Le Beiteddine Art Festival, produit par les Chorégies d’Orange, s’est achevé jeudi dernier par la représentation de l’opéra La Bohèmede Puccini accompagnée de l’Orchestre philharmonique du Liban. Quand le passé croise le présent…
Le jeudi 26 juillet, le palais de Beiteddine a accueilli l’opéra La Bohèmede Giacomo Puccini, une production des Chorégies d’Orange, le plus ancien festival français, le premier à avoir réhabilité les spectacles en plein air. Et la scène s’illumine pour que le spectacle commence. Passé les premières secondes, les premières minutes, le temps de s’habituer à l’originalité effervescente et quelque peu déroutante de la mise en scène, et c’est parti. Le spectateur se laisse emporter par l’histoire, par la beauté, la douceur et la puissance des voix, par l’action qui se déroule sur scène. Contrairement à ce qu’on aurait pu supposer comme faisant partie d’un opéra, il y a de l’action, il y a du mouvement sur les planches. Que ce soit à travers les projections de la ville de Paris bercée par les flocons de neige qui tombent inlassablement la nuit de Noël et durant les mois qui suivent; à travers le décor rustique et étudié emmêlant poteaux en bois servant comme portes et chapiteaux, chaises, canapés et tables…; à travers les dialogues, en italien sous-titrés en français, qui vont droit au cœur et touchent tout un chacun; à travers les déplacement des personnages alternant rythmes effrénés ou pas plus lents et moins cadencés; que ce soit à travers les costumes d’époque finement modernisés; que ce soit également et surtout à travers la musique et ses multiples nuances. Une nouvelle fois, l’Orchestre philarmonique du Liban prend part à la saison des festivals, cette fois sous la direction de Jean-Yves Ossonce.
Epuré et riche
Au-delà de la majesté dramatique de l’opéra de Puccini, la mise en scène signée Nadine Duffaut se démarque par sa modernité et son aspect journalier presque. L’ambiance est faste, mais simple à la fois, épurée et recherchée. Certes, on est dans le Paris de l’année 1930, mais la mise en scène sonne tellement contemporaine que l’histoire aurait pu être réellement vécue à quelques pas de nous. Elle détonne par sa faculté à joindre passé et présent, à concilier les contraires, comme pour extraire l’essence même de l’opéra et exacerber les éléments qui en font toute sa force émouvante.
La bohème restera cet état d’esprit qui fait rêver les artistes, cette automarginalisation du XIXe siècle, redevenue aujourd’hui une mode, celle du «bourgeois bohème», du «bobo» dans sa version moderne, de l’artiste éternellement bohème qui fait dire au poète Rodolfo cette phrase qui en dit long: «Je vis dans mon heureuse pauvreté».
La Bohème, l’opéra en quatre actes de Giacomo Puccini, tiré du livret de Giuseppe Giacosa et Luigi Illica d’après le roman Scène de la vie de bohèmed’Henri Murger, est avant tout une belle histoire d’amour, poignante et touchante, pure et sensuelle, parce que tout simplement Rodolfo «(est) le poète» et Mimi «la poésie».
Paris. 1830. La nuit de Noël. Dans une mansarde plongée dans le froid parisien, deux jeunes hommes, Rodolfo, poète, et Marcello, peintre, travaillent en se plaignant du froid. Echange verbal et poétique, le manuscrit que Rodolfo est en train d’écrire leur sert à allumer le feu pour attiser le froid. Arrivent Colline le philosophe et Schaunard le musicien. Ils décident de se rendre au café. Entre jeux de mains et gamineries espiègles, ces compagnons de misère joyeuse donnent corps à la vie de bohème, éclatante de couleurs et de gris.
A l’exubérance fringale des hommes, succède un tableau tout en douceur, la rencontre passionnelle entre Rodolfo et sa voisine Mimi, qui vient sonner à la porte demandant à allumer sa chandelle. Dès les premières notes, la soprano Anita Hartig révèle l’immensité de son talent: voix épurée, puissante, éthérée. Une voix à laquelle répond en écho grave et tendre le ténor Paolo Fanale. Et la scène plonge dans le noir sur ce duo d’amour intimiste.
Quelques secondes et le spectateur se retrouve immanquablement transposé ailleurs, dans une ambiance très Quartier latin, dans les rues foisonnantes du Paris de 1830. Vendeurs ambulants, parade militaire, foule d’écoliers où s’unissent allègrement l’Ensemble vocal des Chorégies d’Orange et de la Chorale d’enfants libanais de La Sagesse, serveurs, clients, promeneurs… le deuxième acte resplendit de fraîcheur, de mouvements, de pas cadencés, de couleurs, de voix, de mille et un détails qu’il est presque impossible au regard émerveillé et amusé par cet ondoiement tourbillonnant du Réveillon de le percevoir dans son entité,. Et voilà que Musetta, autrefois la maîtresse de Marcello, fait son entrée, au bras de son riche et vieux compagnon. La soprano Nicola Beller-Carbone incarne à merveille cette Musetta espiègle, coquine et taquine qui retrouve par ruse et coquetterie son amour Marcello, un rôle tenu avec justesse par Lionel Lhote. Le reste du spectacle se déroule dans une ambiance épurée et intime, qui sied à merveille à l’histoire d’amour déchirante entre Rodolfo et Mimi.
Durant deux heures trente minutes, l’audience de Beitedine Art Festival est transportée entre ici et ailleurs, entre passé et présent, entre amour et sacrifice, entre allégresse et émotion à fleur de peau. Et la soirée s’achève avec une renaissance de cet éternel esprit de bohème.
Nayla Rached