Des voitures chargées de valises traversent la frontière libano-syrienne au quotidien. Cet exode de réfugiés vers le Liban présage-t-il d’une crise humanitaire ou représente-t-il une manne pour les hôteliers et les commerçants?
C’est une véritable traversée du désert qu’ont accomplie les réfugiés syriens, certains à pied, d’autres en voiture. Une fois de plus, l’histoire semble se répéter, mais en sens inverse. Contrairement à 2006, lorsque les vents de la guerre contre Israël poussaient inexorablement les Libanais vers Damas, ce sont des milliers de Syriens qui ont emprunté l’autoroute pour se réfugier au Liban.
Les chiffres sont toutefois peu précis puisqu’ils varient selon les sources. Le Haut Commissariat aux réfugiés des Nations unies (UNHCR) a déclaré que 30 000 réfugiés avaient traversé la frontière en 48 heures, d’autres sources, comme l’activiste et avocat Nabil Halabi, les estiment à 40 000 personnes qui auraient trouvé asile au Liban ces derniers jours. «De nombreux réfugiés refusent de déclarer leur présence, afin d’éviter une éventuelle persécution de la part des alliés locaux de Damas», précise-t-il.
Cet important flux de réfugiés fait suite à l’explosion ayant secoué Damas mercredi dernier, provoquant la mort de quatre hauts responsables sécuritaires appartenant à la nomenclatura du Régime Assad. «La plupart de ces réfugiés se dirigent vers le Liban, le pays le plus proche géographiquement des régions actuellement en proie à la guerre, telles les villes de Homs et Damas», précise Halabi. Ces dernières sont ravagées, depuis plusieurs semaines, par de violents combats et bombardements. La Jordanie, elle, a limité le nombre de réfugiés pouvant pénétrer sur son territoire assurent certains activistes syriens basés à Amman. «En fait, on permet à près de 1000 Syriens d’entrer quotidiennement en Jordanie alors qu’environ 800 autres y pénètrent illégalement, nous sommes actuellement en négociation avec le gouvernement, afin de lever cette mesure», assure l’activiste syrien Ahmad-al-Masri. Ce dernier estime toutefois que, au cas où les combats dégénéreraient à Daraa, des milliers de personnes seraient forcées de prendre la route du Royaume hachémite.
Au Liban, un grand nombre de réfugiés se seraient installés, dans les villages de Marjeh, Kob Elias et Bar Elias, dans la Békaa. D’autres auraient poussé plus vers le Nord, en direction de Wadi Khaled. «Nous avons également constaté que de nombreux Syriens ont pris la direction du Sud où ils sont hébergés par des amis libanais et cela malgré les risques sécuritaires qu’ils pourraient encourir, en raison de la présence d’alliés syriens dans cette région», remarque Halabi. Certaines familles préfèrent le sanctuaire de Ersal, dans la Békaa, où selon l’activiste, Abou Mohamad Ali Oueid, près de trois à quatre familles arrivent chaque jour. «La situation des réfugiés s’est cependant un peu améliorée depuis l’arrivée de l’été. Le ravitaillement assuré par l’organisation caritative danoise et le UNHCR est continu, ce qui satisfait tout le monde», ajoute-t-il.
Toutes classes sociales confondues
Les familles syriennes les plus aisées ont choisi la montagne libanaise ou Beyrouth. «Contrairement à nos habitudes par le passé, nous cherchons cette fois un meublé au lieu de nous installer à l’hôtel. La crise semble s’installer dans la durée et l’avenir me paraît incertain», indique une jeune Syrienne, mère de trois enfants, s’exprimant sous couvert d’anonymat pour des raisons de sécurité. Les classes les plus nanties cherchent à louer des appartements ou se sont ruées sur les hôtels de la ville. Pierre Achkar, président du syndicat libanais des hôteliers, déclare que les hôtels ont connu une augmentation de la fréquentation sans avancer toutefois de chiffres précis. Un propriétaire immobilier en montagne assure que l’impact de la vague de réfugiés commence à se refléter positivement sur le secteur touristique et les supermarchés, notamment à Bhamdoun.
Les réfugiés syriens appartenant aux franges de la population les plus pauvres sont une charge sociale additionnelle, particulièrement lourde à porter dans des zones comme le Nord et la Békaa déjà marginalisées. Cette situation ferait craindre une catastrophe humanitaire imminente explique Halabi. Le ministre des Affaires sociales, Waël Abou Faour, aurait proposé de mettre à la disposition des réfugiés un certain nombre d’écoles publiques fermées durant la période de l’été.
«Les réfugiés manquent de tout, certains ont quitté leur pays avec leurs seuls vêtements. D’autres sont si pauvres qu’ils dorment à la belle étoile dans le Nord du pays. L’Etat libanais qui ne fournit plus aucun service aux réfugiés pour des raisons budgétaires ne parviendra pas à s’acquitter d’une tâche aussi gigantesque, il faut à tout prix une assistance internationale», estime Halabi. Pour le moment, les aides humanitaires seraient financées à titre individuel par le biais d’ONG locales et internationales. Les besoins des réfugiés syriens au Liban dépasseraient actuellement ceux des Syriens résidant en Jordanie, estimés à plus d’un million de dollars quotidiennement. «Ces dépenses additionnelles sont entraînées par l’augmentation des factures médicales, les hôpitaux libanais soignant de nombreux blessés envoyés dans la Békaa, située à proximité des zones de combats en Syrie», commente Halabi. Le Haut Conseil de secours n’a toutefois plus les moyens de soutenir les réfugiés bien que seuls les cas urgents continuent d’être traités.
L’avocat propose la création de camps de réfugiés dans les zones de Ersal et de Wadi Khaled. Cette question très sensible, et dont l’issue semble d’une certitude inéluctable, va apporter de l’eau au moulin des politiques libanais, apparemment incapables de mener le Liban à bon port dans cette tourmente.
Mona Alami
La valse des chiffres
Selon la presse, le flux de réfugiés au poste frontière de Masnaa dans la Békaa s’est ralenti ce weekend alors qu’il avait atteint un véritable sommet mercredi et jeudi. Ainsi ils ont été 11 178 à traverser ce poste jeudi, selon une source sécuritaire interrogée par l’agence al-Markaziya (le nombre moyen depuis les événements en Syrie tourne autour de 5 000). Le ministre des Affaires sociales, Waël Abou Faour, a indiqué que quelques 15 000 réfugiés ont été recensés ces derniers jours, tout en ajoutant que ce nombre pourrait être supérieur. Selon un communiqué du bureau du Haut Commissariat aux réfugiés de l’ONU (UNHCR) à Beyrouth, près de 18 000 réfugiés auraient traversé la frontière libano-syrienne entre mercredi et jeudi et bien moins le vendredi. La porte-parole de l’UNHCR à Genève avait déclaré que le nombre de Syriens entrés au Liban est estimé entre 8 500 et 30 000 au cours du weekend dernier. «Ils fuient aussi vers la Turquie, la Jordanie, l’Irak, mais il y a un véritable exode vers le Liban», a-t-elle ajouté.
La discrimination sociale
Des Libanais armés ferment la route aux réfugiés, selon le mufti. Le mufti de la République, cheikh Mohammad Rachid Kabbani a déclaré lors de son prêche du premier vendredi du mois de ramadan cette semaine, avoir été indigné par la gestion de la question des réfugiés syriens, selon un article paru dans la presse. «Il y a eu assez d’injustice en Syrie. Beaucoup ne savent pas ce qui se passe aux frontières de la Békaa. Du côté de Ersal, des Libanais armés sont postés afin d’empêcher des réfugiés syriens fuyant l’injustice et les tueries d’entrer au Liban. Même au poste-frontière de Masnaa, les forces de sécurité auraient coupé la route à des milliers d’hommes et de femmes qui voulaient intégrer le Liban. Quand des responsables sont interrogés à ce sujet, l’un d’eux répond que seules les personnes se déplaçant en voiture sont admises, les autres étant trop «pauvres». Je demande au président de la République, au président du Parlement et au Premier ministre d’ouvrir grandes les frontières du Liban, au Nord comme dans la Békaa, face à nos frères syriens».
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