Magazine Le Mensuel

Nº 2855 du vendredi 27 juillet 2012

Semaine politique

Etat et partis. Impuissance généralisée

Les journaliers de l’EDL, dont les problèmes ne sont toujours pas réglés, ont ouvert la voie à l’ensemble des fonctionnaires du service public qui manifestent, depuis plusieurs jours, contre la stagnation de leurs salaires. Une colère sociale qui reflète l’apathie du monde politique traversé de multiples remises en cause.

 

L’enchevêtrement de crises qui secouent le pays depuis des mois ne doit rien au hasard. Le verdict est sans appel. La politique de distanciation, promue par le gouvernement vis-à-vis du conflit en Syrie, a lamentablement échoué. Avec en son sein un Hezbollah plus proche que jamais de la ligne de mire de la communauté internationale et d’Israël, un Najib Mikati décidé à satisfaire les instincts communautaires des sunnites et un CPL incapable d’imposer son agenda intérieur, le résultat était connu d’avance. Dernière preuve de cet échec, l’affaire Mansour-Sleiman. Lundi, le chef de l’Etat a demandéau ministre des Affaires étrangères, Adnan Mansour, de convoquer l’ambassadeur syrien à Beyrouth, Ali Abdel Karim Ali, et de lui remettre une lettre de protestation contre les atteintes répétées à la souveraineté du Liban. Mais le ministre, nommé par Nabih Berry, a préféré lui envoyer une note diplomatique, estimant que «la convocation n’est pas de mise entre frères».
Plus occupés par la survie ou non du régime de Bachar el-Assad, les politiques ont délaissé ce qui devrait être leur rôle premier en ces temps incertains: canaliser la colère de la population. Depuis plusieurs semaines, ils sont débordés de toutes parts. Jusque dans les institutions publiques, infectées jusqu’à la moelle par le cancer le plus agressif dont souffre le pays, à savoir la surpuissance des partis qui ont annihilé il y a 40 ans toute notion d’intérêt général et d’impartialité.

Le corporatisme à la sauce libanaise
A la faveur de la paralysie du gouvernement, les fonctionnaires mettent la pression. Après plus de 80 jours de grève, de sit-in et de manifestations, le mouvement des journaliers de l’EDL persiste. Devant le siège de l’institution à Beyrouth, ils sont quelques dizaines, à intervalles réguliers, à entraver le travail de la compagnie en brûlant des poubelles ou en empêchant les techniciens de terrain d’utiliser leurs véhicules de fonction. Le mouvement s’est externalisé dans le Sud et dans la Békaa où les journaliers n’hésitent pas à bloquer les routes.
On le sait, l’affaire dépasse largement les questions légitimes de revendication salariale. Le bras de fer qui oppose les employés de l’EDL à la direction se joue sur le terrain politique entre Nabih Berry et le CPL. Pour apaiser les tensions, Gebran Bassil a rencontré ces derniers jours des hauts responsables du Hezbollah et le leader des Marada. Sleiman Frangié, jusque-là extrêmement discret, s’est entretenu avec le président du Parlement. Le ministre de l’Energie a par ailleurs appelé les partisans du CPL «à la retenue». «Il faut s’exprimer de manière civilisée, le message parviendra à son destinataire et les droits de tous seront satisfaits. Je comprends le profond malaise des employés et j’espère qu’ils feront preuve de compréhension». Un discours de circonstance, solidarité politique oblige. Car, entre les deux partenaires, le contrat de confiance a été sévèrement écorné et rien ne laisse présager de la fin du mouvement.
D’autant que, malgré les mises en garde des autorités de tutelle, le comité de coordination de la Fonction publique a appelé lundi à une grève générale pour protester contre le retard que prend la promulgation d’une nouvelle échelle des traitements et salaires. Le lendemain, ce sont plus de 200 000 fonctionnaires qui se sont mis en congé de travail. Des piquets de grève ont été mis en place aux entrées de nombreux ministères. Premier touché, le ministère de l’Education qui devrait plancher en ce moment sur la correction des épreuves officielles. Le ministre Hassan Diab proteste contre ce qu’il a qualifié de «grève sauvage qui compromet les inscriptions universitaires de 40 000 élèves des classes terminales et la seconde session d’environ 60 000 élèves du brevet. Ce sont 100000 élèves ainsi pris en otage».

Dans la mesure du possible
Pour répondre à la colère sociale, il ne faudra pas compter sur la prochaine séance de dialogue. La semaine dernière, au cours d’une réunion élargie de ses cadres à Beit el-Wassat, le 14 mars a décidé d’y suspendre sa participation. Pour un éventuel retour à la table des négociations, l’opposition réclame deux mesures préventives. D’abord l’ouverture à la justice des données téléphoniques suite aux tentatives d’assassinat dont ont été victimes Sami Gemayel, Samir Geagea et Boutros Harb, ensuite l’inscription à l’ordre du jour de la question des armes de la Résistance. Une position qui a sans doute mis le président Sleiman dans l’embarras. Le chef de l’Etat a dépêché Khalil Hraoui auprès des piliers du 14 mars pour les convaincre de revenir sur leur décision. La tentative ayant échoué, le couperet est tombé mardi. «A la suite des concertations entreprises par le chef de l’Etat avec les divers protagonistes du comité de dialogue, et du fait de la nécessité d’entreprendre des concertations supplémentaires, le président de la République a décidé de reporter la séance au 16 août», a indiqué un communiqué émanant de Baabda.
Visiblement, l’opposition est dans une phase d’attente. La précipitation des événements en Syrie l’a sans doute conduite à rester en retrait et à observer l’évolution de la situation de l’autre côté de la frontière. Sur le plan institutionnel, le 14 mars est dans une position confortable. En tout cas, il a su unifier ses rangs. Une gageure au vu de ce qui se passe du côté du gouvernement et de la majorité.
L’enchevêtrement de crises qui secouent le pays depuis des mois ne doit rien au hasard. D’autant que la communauté internationale s’intéresse désormais de très près à ce qui se passe au Liban car elle estime aujourd’hui que le pays du Cèdre est devenu partie intégrante du conflit en Syrie.
Au cours d'un entretien mardi avec le Premier ministre Najib Mikati, le coordonnateur spécial des Nations unies pour le Liban, Derek Plumbly, a exprimé sa préoccupation devant les incidents qui se sont récemment produits le long de la frontière avec la Syrie. Israël a mis en garde contre un éventuel acheminement d’armes chimiques syriennes à destination du Hezbollah et des milliers de réfugiés syriens ont afflué ces derniers jours. Le Liban entre en zone de turbulences.

Julien Abi-Ramia

 

Houssam Houssam réapparaît
Dimanche dernier, une vidéo, postée par les rebelles syriens, a annoncé la capture, la veille, dans le quartier de Mazzé à Damas, de Houssam Houssam, ce supposé agent des renseignements syriens qui avait présenté un faux témoignage dans l’affaire de l’assassinat de Rafic Hariri. L’homme qui apparaît sur les images présente en effet une forte ressemblance avec l’agent syrien en question. Il se présente comme «Houssam Taher Houssam, témoin de l’affaire du martyr et défunt Rafic Hariri». «J’ai des informations, emmenez-moi à Beyrouth, laissez-moi juste rejoindre Beyrouth et je vous révélerai de grandes surprises que vous n’avez même pas rêvé d’avoir, emmenez-moi juste à Beyrouth». Le chef du groupe rebelle, Abou Ali Doumani, a expliqué: «l’enquête que nous avons menée avec Houssam a révélé des sujets explosifs jusque-là inconnus du public qui sera surpris de les entendre». Au Liban, les réactions ne se sont pas fait attendre. Du côté du Courant du futur et de Marwan Hamadé, on préfère adopter une position de méfiance vis-à-vis de Houssam. «Il faudrait que la justice l’entende», a déclaré l’ancien ministre. Au bureau du TSL, on explique que c’est au procureur du tribunal de décider s’il veut entendre les «surprises» promises par le captif des rebelles syriens. Il faut noter que Le TSL ne considère pas Houssam Houssam comme un faux témoin, puisqu’il n’a pas encore témoigné devant le Tribunal, mais seulement devant la Commission d’enquête internationale.

   


 

 

Alaeddine Terro, ministre des Déplacés
Les attentats à caractère politique sont inadmissibles

 

Ministre des Déplacés, membre du Parti socialiste progressiste, Alaeddine Terro brosse le tableau des relations du parti, et notamment de son chef Walid Joumblatt, avec le Hezbollah et le régime syrien.

 

Nous avons lu les critiques que Walid Joumblatt a adressées au secrétaire général du Hezbollah qui a qualifié les responsables syriens de la sécurité de compagnons d’armes. Qu’est-ce que cela signifie?
Ceci ne signifie rien de nouveau. Nous maintenons nos relations et notre coopération avec le Hezbollah. Ce clin d’œil de Walid Joumblatt était nécessaire en ces moments difficiles que font vivre au peuple syrien ses dirigeants. D’autant plus que ces derniers ont participé d’une manière ou d’une autre à la répression, aux arrestations et aux attentats contre leurs citoyens. Ce qualificatif était quelque peu surprenant de la part d’un leader nationaliste, arabe, musulman et résistant qui a tant donné pour la cause palestinienne.

 

Jusqu’à quand soutiendrez-vous les armes de la Résistance?
Nous traitons ce sujet dans le cadre du dialogue national présidé par le chef de l’Etat. Nous devons trouver une solution à ce problème épineux, à celui des armes palestiniennes hors des camps et à toutes les armes qui se trouvent dans les villes et les villages et qui n’ont aucune raison d’être.

 

La relation avec le Hezbollah peut-elle se dégrader avec l’approche de la chute du régime syrien?
La relation avec le Hezbollah ne se détériorera pas pour cette raison. Il est probablement attaché à sa vision du régime en Syrie alors que nous soutenons le peuple et nous dénonçons les massacres dont il est victime. La chute de ce régime est nécessaire afin que le peuple puisse décider de son sort.

 

Vous avez évoqué le dialogue national, mais nous avons entendu le député Mohammad Raad dire que le Hezb refuse le débat autour de la stratégie de défense tant que la libération n’est pas achevée…
Cette déclaration de notre collègue est une erreur car, le fait même d’accepter de revenir autour de la table du dialogue signifie une acceptation de débattre de la stratégie de défense et des armes. Cette question inscrite au programme du dialogue établi par le président de la République est claire et sans ambiguïté. Il aurait dû refuser dès le début le dialogue et l’ordre du jour. En ne le faisant pas, il donne un accord de principe au débat autour de cette question qui ne sera pas résolue dans l’immédiat, mais il s’agit d’une affaire nationale par excellence. Tout le monde est d’accord sur la protection du pays et sur le fait que les armes servent contre les agressions israéliennes. Mais quel est le rôle de la Résistance et qui donne l’ordre de riposter? Ces questions doivent être débattues autour de la table du dialogue.

 

Croyez-vous que le Hezbollah acceptera de remettre ses armes à l’Etat?
Partout dans le monde, lorsque le pays est exposé à des agressions de la part d’un Etat ennemi ou ami et qu’il existe une résistance et un Etat, la décision revient à l’Etat et à l’armée responsable de toutes les armes qui se trouvent à l’intérieur du pays et qui servent à le libérer. Il arrivera un jour où la Résistance acceptera la nécessité de s’en remettre à l’Etat.

 

Que pensez-vous de la demande du président Michel Sleiman d’adresser une lettre de protestation à l’ambassadeur de Syrie à la suite des infiltrations syriennes des frontières libanaises?
Ceci est normal dans tous les pays exposés à des agressions. L’Etat agressé se doit de porter plainte. En décidant au cours des dernières semaines d’envoyer l’Armée libanaise au Nord, c’était d’abord pour protéger les frontières et les civils, d’empêcher les attaques syriennes et les envois clandestins d’armes libanaises en Syrie et surtout de ne pas impliquer le Liban dans la crise syrienne. L’initiative actuelle donc du président de la République est importante dans ce contexte.

 

Qu’adviendra-t-il si le ministre libanais des Affaires étrangères demandait une décision du Conseil des ministres pour remettre la lettre à son homologue syrien?
Le Conseil des ministres étudiera la question.

 

Le 14 mars demande la remise des datas des communications et de mettre un terme aux attentats pour ne pas boycotter le dialogue. Qu’en dites-vous?
Nous avons été, dès le début, pour la remise des datas aux services de sécurité. Ces derniers doivent obtenir tout ce qui peut faciliter leur action. Certains partenaires au sein du gouvernement refusent d’en remettre la totalité par manque de confiance dans ces services.

 

Qui, selon vous, est l’instigateur des attentats au Liban?
Nous ne voulons pas entrer dans des accusations directes. Ceci relève de la responsabilité des services de sécurité et de la justice.

 

Le député Walid Joumblatt a informé le président de la République de ne pas pouvoir participer au dialogue pour des raisons sécuritaires, et le député Akram Chéhayeb est en voyage pour les mêmes raisons. Le PSP est-il pris pour cible?
Ceci est dû à nos prises de position politique. Cela s’applique aussi au président Nabih Berry et à d’autres leaders tels que Samir Geagea et Boutros Harb. Les attentats à caractère politique sont inadmissibles.

 

A votre avis, jusqu’à quand peut tenir ce gouvernement?
Il tiendra tant qu’il n’y a pas de possibilité de former un nouveau gouvernement et surtout de véritable union nationale et tant que cette équipe travaillera dans la mesure de ses moyens. Ce gouvernement a, probablement, le plus de réalisations à son actif.

 

C’est sous le mandat de ce gouvernement qu’il y a eu le plus de grèves et des manifestations…
Chacun se souvient des grèves qui ont eu lieu au Liban sous les gouvernements les plus forts et combien étaient présentes les revendications populaires… Ceci n’est pas nouveau.

 

Nous avons évoqué la durée de vie des gouvernements, la chute du régime syrien entraînera-t-il celle du gouvernement?
Ce gouvernement n’est pas lié au régime syrien et ne lui doit pas sa formation même si certains ministres ont des relations avec lui.

 

Enfin, que pensez-vous de la menace d’armes chimiques brandie par le président Bachar el-Assad et de la mise en garde du président américain Barack Obama?
Ce sujet a deux volets: le régime syrien ne résistera pas à l’utilisation de n’importe quelle arme pour se maintenir en place. D’autre part les outils de répression utilisés par le régime contre le peuple syrien sont nombreux et équivalent aux armes chimiques.

Propos recueillis par Saad Elias

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