Sous le mandat du président Charles Hélou, l’épuration judiciaire et administrative a pris de réelles dimensions. La présidence de Hélou s’est inscrite, dans un premier temps, dans la continuité de celle du général Fouad Chéhab. Il entendait poursuivre l’effort de réforme et de développement. Néanmoins, il a consenti diverses concessions, l’obligeant à remettre en cause l’indépendance de son administration à travers une épuration. Celle-ci s’est arrêtée net.
Le coup d’envoi de l’épuration judiciaire est donné en décembre 1965. Le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) prend la décision de licencier 12 magistrats, dont le président du Conseil d’Etat et celui de la Cour des comptes. C’était une première dans la vie judiciaire au Liban. La réforme jusqu’alors n’avait pas touché le corps judiciaire.
Dans les annales de l’Histoire du Liban, le principe de l’inviolabilité de la magistrature a toujours prévalu. Avec Charles Debbas, une exception a eu lieu. Le président prit la décision d’emprisonner des magistrats. Mais depuis, et même sous le mandat de Fouad Chéhab, aucune mesure contre des magistrats n’a été prise. Le président Chéhab avait créé les instruments de la réforme, mais il a fallu attendre le mandat de Hélou pour qu’elle s’enclenche. En mai 1965, l’immunité des fonctionnaires est levée. Deux lois pour la réforme du corps judiciaire et de l’administration sont votées durant les mois qui suivent.
La décision du CSM surprend l’autorité politique. Elle fait l’effet de boule de neige. Elle atteint plusieurs magistrats et fait nombre de mécontents. Le Conseil supérieur islamique se réunit et désapprouve cette décision. Le Conseil des ministres est devant un dilemme difficile: entériner la décision malgré l’opposition dont elle fait l’objet, ou la rejeter avec toutes les conséquences que cela aurait sur la vie judiciaire et politique.
Le Conseil des ministres a alors délibéré durant des heures avant d’entériner la décision. Il convoque le président du CSM, Badri Méouchy, et le chef de l’inspection judiciaire, Chawkat Mounla. Méouchy insiste sur la décision, estimant qu’elle est justifiée. Et Mounla met l’accent sur des dossiers concernant les magistrats licenciés.
Deux ministres démissionnent. Deux autres mécontents ne démissionnent toutefois pas. Cependant, une crise ministérielle s’annonce. Le président Hélou intervient personnellement, et soutient le gouvernement, affirmant qu’il ne peut pas faire marche arrière. La loi de l’épuration judiciaire et administrative semble en voie d’application. Le CSM décide de recourir au concours pour pallier les vacances et remplacer les magistrats licenciés.
Quelques semaines plus tard, en février 1966, quatre autres magistrats sont licenciés. Ainsi au total 16 magistrats sont remerciés.
En marge de l’épuration judiciaire, la réforme administrative est sur les rails. Quelque 358 fonctionnaires sont virés à la fin de l’année 1965, suivis au début de l’année 1966 par 54 autres fonctionnaires, dont deux directeurs généraux, et en mars 1966, par le licenciement de 115 fonctionnaires, dont deux directeurs généraux.
Après les magistrats et les fonctionnaires, c’est au tour des diplomates de faire partie du plan de la réforme. 14 d’entre eux, dont huit ambassadeurs sont écartés.
Le président Hélou explique dans la presse les mesures de réforme, les mettant dans le cadre de la consolidation de l’Etat. Il affirme que la réforme doit s’étendre à tous les domaines, et vise le redressement moral. Il explique que les périls de la non-réforme sont plus considérables que ceux de la réforme elle-même, appelant la nation à collaborer pour l’édification d’un Etat nouveau.
En mai 1966, la réforme est gelée. L’affaire s’arrête là. Des nominations comblent les vacances dans les différents postes. Mais les mesures envisagées dans les ministères, dont celui de l’Information ne voient pas le jour. La plus grande réforme que le Liban a connue n’a pas eu de suite.
A.K.
N.B: Les informations sur l’épuration sous le mandat de Charles Hélou sont recueillies auprès des articles sur Internet et du Mémorial du Liban: mandat de Charles Hélou de Joseph Chami
Voie de recours
Les réformes judiciaire et administrative entreprises sous le mandat de Hélou ont soulevé une vague de critiques. Le fait que ce soit deux organismes, dotés d’un pouvoir discrétionnaire, qui s’en occupaient signifiait que les personnes concernées n’avait ni recours ni possibilité de faire appel pour protester contre la décision.