sera le Parti de la Liberté et de la Justice (PLJ). Le 30 avril, au nouveau siège de la confrérie, le Guide suprême, Mohammad Badie, donne à le presse les noms de ses dirigeants: il sera présidé par le Dr. Mohammad Morsi, aura pour vice-président le Dr. Issam el-Eriane, et pour secrétaire général le Dr. Saad el-Katatni, actuel président de l’Assemblée.
Mohammad Morsi déclare aussitôt: «Le PLJ sera un parti civil aux fondements musulmans. Les partis théocratiques appartiennent au Moyen Age et sont désormais interdits».
Il donne l’impression de vouloir rassurer les Coptes, ces chrétiens d’Egypte qui ont parfois le sentiment d’être victimes d’une discrimination. Du reste, par la suite, il souligne souvent que l’adhésion au PLJ est ouverte à tous les Egyptiens, qu’il compte déjà une centaine de Coptes, que son 2e vice-président, le Dr. Rafic Habib est Copte.

Pas de charisme
En avril, la confrérie craignant que son candidat à la présidentielle,  Khairat el-Chater ne soit éliminé (il sort tout juste de prison, et pourrait ne pas pouvoir briguer une fonction publique), désigne aussi Mohammad Morsi. De fait, El-Chater disqualifié, Morsi prend la relève. Il n’est pas charismatique, et il est peu connu de la base. Mais la puissante machine électorale de la confrérie est mise en marche. Mohammad Morsi se taille la première place lors du premier scrutin.
Les deux finalistes sont également rejetés par la majeure partie des électeurs. D’où ce chiffre d’abstentions les 16 et 17 juin. Est-ce de bonne politique, puisqu’il y aura quand même un président élu.

D. A.

 

Les dates-clés
-23 juillet 1952: coup d'Etat des «Officiers libres», le roi Farouk est détrôné.
-1952 à 1970: Nasser dirige l'Egypte d'une main de fer.
-1970 à 1981: Sadate est le chef de l'Etat
-1981 à 2011: Hosni Moubarak qui a régné pendant 30 ans est déchu le 11 février 2011.
-19 juin 2012: Mohammad Morsi, candidat des Frères musulmans, est donné vainqueur.

 

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