Magazine Le Mensuel

Nº 2852 du vendredi 6 juillet 2012

Editorial

Ghetto et violence

Quand la parole n’est plus un vecteur d’échange, la violence fait irruption. Quand les conflits ne sont plus soulevés pour être résolus, la violence devient le seul moyen d’expression de toutes les frustrations. C’est là où nous en sommes aujourd’hui. On connaît le fond du problème. Qui doit gouverner le pays, les chiites ou les sunnites avec les chrétiens en appendice. Quelle que soit la réponse, elle est évidemment mauvaise, parce qu’avant de gouverner, il faut définir l’identité de ces trois groupes, et qu’ils réécrivent ensuite un contrat social définissant les droits et les devoirs de chacun. A ce moment seulement, un gouvernement pourra prendre place et être productif. Tant que nous n’avouerons pas clairement nos haines et que nous continuerons à les édulcorer par des discours mièvres sans les dépasser, rien ne se fera pour la construction d’un Etat. Cela ne veut pas dire que la violence entre ces trois groupes est inévitable, d’autres considérations que la haine et l’amour entrent en jeu pour éviter l’affrontement, comme les intérêts économiques, les instructions des parrains régionaux et une certaine lucidité chez tout le monde, qui veut que la violence n’apporte pas de solution. Mais alors de quelle violence s’agit-il? C’est celle plus insidieuse, qui se développe au sein de chaque communauté, et qui finira par déborder sans qu’on le veuille nécessairement. Il y a, aujourd’hui, une ghettoïsation de fait des trois communautés, qui entraîne des face-à-face désastreux. Allez vous promener à Tariq Jdidé, dans la banlieue Sud ou à Nabaa, vous observerez, dans ces lieux censés appartenir indistinctement à tous les Libanais, une ségrégation rampante. Ce n’est ni au centre-ville, ni à Verdun, ni à Achrafié que le cœur de la ville bat, mais dans ces quartiers dont la population donne le la de l’action politique. Vous y découvrirez un repli dans un espace géographique et mental qui entraîne tous genres d’excès ; vivre dans la frustration économique sous la surveillance insidieuse de ses voisins, toujours les mêmes; ne pas pouvoir sortir de ses frontières pour voir que le quartier de «l’autre» est, somme toute, pareil et en même temps si différent, constituent les ingrédients préférés d’une violence qu’on dit camouflée. Racket discret, consommation et trafic de drogue, misère sexuelle et prostitution informelle, enfants battus et handicapés, dissimulés comme une tare, sont le lot quotidien de certaines rues de ces quartiers. Car non seulement les responsables politiques sont incapables de surmonter leurs haines, mais de plus, leurs discours traitent de préoccupations qui ne sont pas celles des citoyens au quotidien. Autant le chiite que le sunnite et le chrétien moyen, tout en adhérant à ses chefs par réflexe communautaire, est conscient que la querelle sur les armes ne diminuera pas les coupures d’électricité, ne freinera pas la cherté de la vie et ne rendra pas les infrastructures moins déficientes. Enfermés dans leur ghetto, avec la haine de «l’autre» qu’ils ne peuvent éliminer, en manque permanent de tout, ils se trouvent acculés à cette violence cachée que je décris plus haut. Les effets de cet enfermement ont été superbement racontés par Jabbour Doueihy dans son roman Matar Houzeirane. L’histoire d’un village chrétien de la Montagne, replié sur lui-même, où, contrairement aux opérettes des frères Rahbani, la méchanceté, la médisance, la jalousie et, en fin de compte, la violence physique, sont les pratiques courantes. Pourtant, quand on circule dans ces mêmes quartiers, on constate que notre société est multiculturelle sans les désavantages des pays à forte immigration, confrontés à l’échec de l’intégration. Il suffit de s’arrêter et de boire un café avec un de ces Libanais, d’entrer chez eux, pour se rendre compte que si jeune que soit le Liban, ses communautés ne divergent pas sur les principes essentiels; que leur langage, leurs habitudes se recoupent. Ce sont les victimes des grands partis confessionnels qui trouvent plus facile de mobiliser sur des thèmes particuliers que sur des sujets nationaux. Même s’il faut mesurer différemment ce phénomène de repli sur soi, le plus accentué chez les chiites et le moins chez les chrétiens, ces nuances sont insignifiantes dans le résultat. C’est pour cela que des mouvements politiques et sociaux transversaux qui traversent les communautés sont nécessaires. La pléthore des sujets communs à résoudre peut abattre les murs entre nous sont. C’est juste une question de volonté, de patience et de courage. Surtout de courage. Ayons-en. Amine Issa

Related

Le syndrome de la page blanche

Chèque en blanc mais en bois

Bons baisers du Qalamoun

Laisser un commentaire


The reCAPTCHA verification period has expired. Please reload the page.