Magazine Le Mensuel

Nº 2856 du vendredi 3 août 2012

LES GENS

Ziad Elkadri «Je suis jeune, il est vrai…»

Il possède la maturité et la sérénité de ceux qui ont appris dès leur plus jeune âge à affronter les coups du destin. Son discours est modéré, ses propos mesurés. Il est le fils de l’ancien ministre et député Nazim Elkadri et depuis 2009, il est député de Rachaya et de la Békaa-Ouest et fait partie du bloc parlementaire du Courant du futur. Portrait de Ziad Elkadri.

 

Aussi loin que remontent ses souvenirs, ils restent marqués par son enfance passée entre la maison paternelle de Verdun et l’International College (IC), l’école où il a fait ses études. «Je me considère très chanceux d’avoir été un élève de l’IC. C’était plus la vie d’un campus universitaire que d’une école. Même les week-ends, j’y allais avec mes amis pour jouer au football», se souvient Ziad Elkadri. Il a toujours été un enfant calme, tranquille. «Personne n’a jamais eu à se plaindre de mon comportement. J’ai toujours étudié tout seul», dit-il. Avec nostalgie, il se souvient de ce qu’était la politique dans son enfance, une période qu’il qualifie d’âge d’or. «Les hommes étaient différents en ce temps-là. Notre maison était une véritable cuisine politique. J’étais un enfant, mais je me souviens encore de tous ces visages. J’ai toujours leurs photos gravées dans ma mémoire: Saëb Salam, Takieddine Solh, Albert Moukheiber, Rachid Karamé, le mufti Hassan Khaled», confie Elkadri. Le destin n’a pas épargné cet enfant éveillé et curieux de tout. A peine âgé de dix ans, son père est assassiné à Verdun, alors qu’il sortait de chez le coiffeur. Il en parle avec beaucoup d’émotion. «J’étais le centre d’intérêt de mon père. Il faisait toujours en sorte de déjeuner avec moi et on regardait ensemble les matchs de foot. C’est lui qui m’a appris à jouer au tric trac alors que j’avais 6 ans. Il m’encourageait à faire du sport et on voyageait ensemble chaque été», raconte le député.
Avec l’assassinat de Nazem Elkadri, il perd plus qu’un père. «Mon père était un avocat connu et il a été député pendant 39 ans, mais je n’ai pas pu profiter de son expérience. Il a vécu à une époque où la vie parlementaire était très active. Je n’ai pas pu apprendre de lui tous les méandres de la politique», dit le député de Rachaya et de la Békaa-Ouest. Etre le fils de Nazem Elkadri est une grande responsabilité pour lui. «Mon père avait le sentiment qu’il allait être assassiné, mais il agissait selon sa conscience. Il prenait ses décisions sans songer aux conséquences. Il est mort la tête haute et ceci augmente ma responsabilité car son rôle et sa position lui ont été arrachés par le sang et non pas par l’âge», estime Ziad Elkadri. Chez les Kadri la notion de vendetta n’existe pas. «Nous avons récupéré par la démocratie et les élections ce qui nous a été arraché par le sang. Ceci a été fait en 2009, lorsque j’ai été élu député pour la première fois. Nous sommes parmi les rares personnes qui ne se sont pas soumises aux Syriens. Je ne me suis jamais porté candidat durant l’occupation syrienne», dit-il. Très proche de sa mère, Ziad Elkadri a beaucoup de tendresse et d’estime pour elle. «Je ne peux pas imaginer ma vie sans ma mère. Elle a joué le rôle du père et de la mère. C’est elle qui a assuré la continuité et qui a maintenu la relation avec les gens», affirme Elkadri. 

Le rôle ne se donne pas
Après ses études en Droit et en Sciences Politiques, Ziad Elkadri qui est avocat de profession, prend la relève et se rend toutes les fins de semaine à la Bekaa. «Ma vie est consacrée à la politique et aux gens. Le vide est l’ennemi de l’être humain. Un rôle, il faut le prendre. Personne ne vous le donnera», confie le député. Pour lui, les défis sont nombreux et la concurrence est grande. «Il n’y a de place que pour ceux qui s’imposent et il faut arracher son rôle soi-même», dit-il. C’est surtout à travers les habitants de sa région qu’il a appris à mieux connaître son père. «J’ai beaucoup de reconnaissance envers eux. Ils m’ont entouré et soutenu. Ce sont des personnes fidèles, qui prennent position. Jamais je ne pourrai leur tourner le dos. Je vis leur intimité. Je me sens directement concerné par leurs histoires et leurs problèmes», affirme Ziad Elkadri.
Le jeune député est un homme optimiste et positif de nature. «Je suis tout le temps à la recherche de choses sur lesquelles on peut construire. Lorsque j’ai été élu en 2009, j’avais l’espoir que la situation allait s’améliorer. Je m’attendais à vivre une période de réconciliation véritable. Toutefois, la situation ne s’est pas améliorée», estime Elkadri. L’état des institutions ne représente pas une surprise pour lui. «Je savais à quoi m’attendre. Tous nos proches et nos amis sont des politiciens. Je sais parfaitement comment fonctionne le système. Celui-ci doit être refait complètement. En tant que membre du Courant du futur, notre projet c’est l’Etat. Nous avons essayé de faire quelque chose, mais l’autre partie est toujours au stade de voir ce qu’elle peut prendre de l’Etat et non pas ce qu’elle peut donner», confie le député.
Son élection n’a pas bouleversé sa vie. «J’ai grandi dans une maison où dès sept heures du matin et jusqu'à minuit et demi il y avait du monde», dit-il. Certains estiment qu’il aurait pu être élu seul sans figurer sur la liste du Courant du futur. «Malgré le fait qu’on soit la plus grande famille de Rachaya et de la Békaa-Ouest et que mon père ait été assassiné après avoir été député pendant 39 ans, je n’aurai pas pu réussir tout seul. Je suis quelqu’un de très réaliste et je sais parfaitement que je ne peux être élu à moi seul», estime Ziad Elkadri. Il se considère comme porteur d’un projet politique et en tant que citoyen, il possède une vision pour l’avenir de ce pays. «Je n’ai pas d’ambition personnelle et pour moi la députation n’est pas un but mais un moyen par lequel je peux donner plus. Je veux défendre une idée pour laquelle mon père est mort et pour laquelle, 16 ans plus tard, Rafic Hariri a payé le même prix», affirme le député. En 2005, Ziad Elkadri est pour la première fois candidat aux élections législatives avant de se retirer. A ce moment, il ne connaissait pas encore Saad Hariri. «J’ai estimé que le sacrifice de Rafic Hariri équivalait à celui de mon père. Je refuse que les calculs personnels priment sur le sentiment national. L’important, c’est que le drapeau reste levé, peu importe celui qui le tient. Aujourd’hui je fais partie du CDF par conviction et non pas parce que je veux être député. Rafic Hariri a été tué pour les mêmes raisons que mon père, avant lui. Nous représentons l’ouverture, la démocratie, le non-confessionnalisme, le modernisme, l’indépendance, la jeunesse», confie Elkadri. Il a des craintes pour le pays et parle d’un projet qui veut modifier les gênes et l’ADN même du Liban. «Ce ne sont pas seulement les armes du Hezbollah qui constituent un danger, mais c’est tout un projet de dictature qui menace le pays. C’est ce qui me fait peur en tant que jeune Libanais modéré. On utilise les armes pour faire taire la démocratie. On opère une transformation génétique, démographique et culturelle par le biais d’achat de terrains, de renversement de gouvernement. Ils essaient de changer l’éducation, l’identité, l’âme et même le mode de vie des gens», estime le député. Il ne cache pas son amertume, en tant que jeune, de voir le Liban vivre en marge de tous les événements que vit la région. «Le monde entier évolue et nous sommes en train de détruire notre pays», dit-il.

Il aime les enfants
A 33 ans, Ziad Elkadri est toujours célibataire. Toutefois, il n’est pas contre le mariage, mais voudrait prendre tout son temps sans se précipiter. «J’aime la famille et les enfants. Je ne voudrais pas échouer dans mon mariage. La vie d’un homme politique est un défi continu. Elle est faite de fatigue et de stress, et une épouse serait synonyme de stabilité», confie-t-il. Pour cet homme qui se dit entier et perfectionniste, l’essentiel demeure les gens. «Le plus grand bonheur pour moi est de pouvoir mettre de la joie dans les cœurs, d’aider quelqu’un et de le faire rire. Je suis toujours le même et j’ai su garder les pieds sur terre. La vie est pleine de hauts et de bas et je sais parfaitement que rien ne dure jamais. On n’emporte rien avec soi. Tout ce qui reste, ce sont nos actions et des souvenirs qu’on laisse aux gens», confie Elkadri.  Des propos remplis de sagesse et une dure leçon que la vie s’est chargée de lui apprendre trop tôt…

Joëlle Seif

 

Le Printemps arabe
Pour Ziad Elkadri, ce qui se passe actuellement dans la région est dans l’intérêt du Liban. «Les peuples arabes commencent à sortir de la vie artificielle qu’ils menaient et à vivre réellement. On assiste à de véritables élections et à un rôle accru des jeunes, qui ont fait le Printemps arabe grâce à leur mobilisation. Mais ils ne sont pas encore suffisamment organisés pour pouvoir remporter les élections», dit-il. «Le Liban payait en définitive le prix, étant une oasis dans un environnement qui lui est opposé. Finalement, rien ne dure jamais», estime Elkadri. Pour lui, il n’y a pas de guerre sunnite-chiite, mais un projet iranien pour la région. «Le Printemps arabe est un coup dur pour le projet iranien. Et c’est précisément l’attitude iranienne qui a fait ressortir chez les musulmans des histoires anciennes. C’est uniquement le discours modéré et ouvert à l’autre qui peut survivre au Liban», affirme le député.

 

Ce qu’il en pense
-Le sport: Ziad Elkadri est un grand sportif. «Le sport est très important pour moi. Il me permet de garder mon équilibre. Je me réveille à 6h tous les matins pour en faire. Je fais du ski, du tennis, du jogging et de la natation».

-Ses lectures: «Je lis beaucoup, surtout des ouvrages liés à la politique».

-Sa devise: Il en a plusieurs, mais les deux plus importantes pour lui sont: «Ami de tout le monde ami de personne» et «Vivre c’est choisir et choisir c’est sacrifier». Pour le député, la vie n’est qu’une suite de prises de position. «C’est ce qui donne à la vie toute sa saveur», dit-il.

 

  

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