Magazine Le Mensuel

Nº 2862 du vendredi 14 septembre 2012

En Couverture

Bachir Gemayel. Un destin hors du commun

Enfant terrible des Gemayel, Bachir est né le 10 novembre 1947. Turbulent et espiègle, il donne du fil à retordre à ses éducateurs mais n’en demeure pas moins très aimé de tous. Meneur d’hommes, il était de toute évidence, appelé à commander. Mais nul n’imaginait alors qu’il pourrait accéder un jour au plus haut sommet de l’Etat.

Le père de Bachir, Pierre Gemayel, est pharmacien, mais connu surtout dans la sphère politique. Il avait fondé en 1936, les Phalanges libanaises (les Kataëb), dont le nationalisme s’appuyait sur la morale chrétienne et appliquait une discipline quasi militaire.
C’est en 1969 que le jeune homme entre en politique active, comme on entre en religion et devient membre des jeunesses du parti dont il prend la direction. Ses amis lui reconnaissaient des qualités de chef et, dès les bancs de l’école, ses camarades lui prédisaient le succès, même si, à leur âge, ils ne pensaient pas à une éventuelle candidature à la plus haute fonction publique. Ses défauts, il les reconnaît lui-même. Il admet qu’il réagissait violemment à tout ce qui l’empêchait de faire ce qu’il voulait. Ainsi, on raconte que lorsque son père résistait à l’un de ses caprices, il faisait le tour de Bikfaya pour décoller les portraits de son père affichés sur tous les murs de leur village natal. Quand il en voulait à sa mère et à la stricte discipline à laquelle elle le soumettait, il débranchait toutes les prises électriques de la maison.
En 1978, dans une entrevue avec les journalistes de Magazine, il confiait: «Je suis trop spontané, trop direct, trop cassant, trop carré… »

Profession: Avocat
Il suit une filière scolaire classique. Après les classes du secondaire chez les pères jésuites et des études à l’Université Saint-Joseph, il décroche une licence en droit et arbore la toge de la fonction. Il n’a pas le temps de vraiment pratiquer sa profession. Le 13 avril 1975, comme beaucoup de jeunes de sa génération, il est pris de court et se retrouve l’arme au poing à la tête de tous les fougueux qui, abandonnant toutes leurs activités professionnelles ou sociales, décident de défendre leur pays.
En huit années de guerre, Bachir Gemayel prend des dimensions nationales et commande la résistance libanaise. Bien que contesté par les uns, il est appuyé par beaucoup d’autres et, pour tous, il est l’exemple du courage et de l’énergie, parfois d’ailleurs, inquiétants pour ne pas dire même effrayants.
Les exemples des sanctions admonestées à ses rivaux pour rassembler les rangs sont multiples.
Contrairement à ce que certains, et ils étaient nombreux, à le penser, Bachir Gemayel n’a jamais été sectaire. Sur le plan politique, il a sans cesse prôné l’ouverture. Dans les interviews que le commandant des Forces libanaises accordait à la presse, et en particulier à Magazine, il s’est toujours déclaré opposé à toute partition. Il dénonçait toute idée de foyer chrétien et rejetait catégoriquement l’éventualité d’une implantation palestinienne. C’est d’ailleurs contre celle-ci qu’il a prioritairement lutté.
Dès 1979, il affirmait : «La libération d’abord… ensuite on verra».

Vie privée
Il a 20 ans, en 1967, lorsqu’il rencontre Solange Toutounji, fille de l’un des membres fondateurs, aux côtés de Pierre Gemayel, du parti Kataëb. La jeune fille est rôdée à la politique et connaît le sens de l’engagement. Bachir est encore étudiant. Ils se retrouvent souvent et sont gais, vifs et amoureux l’un de l’autre, mais aussi de la vie.
Dix ans plus tard, profitant d’une brève période d’accalmie, ils décident de se marier. En guise de voyage de noces, ils font un voyage éclair qui les mène à Rome, Venise et Paris. Ils en gardent un merveilleux souvenir.
Mais leur joie est de courte durée. Deux ans plus tard, ils paient le prix de leur attachement à la patrie.
Un odieux attentat au quartier Sursock, en mai 1980, plonge le pays dans une atmosphère de cauchemar. Une fois de plus, une violence aveugle s’acharne sur les enfants, les femmes, les vieillards, les civils. Une explosion perpétrée en plein jour fait huit morts, dont la fille de Bachir et Solange Gemayel: Maya, âgée de 18 mois et les hommes de confiance de cheikh Bachir: le chauffeur, Elias Lahoud deux gardes du corps Nehme Ghanem et Tony Wakim.  Selon les témoins oculaires, l’explosion a été si violente que des débris ont été retrouvés à cinq cents mètres à la ronde. Le premier moment de stupeur passé, les miliciens du service Kataëb de sécurité, se trouvant en bas de la descente Accaoui, affluent sur le lieu de l’attentat.
Beaucoup sont alors convaincus que la véritable cible était Bachir. Les auteurs de l’attentat croyaient que le chef du commandement unifié des «forces libanaises» se trouvait à bord de la Mercedes, qu’il a l’habitude de piloter lui-même. Mais Gemayel, souffrant, se trouvait à son domicile, non loin du lieu de l’explosion. Cet attentat survient alors que la situation était très tendue depuis le début du mois de février de cette année-là.
Les charges explosives, placées sous la voiture, ont été actionnées par télécommande au moyen d’un dispositif électronique placé au pied du mur de l’enceinte du palais Bustros, au passage de la Mercedes 450 de cheikh Bachir à bord de laquelle se trouvait Maya, sa fille.
Solange et Bachir surmontent avec courage le drame, et la détermination de ce dernier ne flanche en aucune manière. La vie leur offre des compensations et la naissance de leur fille Youmna en décembre 1980, et celle par la suite de Nadim, leur apportent de nouvelles joies.
 Très attaché à sa famille, c’est auprès d’elle que cheikh Bachir passe ses rares moments de détente. Ses enfants trop jeunes ne réalisent pas les fréquentes absences de leur père, mais Solange, elle, est carrément privée de sa présence. Consciente des responsabilités de son époux, elle savait en l’épousant à quoi elle devait s’attendre, et ne s’en plaignait donc pas. Elevée, elle-même, dans une famille engagée en politique, elle l’était aussi et n’ignorait rien de ses servitudes.

Mouna Béchara

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