Magazine Le Mensuel

Nº 2854 du vendredi 20 juillet 2012

En Couverture

Syrie. Les combats atteignent Damas

La crise syrienne a pris cette semaine un nouveau tournant. La capitale, épargnée jusqu’à présent, est désormais le théâtre d’une violence que les Damascènes n’avaient pas encore connue. Après le massacre commis à l’intérieur de la mosquée de Treimsa, le siège de la Sécurité nationale syrienne est pris d’assaut par un kamikaze. Bilan: trois morts dans les rangs de l’entourage de Bachar el-Assad.

 

L’immeuble du Conseil de sécurité national syrien, situé dans le quartier chic d’al-Rawda, a toujours laissé les damasquins perplexes, puisqu’il se trouve au milieu des boutiques les plus fréquentées de la ville. Ce Conseil, créé par Hafez el-Assad, longtemps présidé par l’ancien Premier ministre Abdel-Raouf el-Kassem, n’a jamais vraiment joué de rôle. Pourtant il fut réanimé par Bachar el-Assad, désireux de voir pour une fois les différents services de sécurité travaillant ensemble, nommant ainsi à la tête du Conseil et pour la première fois un militaire, le général Hicham Ikhtyar. C’est ce qui explique que lors de l’attaque suicide à la voiture piégée menée contre le bâtiment le 18 juillet, un grand nombre de ministres et de généraux étaient présents à l’intérieur de l’immeuble pour analyser les derniers événements, notamment les batailles qui avaient éclaté à Damas tout au long de la semaine. Le kamikaze s’avère être le chauffeur de l’un des hauts responsables sécuritaires au sein du régime et avait pu pénétrer à l’intérieur de l’enceinte sans être inquiété.
Le général Mohammad el-Chaar, ministre de l’Intérieur, et le général Hicham Ikhtyar furent gravement blessés, alors que le général Daoud Rajha, ministre de la Défense, et le gendre du président Assad, le tout-puissant Assef Chawkat, chef d’état-major adjoint, furent tués sur-le-champ. Un coup dur, qui mettrait en doute la capacité de Bachar el-Assad à se maintenir au pouvoir comme il l’a fait jusqu’à présent. Clairement, l’opposition armée vient de marquer un but décisif.

Treimsa: le massacre de trop
Les promesses en Syrie ne valent plus rien, qu’elles soient émises par le régime ou par ses opposants. En effet, il est clair que la guerre ouverte entre les deux camps ne connaîtra aucun répit et que chaque camp tente de briser l’autre par la force. Car 17 mois après l’éclatement de la révolte populaire contre le régime de Bachar el-Assad, les deux partis ne se sont pas assis une seule fois autour d’une même table pour discuter de leurs différends. Dans de telles conditions, seul le bruit des canons compte! Et dans ce conflit qui oppose deux forces inégales, ce sont les civils qui payent les frais de leur sang. Résultat, un nouveau massacre est commis à l’intérieur d’une mosquée à Treimsa, petit village dont la superficie ne dépasse pas les deux kilomètres, et situé au centre de la Syrie, causant la mort de plus de cent cinquante personnes. A majorité des civils, ils avaient fui leurs maisons, à la suite des bombardements, à l’artillerie lourde, par les forces gouvernementales. Une fois entrées dans le village, les forces du régime et les shabihas auraient brulé plus de trente maisons, détruisant à leur passage l’unique école du village et la seule clinique dans les environs. Rami Abdel Rahman, président de l’observatoire syrien des droits de l’homme, indique que «considérant la taille de la ville, c’est peut-être le plus grand massacre commis depuis le début de la révolution». C’est du moins la version des opposants qui ont posté sur le net une vidéo montrant une dizaine de corps de jeunes hommes, dont une majorité portant des barbes. Ils furent tous exécutés dans la maison de Mahmoud Darwish, le professeur d’anglais du village. La machine médiatique du régime Baas, quant à elle, n’a pas tardé à rétorquer, prétendant tout d’abord que la tuerie avait été commise par des groupes armés, avant de diffuser à l’antenne des aveux de soi-disant éléments terroristes impliqués dans les combats et qui ont nié l’existence d’un quelconque massacre. Ces aveux rappellent les procès staliniens durant lesquels les «coupables» avaient les visages enflés suite à la torture, ne pouvant en aucun cas exprimer la réalité sur le terrain; tout comme les vidéos téléchargées sur le net par certains opposants. Reste que pour Damas, il n’y a pas eu massacre puisque seuls trente hommes armés avaient été tués dans ces accrochages. Quant à Jihad Makdessi, qui depuis la disparition de la scène du vice-président Farouk el-Chareh, du ministre des Affaires étrangères, Walid el-Moualem et de la conseillère politique du président Bouthaina Chaabane, joue les premiers rôles, il ne nie pas les faits.
Il a, en effet, affirmé qu’au cours d’une conférence de presse, un exercice auquel il est devenu accro, des combats avaient bel et bien eu lieu dans la région, notant cependant qu’ils avaient opposé l’armée régulière à «des groupes terroristes n’ayant aucune confiance dans les solutions politiques». Le nouvel homme fort de Damas n’a pas manqué de critiquer Kofi Annan qui, selon lui, n’avait pas avancé le bon raisonnement et qui aurait dû attendre un peu plus de temps avant de pointer le régime syrien du doigt. Or, ce même Annan subit depuis des semaines les critiques des forces d’opposition syriennes qui l’accusent de faire le jeu du régime Assad qui veut à tout prix gagner plus de temps. Annan, en visite à Moscou, a préféré ne pas répondre à ces accusations. Une certitude cependant: le 12 juillet 2012, aucun des habitants du village à majorité sunnite n’a été autorisé à sortir, et quand l’assaut des forces de Bachar el-Assad fut terminé, il n’y avait plus aucun survivant.
Mais qui croire dans cette version? La réponse est simple: aucun des deux partis ne dit toute la vérité et rien que la vérité, d’où l’importance du rapport présenté par les observateurs internationaux et sur lequel Annan s’était basé pour critiquer Damas. Ces observateurs, postés à seulement cinq kilomètres de la région, auraient informé leur chef le général Robert Mood, dans un rapport détaillé, que les forces régulières avaient utilisé des hélicoptères d’assaut et des armes lourdes pour bombarder le village. D’ailleurs, lors de la visite des observateurs onusiens le samedi, soit deux jours après la tuerie, ils ont pu constater que plus de deux cents personnes avaient perdu la vie et que les immeubles étaient durement touchés par des raids aériens devenus de plus en plus communs à Hama. A la suite de ce rapport accablant pour le régime syrien, le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-Moon, a condamné le massacre. Dans une lettre adressée aux membres du Conseil de sécurité, il leur demande de travailler d’urgence à mettre fin au bain de sang en Syrie. Entre-temps, le Maroc demandait à l’ambassadeur syrien à Rabat de quitter le pays au plus vite en réponse au massacre commis à Treimsa, pendant que la Ligue arabe condamnait en des termes très durs «ce massacre qui noircit à tout jamais ses commanditaires et constitue un crime impardonnable». Le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, quant à lui, s’est directement adressé au président syrien Bachar el-Assad, le décrivant comme «un dictateur et un assassin qui vient d’ordonner un nouveau crime qui, à mes yeux, signale le début de sa fin». Ces massacres ont eu aussi un effet nocif sur la cohésion du régime puisque l’ambassadeur syrien à Bagdad, Nawaf Fares, réfugié au Qatar après avoir annoncé sa dissidence, a révélé que sa décision avait été prise dès le premier massacre commis par les forces du régime. D’ailleurs, les dissidences furent nombreuses en ce mois de juillet puisqu’un autre ambassadeur, Farouk Taha, en poste en Biélorussie, a fait le même choix. La liste des généraux commence avec Manaf Tlass et ne s’achève pas avec le général Adnan Sillo, sans oublier les rumeurs qui ont circulé sur l’évasion de la famille du général Rustom Ghazale, et démenties quelques heures plus tard par l’intéressé, à la télévision syrienne.
Ce qui inquiète le régime encore plus que les réactions internationales indignées par les massacres et le poids des dissidences, est le fait que la rébellion s’approche dangereusement de Damas. Ainsi, et pour la première fois, les habitants de la capitale des Omeyyades ont vu des chars déployés dans les rues, une scène presque jamais connue par la majorité d’entre eux. Un tel souvenir remonte à 1984 quand Rifaat el-Assad avait tenté d’arracher le pouvoir à son frère par la force. Damas qui est restée très tranquille, loin de la folie meurtrière qui déchire le pays, se trouve désormais au centre du conflit armé. Ces affrontements avaient commencé à l’intérieur même du camp palestinien d’al-Yarmouk. Ils ont dégénéré en combats dans les rues d’al-Tadamon, Kfarsoussa et surtout d’al-Midane. Ce dernier, situé au cœur même de Damas a toujours représenté un bastion pour les islamistes en général et les Frères musulmans en particulier. La route internationale qui relie la Syrie à Amman a été coupée pour la première fois au carrefour de Nahr Aïcha. Même les magasins du quartier des Mouhajerins, à des centaines de mètres seulement du palais présidentiel, ont fermé leurs portes. Cette fois, le président Assad, sa femme et son entourage le plus proche se trouvent, pour la première fois, dans l’œil du cyclone. Plus jamais ils ne pourront prétendre que la situation est sous contrôle, que le pays fait face à une guerre médiatique, et que tout allait pour le mieux sur le terrain. Quant aux observateurs onusiens, bien au frais depuis quelques mois à l’Hôtel Sheraton, on leur a rappelé que des gens mourraient dans la rue. Face à cette montée de la violence, le régime iranien s‘est investi à fond pour protéger son dernier allié sur la Méditerranée. C’est ce qui explique, et pour la première fois, que le ministère iranien des Affaires étrangères ait lancé une menace à peine voilée contre les opposants syriens, alors même que ces derniers réussissaient à imposer leur contrôle sur plusieurs quartiers populaires de Damas. Téhéran a ainsi relevé «que si la situation sécuritaire en Syrie empirait, ceci entraînerait une détérioration grave de la situation dans la région».
Entre-temps, le Conseil de sécurité a tenu plusieurs réunions afin de s’entendre sur une nouvelle résolution concernant la crise syrienne. Il est certain que les images de Treimsa étaient présentes dans les esprits des représentants des quinze Etats membres. Et bien que, de jour en jour, le bilan s’alourdisse, avec près de vingt mille victimes des deux côtés, il n’est pas sûr que cela suffise pour faire fléchir les positions russe et chinoise qui refusent l’adoption de toute résolution sous le Chapitre VII des Nations unies, protégeant contre vents et marées leur allié à Damas. Mais jusqu’à quand?

Walid Raad

 

Des scènes d’horreur
Depuis mars 2011, on n’arrive plus à dénombrer les massacres qui ont lieu à travers le territoire syrien. Déjà en décembre de la même année à Jabal al-Zawiya, les forces gouvernementales tuaient 200 civils. Le 3 février, le régime rasait au sol Baba Amr, causant la mort de dizaines de personnes et le 27 février, la ville meurtrie de Homs perd deux cents de ses habitants écrasés par les chars et tués par les tirs d’obus. Mais le massacre qui a le plus touché le monde est sans aucun doute celui de Houla. A l’aube du 25 mai, les habitants du village situé dans la province de Homs se réveillaient pour découvrir avec horreur que les forces gouvernementales étaient entrées dans leur ville durant la nuit et égorgé 34 femmes et 49 enfants. On avait alors cru que ce drame pousserait le monde à réagir pour mettre fin à ces exactions, mais ce ne furent que des illusions puisque deux mois plus tard, la machine à mort est toujours en marche. Le 6 juin, le village d’al-Qobeir dans la province de Hama fut envahi par les milices pro-gouvernementales qui semèrent la terreur et tuèrent à leur passage une cinquantaine de civils.

 

Difficile mission pour Annan
L’envoyé des Nations unies et de la Ligue arabe, Kofi Annan, se trouve dos au mur. Résultat, au cas où ses propositions ne sont pas adoptées par le Conseil de sécurité, il pourrait mettre fin à sa mission en Syrie. L’ancien secrétaire général des Nations unies propose de renforcer et de modifier sa mission, mais les Russes ne voient pas les choses du même œil. Selon eux, le but de la réunion est le renouvellement de la mission onusienne en Syrie et toute tentative d’adopter une résolution contraignante sous le Chapitre VII sera opposée par un véto. Les observateurs d’Annan présents sur le terrain depuis le 10 avril n’ont pourtant rien pu faire et la violence s’intensifie de jour en jour. Mais cet argument n’attendrit point les responsables Russes et Chinois qui maintiennent leur soutien absolu au régime Assad. Reste à noter que le texte avancé par Paris, Washington, Londres et Berlin à la demande d’Annan, prévoit l’imposition d’un ultimatum de dix jours à Damas pour cesser d’utiliser ses armes lourdes, sous peine de sanctions. Une résolution qui ne verra probablement jamais le jour !

 

Rustom Ghazalé
Roustom Ghazale n’est pas un inconnu, puisqu’il a servi pendant des dizaines d’années au Liban, faisant partie du service de renseignement militaire syrien à Beyrouth d’abord et ensuite à Anjar, remplaçant son ancien mentor Ghazi Kanaan. Suite à l’assassinat du Premier ministre Libanais Rafik Al-Hariri, son nom fut cité comme un suspect possible et il a même été interrogé à plusieurs reprises par les inspecteurs internationaux. Depuis son retour au pays, il a été, à la surprise générale, promu au grade de général deux étoiles, chargé des services de renseignement dans la région de Rif Dimashk. Suite à la révolte populaire dans sa province natale de Deraa, il est envoyé en urgence pour tenter de calmer la situation. Il a ensuite été nommé chef de l’unité 227 au sein de la police militaire stationnée à Damas. L’annonce faite le 16 juillet de sa fuite et celle de sa famille vers les camps de réfugiés en Jordanie a surpris puisque l’homme proche du dossier de la Banque al-Madina est connu pour avoir profité financièrement de son séjour au Pays des Cèdres. Quelques heures plus tard, il prenait la parole sur Addounia pour assurer «je reste auprès de mon chef le président Bachar el-Assad.» Tout est bien qui finit bien.

 

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