Magazine Le Mensuel

Nº 2854 du vendredi 20 juillet 2012

LES GENS

Ray Lahood. Valeurs américaines, persévérance libanaise

Secrétaire des Transports dans le gouvernement Obama depuis 2009, Ray Lahood est la seule personnalité d’origine arabe qui occupe un poste aussi important. Il a gravi les échelons de la politique avec beaucoup de discrétion. Portrait d’un ministre, attaché aux valeurs de l’Amérique, qui n’oublie pas ses origines.

 

Pauline Mouhanna, Illinois, Etats-Unis.

A Peoria, dans l’Illinois, où les Libanais sont installés depuis des décennies, il suffit de prononcer le nom de Ray Lahood, 66 ans aujourd’hui, pour que des sourires se dessinent et que les compliments affluent. Ray est l’enfant du pays et il le restera.

Un homme accessible
Le ministre a grandi ici, entouré de sa famille, de ses cousins et de ses amis. C’est là qu’il se sent bien et c’est, sans doute, pourquoi il ne rate aucune occasion de s’y rendre. Loin de Washington D.C et de sa complexité politique, le secrétaire des Transports est père de 4 enfants Darin, Amy, Sam, et Sara et de neuf petits-enfants qu’il chérit très fort. En époux attentionné, il prend grand soin de sa femme Kathy. Fidèle de l’Eglise maronite de Saint-Charbel, il est très connu du père Fawzi Elia qui ne tarit pas d’éloges à son égard. Pour lui, les ministres tels que Ray Lahood sont des perles rares. La raison: «il a su rester lui-même et toujours accessible». Il est vrai qu’à Peoria où, avant lui, aucun Américain d’origine libanaise n’a pu accéder au pouvoir politique, Lahood est resté disponible et proche des membres de sa communauté. Il a su également garder les pieds sur terre. Cela est sans doute lié à l’éducation qu’il a reçue. «Mes parents, dit-il, ont tout fait pour nous transmettre les valeurs familiales. Nous avons grandi entourés de nos proches. Nous avons toujours été une famille très unie. Chaque dimanche, nous nous réunissons à Peoria». Ses parents ont voulu aussi lui assurer la meilleure éducation. «Mon père pourtant dirigeait un petit restaurant. Mais il n’a pas hésité à travailler 7 jours sur 7 pour que nous soyons épanouis. Véritable bosseur, il n’a jamais oublié que ses propres parents se sont battus pour quitter Aïtou au Liban et se rendre en Amérique». Ses grands-parents paternels n’ont pas pu malheureusement transmettre leur langue d’origine à leurs enfants et petits-enfants. Le ministre ne parle donc pas l’arabe, mais il est particulièrement fier de son fils Sam (lire l’encadré): «Il est le seul de mes 4 enfants à s’exprimer parfaitement en arabe. Il a fait des études dans l’Etat du Wisconsin avant de se spécialiser, pendant deux ans, à l’Université américaine de Beyrouth sur le Moyen-Orient. Sam a également fait un séjour de 18 mois en Egypte». L’obstacle de la langue n’a cependant pas empêché le secrétaire des Transports de se rendre très souvent au Liban.

Au Liban, tous les ans
Mais Ray Lahood a attendu de nombreuses années avant de se rendre au Liban pour la première fois. Il a découvert le pays de ses ancêtres quand il a occupé des positions politiques nationales. Cela remonte à 1995. Avant cette année, Lahood qui avait obtenu un diplôme en éducation et en sociologie de l'Université de Bradley, enseignait dans les écoles publiques et catholiques. Sa carrière politique débute en 1982 lorsqu’il est élu à la Chambre des représentants de l’Illinois. En 1995, il accède au Congrès américain. «Après mon élection, raconte-t-il, j’ai visité le Liban et j’ai connu le Premier ministre Rafic Hariri. C’est, par le biais de mon fils Sam, qui a travaillé pour lui alors qu’il séjournait au Liban, que je l’ai rencontré. Depuis, nos deux familles sont devenues amies». Outre les Hariri, le secrétaire des Transports s’est rapproché de plusieurs personnalités politiques libanaises. «Comme je visitais le pays chaque année depuis 1995, je me suis fait plusieurs amis. J’ai aussi eu la chance de me faire une idée plus approfondie de la situation politique». A l’occasion de ces séjours, Lahood profite pour faire du tourisme et découvrir le pays coin par coin. Quant à la visite d’Aïtou, elle n’a pas lieu tous les ans. Et pour cause: «Ce petit village du Nord ne compte pas plus de 200 personnes. Lorsqu’ils savent que je compte m’y rendre, les habitants se donnent beaucoup de mal. Ils veulent organiser des cérémonies, une messe, des fêtes en mon honneur. C’est beaucoup de travail pour eux».

La carte de la discrétion
Pourtant, le secrétaire des Transports est demeuré très attaché à Aïtou. A Peoria, les responsables de l’organisation dédiée à ce village expliquent à quel point le ministre leur tend la main lorsqu’ils ont besoin de lui. Mais sur cette aide, tout comme sur tant d’autres sujets, Lahood se fait discret. Il n’étalera ni ce qu’il fait pour le Liban ni ce qu’il pense réellement de la situation politique actuelle. Lorsque la question lui est posée de savoir s’il ne se rendra pas au Liban cette année à cause de ce qui s’y passe actuellement, il dément. Quand vous lui demandez quel message il adresse aux Libanais, il réplique qu’ils sont très intelligents, qu’il n’a pas de conseils à leur donner, mais qu’ils doivent choisir des responsables politiques décidés à vraiment servir le pays. Il ne faut pas non plus s’attendre à ce que Lahood porte des accusations contre une partie politique précise. «Le Liban, dit-il, est situé dans une région délicate. Il est influencé par tout ce qui se passe en Syrie et par des forces extérieures». Bref, Lahood se veut discret et ne porte pas de jugement sévère à l’égard de ses compatriotes. Ainsi, lorsque vous l’interrogez sur la désunion au sein de la diaspora libanaise, il explique: «En politique, c’est difficile d’avoir une même idée. Cela n’est pas le seul fait des Libanais». Pour lui, ces derniers sont des bosseurs et partagent des idées en commun, comme leur volonté de réussir et de travailler dur. Seul moment où Lahood semble s’emporter, c’est lorsqu’il rappelle aux Libano-Américains qu’ils doivent absolument visiter leur pays d’origine. Pour lui, ils doivent mieux s’intéresser au Liban, bien s’informer sur le pays et démontrer au monde entier que ce pays est important. Il ajoute que les Libano-Américains doivent également marquer de leur empreinte leur pays d’adoption. Ils doivent faire leurs preuves en restant modérés. Une position qu’il adopte lui-même. C’est sans doute l’une des raisons qui a poussé le président démocrate Obama à le choisir, lui, le républicain à la tête du ministère des Transports. Une nomination qui n’est pas passée inaperçue Outre-Atlantique. Les médias américains n’ont pas manqué de souligner son expérience limitée dans le les questions relatives au transport. Mais la majorité a salué aussi ses formidables compétences politiques acquises au cours de trois décennies de travail au Capitole. Pour le sénateur McCain, Lahood a toujours su «que les compromis bipartisans offrent souvent les meilleures solutions aux problèmes auxquels sont confrontés les pays». Un avis partagé par le Président Obama qui a considéré en le choisissant que cette nomination reflète cet esprit bipartisan. «Un esprit dont nous avons besoin afin de faire progresser les Etats-Unis». Depuis 2009, Lahood, fidèle soldat du Président américain applique, presque à la lettre, les projets de ce dernier. Ses priorités sont la sécurité routière, le développement durable, la construction de nouveaux moyens de transport. L’agence qu’il dirige emploie plus de 55.000 personnes et le budget consacré à son ministère s’élève à 70 milliards de dollars. Cela ne semble ni l’effrayer ni l’impressionner. Nul doute, le pouvoir ne lui est pas monté à la tête.

PM.

 

Ce qu’il en pense

– Relation entre le Liban et les Etats-Unis
Le président Sleiman et le président Obama se sont rencontrés lors de la dernière visite du président libanais. La rencontre s’est bien passée. Je pense que c’est une relation aboutie. D’ailleurs, beaucoup de responsables américains se sont déjà rendus au Liban.

L’impact de la prochaine présidentielle sur le Liban
Le président Obama a toujours très bien reçu les responsables libanais à la Maison-Blanche. Cela continuera s’il est réélu. Je ne peux pas me prononcer sur la position du gouverneur Romney en ce qui concerne le Moyen-Orient et le Liban. Mais je sais en tout cas que sous la présidence d’Obama, la relation entre les 2 pays est bonne.

-Possible collaboration entre son ministère et le ministère des Transports libanais
J’ai déjà remis, au ministre libanais des Transports, l’année dernière au cours d’une conférence que j’ai donnée à l’Université du Saint-Esprit Kaslik, des projets portant sur la sécurité routière et les transports en commun. J’attends toujours de ses nouvelles pour pouvoir aider ce ministère libanais.

Sam, ce fils qui a fait le plus parler de lui
Des 4 enfants de Ray Lahood, Sam, 36 ans, est le plus connu aux Etats-Unis. Après ses études au Liban, il a travaillé pour l’ambassade américaine en Irak en 2005 et 2006. En 2008, il est devenu membre de la campagne présidentielle de John McCain. Il a fait parler de lui, récemment, parce qu’il a été poursuivi en justice en Egypte. Il dirigeait une ONG lorsqu’il a été accusé par l’armée de financer et de soutenir des manifestations anti-gouvernementales. Il est finalement rentré aux Etats-Unis après des négociations intenses menées entre son pays et les dirigeants égyptiens.

 

 

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