Enjeu des conflits politiques internes, dénigrée par les uns, timidement défendue par d’autres, l’Armée libanaise sert de cible aux campagnes politico-politiciennes. Jamais, en 67 ans d’existence, l’institution militaire n’a semblé aussi isolée et aussi politiquement exploitée. Malgré l’encouragement et le soutien que lui a apportés le président de la République, le général Michel Sleiman qui, de par sa fonction à la tête de l’Etat, est également le commandant en chef de l’institution militaire, celle-ci se sentait prise au piège des dissensions internes. Accusée de tous les maux, tenue responsable de toutes les manifestations contestataires qui paralysent le pays, l’armée est laissée à découvert par les dirigeants politiques. Nul n’a oublié son courage et ses performances dans la bataille de Nahr el-Bared alors qu’elle bénéficiait d’une couverture politique quasi générale. Les soldats n’avaient pas hésité, à l’époque, à risquer leurs vies. Aujourd’hui, chacun se lance la balle incendiaire qui brûle tous les Libanais, tandis que les responsables, apparemment ignorants de la crise qui secoue le pays et des dangers d’une possible répercussion de la crise syrienne sur un Liban fragilisé, continuent à croire dans une sécurité que peut garantir un dialogue imaginaire, qui a déjà fait ses preuves, entre tous les antagonistes que rien ne rapproche. L’armée, privée donc d’un soutien politique solide autant que de moyens indispensables à son action, est impuissante à relever le défi et à répondre à ceux qui l’accusent d’inertie. Le Premier ministre, tout autant que le ministre de l’Intérieur, ne cessent d’en appeler à la conscience des «prétendus responsables» libanais qui, eux, en ignorent absolument le sens. Faute d’avoir le courage de sévir, les principaux dirigeants demandent aux citoyens de prendre à leur charge «leur propre sécurité». Ils organisent un «Mois de la sécurité», à l’instar du mois contre le tabac ou contre le Sida, ou même les journées de la femme ou du travail, qui ne reviennent qu’une fois par an. Mais la sécurité, elle, n’était pas au rendez-vous.
Au lendemain de ce 1er août, les plus optimistes parmi les Libanais ou les moins incrédules ont cru dans les mots d’espoir: «la lumière sera fournie de façon plus régulière, nous annonce-t-on, la pénurie d’eau ne sera plus qu’une vue de l’esprit, les routes seront débloquées partout dans le pays. En bref, le Liban redeviendra ce Pays du Cèdre dont nous rêvons. Peut-être aussi que le clin d’œil du chef de l’Etat aux détenteurs d’armes illégales et aux leaders des mini-Etats confessionnels apportera un souffle d’espoir. «Non, a scandé avec force le général Sleiman, aux armes répandues sans contrôle dans le pays, oui au débat politique…».
Faisant allusion également aux critiques dont l’armée est la cible, le chef de l’Etat a mis en garde contre «toute tentative de porter atteinte à l’armée», tentative qui serait vouée à l’échec. Evoquant les menaces israéliennes contre le Liban, le président Sleiman rappelle la mission de l’armée aux côtés de la Finul pour «empêcher les violations de l’ennemi israélien et par le fait même la transformation du territoire libanais en dépôt d’armes. «L’Armée libanaise, a-t-il ajouté, poursuivra sa lutte contre le terrorisme et les réseaux d’espionnage».
Entre-temps, et malgré les crises et les guerres que le Liban a connues, il n’a jamais autant été ballotté dansune telle incertitude angoissante de l’avenir. L’économie est en berne, le courant électrique, denrée déjà très rare, est menacé d’effondrement, les colères qui éclatent ici et là, pour autant de raisons qu’il nous faut admettre comme parfois valables… et un ministère du Tourisme qui, tout en se voulant optimiste et confiant dans le redressement du secteur, n’en annonce pas moins la catastrophe si… Mais derrière ce «si» se cache justement le marasme inévitable qui frappe toutes les couches de la population. Sait-on combien de jeunes universitaires réussissent brillamment à l’étranger et mettent au service de leur pays d’accueil les années de formation que le Liban leur a fournies. Alors que ceux qui restent attachés à leur terre, par choix ou par obligation vivent dans des conditions inacceptables un peu moins de quarante ans après la tristement célèbre guerre, dite celle des autres. Le courant électrique continu appartient, semble-t-il, au passé. Si quelques privilégiés bénéficient encore de l’appui d’un générateur d’énergie, beaucoup d’autres ont dû y renoncer totalement. Une forme de canicule frappe le Liban et la climatisation manque douloureusement dans une très grande majorité des foyers. Aujourd’hui, une nouvelle malédiction s’abat sur le pays. Elle est annoncée, sans vergogne, par les responsables de nos destinées. Nous n’aurons plus d’eau dans nos robinets, mais elle continuera à inonder la chaussée. Tout donc est mis en œuvre pour tester l’endurance et la ténacité d’un peuple dont la grande qualité est d’avoir toujours su rebondir. Jusqu’à quand?
Mouna Béchara