Magazine Le Mensuel

Nº 2853 du vendredi 13 juillet 2012

Talent

Les dessins croisés de Comic Transfer. Entre Beyrouth, Paris et Berlin

Comic Transfer est le nom d’un projet d’échanges et de rencontres d’auteurs de B.D. d’Europe et du monde arabe, lancé internationalement par l’Institut Goethe. Trois dessinateurs d’origine libanaise, française et allemande se sont échangé leurs pays d’origine pour partir à la découverte du thème «la ville et ses frontières». 

 

Comic Transfer est un nouveau programme de résidence du Goethe Institut. Un programme, dont l’une des phases concerne le Liban de manière directe, puisque trois auteurs de bande dessinée, originaires de Beyrouth, Paris et Berlin se lancent les premiers dans l’aventure et partent à la découverte de la ville de leur alter ego.
Trois villes: Berlin, Paris, Beyrouth. Trois dessinateurs: la Beyrouthine, Zeina Abirached; la Berlinoise, Pala Bulling et le Parisien Nicolas Wild. Trois regards sur une ville, une culture, une société. «Il s’agit de faire des ponts entre l’Allemagne, une ville/culture européenne et une culture/une ville arabe à travers trois auteurs de bandes dessinées originaires de ces trois villes, explique Zeina Abirached. Aurélie Marquer, bibliothécaire à l’Institut Goethe de Paris, qui connaissait bien mon travail, a pensé à moi pour l’auteur originaire d’une ville arabe et m’a contactée pour me proposer le projet».
Un projet qui tombe à pic pour notre dessinatrice, puisque le thème de Comic Transfer est «la ville et ses frontières». Un thème qui l’a de tout temps intéressée et sur lequel elle travaille depuis sa première B.D. et celles qui ont suivi: Beyrouth catharsis, 38 Rue Youssef Semaani, Je me souviens, Le jeu des hirondelles. «Ce qui m’intéressait à Berlin, et ce qui m’intéresse à Beyrouth, est justement cette question de la mémoire du territoire, comment les habitants ont fait pour intégrer le non lieu du no man’s land dans leur quotidien, dans leur circulation, dans la projection mentale qu’ils ont de leur ville, mais aussi dans leur mémoire collective».
C’est donc à Berlin que Zeina Abirached s’est rendue pour y passer une dizaine de jours durant le mois de juin en suivant la trajectoire dessinée par Paula Bulling qui, elle, s’est installée à Paris l’espace de ces quelques jours, alors que Nicolas Wild était à Beyrouth. La rencontre avec Nicolas Wild a lieu dans un café de la rue Hamra, auquel il s’est habitué durant son périple au Liban. Avant d’arriver, Abirached lui avait proposé «des parcours menant chacun à un lieu qui portait la mémoire d’une frontière (la Maison Jaune à Sodeco, le Passage du Musée, la Tour Murr…) ou un lieu qui racontait une frontière urbaine (pas forcément liée à la guerre), le quartier de Bourj Hammoud, Souk el-Ahad, la Corniche… Chaque mission était accompagnée d’une rencontre avec un artiste ou un acteur culturel libanais».
Mais Nicolas Wild n’a pas suivi toutes les missions proposées par Zeina Abirached. «J’ai pris beaucoup de liberté», affirme-t-il en souriant. «La ville et ses frontières est un thème assez large et complexe dans le cas de Beyrouth». En une dizaine de jours, Nicolas n’a pas eu le temps de vivre davantage d’expérience. Il regrette par exemple de ne pas avoir eu l’occasion de se rendre dans les quartiers sud, les camps de réfugiés palestiniens… Il s’est surtout concentré autour du centre-ville, Hamra, Gemmayzé, Bourj Hammoud, explorant les frontières entre les quartiers et «les frontières de la nuit». Quant aux frontières mentales des Beyrouthins, Nicolas s’est rendu compte qu’il « fut un temps où les gens se mélangeaient plus facilement. La guerre a également détruit la mixité culturelle et communautaire. Mais quand on est étranger, on ne le ressent pas beaucoup, parce que tout est un peu codé. Quand j’essayais d’en parler, les Libanais hésitaient au départ prétextant que ça ranimait de mauvais souvenirs. Puis au fil de la conversation, ils se laissaient aller à parler. Du coup, ça m’intéressait de rencontrer des gens qui veulent détruire les frontières entre les communautés».
Tout au long de cette résidence et bien après, les trois dessinateurs ont continué à alimenter régulièrement le blog (http://blog.goethe.de/comic-transfer/. Des dessins emmêlant humour, ironie, nostalgie, observation… A savourer! Mis à part le blog, une exposition est prévue le 22 octobre à l’Institut Goethe à Paris. Elle devrait en principe être transportée en Allemagne dans le cadre d’un festival de B.D., et peut-être au Liban, si l’occasion se présente. Peut-être également, y aura-t-il une éventuelle publication regroupant le travail des trois dessinateurs. En tout cas, Nicolas Wild semble avoir été marqué par certaines histoires qu’il a vécues au Liban, comme en témoigne le blog.

N.R.

 

 

 

Related

Sabine Choucair. Et si on riait pour se soigner!

Backes and Strauss. Lorsque science, lumière et temps donnent l’heure

Colette Haddad. Quand l’art rend hommage à la nation

Laisser un commentaire


The reCAPTCHA verification period has expired. Please reload the page.