Magazine Le Mensuel

Nº 2852 du vendredi 6 juillet 2012

general

Koura.Plus qu’une partielle, un référendum

Le 15 juillet prochain, les électeurs du Koura seront appelés aux urnes pour élire le successeur de Farid Habib, décédé le 31 mai dernier. Dans cette circonscription-test, les partis chrétiens mènent une campagne disputée, entre remobilisation locale et enjeux nationaux. Portrait de quatre sympathisants aux motivations différentes.

A un an des prochaines élections législatives, les partielles du Koura sont l’occasion pour les acteurs politiques de la région de s’étalonner dans une circonscription très particulière, confluent de bastions politiques bien ancrés à l’est de Bcharré, au nord-est de Zghorta et au nord de Tripoli. Sur ce petit territoire de 173 km2 sont inscrits 70000 électeurs, dont une bonne partie n’y réside plus. Installés à Beyrouth et dans le reste du monde, notamment en Australie, ces émigrés sont habituellement l’objet, à l’orée des scrutins parlementaires, de toutes les attentions mais cette campagne, menée dans l’urgence, a une autre saveur. Pour le siège grec-orthodoxe, vacant depuis le décès du député Farid Habib, la bataille opposera Fadi Karam, soutenu par les Forces Libanaises et l’ensemble du 14 Mars, au candidat du PSNS soutenu par la majorité Walid Azar. Un duel au fort accent historique qui met aux prises deux partis confrontés à la conjoncture d’une région sensible à l’implantation de la crise syrienne et à la place des chrétiens dans la région.

Le PSNS serein
Bien que résidant dans la capitale, Robert G. est un habitué des campagnes électorales. Dans sa ville natale d’Amioun, la plus grande localité de la région avec 15000 habitants, cet auto-entrepreneur dans le domaine de la fourniture médicale, diplômé de l’université de Balamand, est l’un des nombreux volontaires de la machine électorale du PSNS. «Après avoir tenté ma chance aux Etats-Unis, je suis revenu au Liban en 2003 pour lancer ma petite affaire. Je travaille à Beyrouth mais je reste très attaché à ma région», explique-t-il. Son intérêt pour la politique, Robert l’a découvert très tôt, de manière tragique. «La bataille d’Amioun en 1976, et la guerre civile, ont laissé des traces dans toutes les familles du Koura… Nous y menons bataille pour marquer notre présence incontestable».
Avec l’implication personnelle du leader des Forces libanaises, Samir Gaegea, cette campagne électorale revêt désormais une dimension historique puissamment symbolique. Amioun, Chekka, les chars et les brigades. La bataille électorale du Koura ravive des souvenirs de la guerre civile que la région a mis des lustres à enterrer. D’ailleurs, après une rencontre avec le président du PSNS, Assaad Hardan, le leader des Marada, Sleiman Frangié, a émis le souhait que «ces souvenirs ne soient pas utilisés dans cette campagne».
Pour Robert, cette élection vient à point nommé, après «deux ans d’échec et de provocation» des députés sortants. «A ceux qui disent qu’il est indécent de présenter quelqu’un face au candidat des FL, je leur dis que nous sommes en démocratie. L’enjeu politique du moment est capital et qu’il dépasse toutes les considérations de ce type. Nous, et nos alliés, avons une voix à porter». Dénonçant «le marchandage financier de Farid Makari et de ses sbires», Robert fait surtout référence à la crise syrienne qui s’est implanté au Liban. «Nous sommes aujourd’hui confrontés à un camp affidé aux intérêts de l’Occident et des pétromonarchies qui ont décidé de faire du Liban, avec des moyens militaires et communautaires, une base-arrière du complot ourdi contre Bachar al-Assad». La phrase sonne comme un coup de fouet. Il est là, le centre d’intérêt de ces élections, à ses yeux. «Nous devons mettre un terme à toutes ces dérives. L’islamisme gagne du terrain et le pays part à vau-l’eau. Nous avons pour mission de le défendre».
Dans ce contexte, le discours sur les promesses électoralistes du vice-président du Parlement non-tenues et le frein du développement de la région qui accueille pourtant la population la plus éduquée du pays ne passe qu’en filigrane.
Le pronostic de Robert est lucide. «Nous savons que cette élection va se jouer à pas grand-chose. Les schémas de 2005 et de 2009 semblent les mêmes, mais nous sentons un basculement dans le Koura. Il y a un ras-le-bol, les habitants ne veulent plus d’hystérie, ils veulent vivre paisiblement. Avec nos alliés du CPL et des Marada, nous allons gagner, j’en suis convaincu». 

Le 14 mars offensif
Dans la région de l’olive, les Forces libanaises mènent «une bataille décisive», explique William J. A 46 ans, ce dentiste de formation est originaire de Kousba, un village à quelques encablures à l’est d’Amioun. Sa famille est dispersée entre le Brésil et les Etats-Unis, mais lui n’a jamais quitté le Liban. Il n’est encarté à aucun parti politique, mais en 2005 et 2009, il a voté pour la liste Makari. «Le Hezbollah et l’axe syro-iranien qu’il représente posent un vrai problème pour nous, chrétiens», dit-il, pour expliquer son choix politique. «Et puis, il y a des raisons plus personnelles à mon choix. Je connaissais Farid Habib. Un homme sage qui savait défendre sa région. Il faut assurer une certaine continuité».
En relation avec des maires de la région, William estime que «la mobilisation est un peu floue, même s’il y a un vrai intérêt pour cette élection». Il poursuit. «Le Koura, le Liban et la région sont à un tournant décisif. Je suis favorable à la chute du régime criminel de Bachar el-Assad, par tous les moyens. Elle résoudra beaucoup de problèmes». Bien que souvent serrés, les scrutins du Koura ont toujours tourné à l’avantage de la coalition du 14 mars menée par le trident Makari-FL-Courant du futur. A eux trois, ils embrassent, du moins sur un strict plan communautaire, l’ensemble démographique du Koura. Les observateurs électoraux le savent bien: si le Koura abrite 65% d’électeurs grecs-orthodoxes et 20% de maronites, 12% d’entre eux sont sunnites. Ce sont eux qui feront basculer l’élection.
Disséminés sur l’ensemble de la circonscription, ils sont évidemment sensibles au contexte du moment. Engagés contre le régime syrien, les partisans sunnites du Courant du futur, présents dans le Koura, ont bien noté que c’est un candidat du PSNS auquel ils ont à faire. La semaine dernière, le secrétaire général du parti, Ahmad Hariri, s’est rendu dans le Koura pour mobiliser ses troupes. Serait-ce un facteur de mobilisation déterminant? En tout cas, pour l’opposition, le leader des FL, Samir Geagea en tête, cette élection est l’occasion rêvée d’un signal fort adressé à la majorité parlementaire. Sa stratégie est simple, mobiliser au maximum, au mieux pour atteindre les taux de participation des deux derniers scrutins. Pour le 14 mars, une victoire interviendrait à point nommé à quelques mois des élections générales.
Pour les deux machines électorales, l’enjeu est de mobiliser l’électorat, surtout pour l’opposition qui reste sur deux victoires consécutives dans cette circonscription très disputée. Les deux partis veulent en découdre. Le candidat des Forces libanaises, Fadi Karam, est originaire d’Amioun, le bastion historique du PSNS La campagne médiatique est partie sur des chapeaux de roue, les deux candidats déroulant leur vision totalement antinomique de la situation au Liban et en Syrie. L’influence des Eglises orthodoxes et maronites n’est pas à négliger. Ni celle des trois acteurs ministériels importants, le premier Najib Mikati et le ministre des Finances, Mohammad Safadi pour la communauté sunnite et le ministre de la Défense, Fayez Ghosn, l’autre mastodonte de la circonscription avec Farid Makari. La semaine s’annonce brûlante.

Julien Abi-Ramia

 

Un pour tous, et tous pour un
Les partis chrétiens ont-ils fini par s’assumer en tant que tels? Mardi matin, Nabih Berry a dû annuler la séance parlementaire en raison de l’absence des députés du CPL, des Forces Libanaises, des Kataëb, des élus d’Achrafié et de Zahlé. Dans la foulée, les ministres aounistes ont décidé de boycotter le Conseil des Ministres du soir, annulant la séance de facto.
Les partis chrétiens de la majorité et de l’opposition se sont insurgés comme un seul homme contre le projet de loi entériné la veille sur les journaliers de l’EDL. En cause, l’absence dans ce projet de quotas confessionnels assurant d’être admis sur concours au sein de la compagnie d’électricité. Celui qui réussit est engagé, quelle que soit sa religion. Et comme la quasi-totalité des journaliers de l’EDL sont de confession musulmane…
Après cette levée de boucliers, le leader du CPL, Michel Aoun a déclaré que ce qui s’est passé au Parlement «pourrait dessiner une nouvelle carte politique dans le pays»…

 

 

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