Magazine Le Mensuel

Nº 2858 du vendredi 17 août 2012

Lieux de mémoire

L’ancienne école des Arts et Métiers de Beyrouth. Une oasis de modernité dans l’Empire ottoman

Au cœur de la ville, à quelques pas de Hamra, coincés entre la Banque du Liban et le jardin public de Sanayeh, deux bâtiments ottomans, imposants et majestueux, ne passent pas inaperçus: le ministère de l’Intérieur et l’ancienne faculté de Droit de l’Université libanaise. Connaissez-vous leur histoire?

Derrière un muret où s’expose une longue fresque peinte, réside depuis plus d’un siècle l’ancienne école des Arts et Métiers de Beyrouth, aujourd’hui, ministère de l’Intérieur. Juste à côté, l’ancien hôpital Hamidi qui a hébergé quelques années plus tôt la faculté de Droit de l’Université libanaise s’apprête à redevenir un des piliers des institutions culturelles du pays en accueillant la Bibliothèque nationale.
A quelques kilomètres de là, à Dekwané, sous un parfum de pins rare à Beyrouth, se trouve l’actuelle Ecole des Arts et Métiers, tenue aujourd’hui par une dame, la directrice Antoinette Khanfour Nasr. Dans les armoires de l’établissement se cachent de vieux fascicules des années 30, possédant quelques informations précieuses. On y apprend que «l’Ecole des Arts et Métiers de Beyrouth a été fondée en 1905. Malgré son titre, cet établissement n’était alors qu’une modeste école, genre orphelinat, où étaient enseignés les métiers de cordonnier, tailleur, menuisier et forgeron».
A la fin du XIXe siècle, l’Empire ottoman est alors en cours de modernisation. Beyrouth, hissée au rang de capitale provinciale sous le titre de wilayat Beyrouth depuis 1888 par le sultan Abdülhamid II, va en bénéficier. Par la construction d’un complexe lié aux arts et métiers, le sultan souhaitait procéder au développement de la ville, de son industrie et de son commerce, explique Pascale Feghali dans son ouvrage Le quartier de Sanayeh à Beyrouth, publié par l’IFPO en 2009. C’est ainsi que la municipalité de Beyrouth fit naître un nouveau pôle urbain dans l’ancien faubourg de Mazraat Yammin». Un défi de taille visant à décentraliser les institutions publiques de la vieille ville. Des dunes de sable, naquirent alors une Ecole des Arts et Métiers et un hôpital, inaugurés en grande pompe en août 1907 par le gouverneur de Beyrouth, en présence des consuls étrangers et des notables de la ville. Selon Pascale Feghali, «l’objectif de l’Ecole destinée en priorité aux musulmans, était non seulement de se démarquer des écoles traditionnelles musulmanes ou madrasa,mais de lutter contre l’influence croissante des écoles missionnaires européennes et américaines. Des enfants pauvres pouvaient avoir accès à l’enseignement. Des professeurs français furent sollicités afin de ne pas cloisonner l’école et de l’ouvrir à différentes confessions, avec l’idée de mettre ce savoir-faire au service des industries». A partir de 1907, le wali de Beyrouth fit aménager le jardin public. D’après Samir Kassir dans L’Histoire de Beyrouth, dansce nouveau quartier, «la municipalité avait décidé d’installer, en même temps qu’un hôpital, un karakol (poste de police) et une prison». La chercheuse ajoute que «selon Taha el-Wali, le projet comprenait (également) une mosquée afin que les élèves puissent effectuer leurs prières quotidiennes; l’emplacement de cette dernière est aujourd’hui occupé par la Maison de la Radio (Radio-Liban)».

Transformée en orphelinat
Durant la Première Guerre mondiale, l’école est transformée en orphelinat. En 1918, les troupes françaises occupent les locaux qui deviennent une caserne. Il y eut ensuite une tentative peu concluante du Service Libanais de l’Instruction publique en 1921 d’organiser une école d’enseignement professionnel dans l’Ecole secondaire de Haoud el-Wilayet. Puis en 1923, «une partie des anciens bâtiments, toujours connus, selon leur ancienne appellation chère aux habitants de Beyrouth, d’Ecole des Arts et métiers, sont remis à la disposition du gouvernement. Celui-ci y installe l’Ecole en essayant de réorganiser son programme, l’élevant au niveau d’école professionnelle mécanique. Tout manquait alors. D’après les archives de l’Ecole, il n’y avait ni atelier, ni laboratoires, ni matériel scolaire».
En 1925, Léon Cayla, alors gouverneur du Grand Liban, met un terme aux difficultés de l’institution en lui attribuant un budget autonome permettant d’équiper ses ateliers et de la faire prospérer. L’Ecole des Arts et Métiers comporte en ce temps trois grands bâtiments avec une cour, un parc et des terrains de jeux, sur une superficie d’environ huit hectares. Elle comprend neuf ateliers mais également six grands dortoirs, un réfectoire, une cuisine et une buanderie.

Mathématiques, physique, chimie, mécanique, métallurgie, dessin industriel, modelage, technologie, électricité, menuiserie, fonderie ou encore histoire et géographie, voilà un aperçu du programme des quatre années de formation. Des cours théoriques suivis en arabe, ceux d’enseignement technique enseignés en français, le tout saupoudré de conférences sur la morale, l’économie sociale ou l’hygiène; la recette doit engendrer «des ouvriers techniciens capables de devenir rapidement d’excellents contremaîtres». Le concours d’admission est ouvert aux candidats de 14 à 17 ans, pouvant présenter au-delà de l’habituel certificat médical ou de vaccination, un certificat de bonne vie et mœurs, délivré par l’autorité locale.

Des cours du soir
Soucieuse de permettre à ses étudiants de se perfectionner, la Direction de l’Ecole a prévu également des cours du soir. Dessin de modelage pour la ferronnerie d’art, topographique pour entrer dans la régie des travaux du cadastre, ou encore des cours en industrie hôtelière, un enseignement dispensé grâce à Wilfrid Metailler, directeur de la Société des Grands Hôtels du Levant. Dans la même optique, en 1928, une section Tissage est ouverte. Elle a pour but d’instruire les fils de tisserands et de les initier aux métiers mécaniques, sur une formation de deux ans.
Mais au début des années 60, le couperet tombe. La prodigieuse école, si consciencieuse, n’est plus si performante, et les statistiques de l’époque notent que les besoins du marché en personnel qualifié dépassent largement les effectifs disponibles. C’est alors que l’Unesco offre une aide substantielle du Fonds spécial des Nations unies à l’Ecole, pour la délocaliser à Dekwané, sur un terrain mis à disposition par le gouvernement libanais.

«En 1960, j’ai passé ma première année d’études à Sanayeh, se souvient Sélim Abou Chebel, devenu plus tard professeur au sein de l’institution. Les ateliers se trouvaient à côté de l’actuelle Banque du Liban. Au départ, la rue de la Banque centrale précédent Hamra n’existait pas. L’actuel ministère de l’Intérieur renfermait les bâtiments des cours théoriques. A mon époque, précise-t-il, l’hôpital n’existait plus, ses locaux étaient partagés entre l’école et une institution étatique. Les salles et les couloirs étaient immenses. Mais les locaux étaient devenus insuffisants et les ateliers commençaient à s’épuiser. Certaines machines devaient avoir une quarantaine d’années, ce qui les situait au début du siècle dernier. D’ailleurs, quand j’étais élève, j’ai participé au démontage de certaines vieilles machines destinées à la vente, mais qui auraient bien mérité leur place dans un musée».
L’installation dans les nouveaux bâtiments de Dekwané fut réalisée en plusieurs étapes entre 1961 et 1963, si bien que des bus avaient été loués pour assurer le transport des étudiants entre les nouvelles classes de Dekwané, où ils recevaient les enseignements théoriques, et les anciens ateliers de Sanayeh, où les cours pratiques continuaient à être donnés.
«L’école de Sanayeh était merveilleusement bien placée, reprend l’ancien étudiant. Nous y avons passé de beaux jours. En fin d’après midi, nous nous posions dans les cafés trottoirs ou dans les salles de cinéma à Hamra. De l’autre côté, après le jardin de Sanayeh, il n’y avait alors que très peu de maisons à un ou deux étages au plus. Le parc était très bien tenu. Après le repas de midi, nous y allions et nous louions des bicyclettes dans une petite échoppe pour faire des bêtises. L’ambiance était très bonne. Il faut dire que l’Ecole était unique, souligne Sélim Abou Chebel. Il y avait des élèves de tout le Liban, de toutes les religions, de toutes les classes sociales et d’obédiences politiques différentes. Nous étions comme des frères. C’était une belle époque, se remémore-t-il avec nostalgie. Je souhaite à tous les Libanais ces plaisirs que nous avions alors à notre époque».
Aujourd’hui, l’ancien hôpital Hamidi, faculté de Droit de 1964 à 2005, va devenir garant des mémoires nationales et plus encore. L’ancienne bibliothèque nationale a enfin trouvé son ancrage. Grâce au don de l’émir du Qatar,cheikh Hamad Bin Khalifa Al Thani, le bâtiment voisin du ministère de l’Intérieur est en train de se refaire une beauté. C’est l’entreprise Hourie qui a pris en main le projet de restauration et de modernisation du lieu, après notamment avoir construit la mosquée al-Amine dans le centre-ville ainsi que les Souks de Beyrouth. D’après Ali Hmayed, chef de projet, le chantier devrait aboutir d’ici deux ans. Il faudra attendre encore un peu.

Delphine Darmency

 

Les voyages scientifiques
Des visites d’usines à en faire pâlir les jeunes générations… notamment celles des installations de l’Irak Petroleum Compagnie ou celle de la Centrale Hydro-électrique d’Abou Ali, du centre d’aviation de Rayak ainsi que de son atelier des chemins de fer. Dans un carnet de 1936, le voyage d’étude comprenait un trajet en train de Rayak à Beyrouth. «Un train, un vrai train avec une locomotive et des wagons. Tous l’avaient vu, mais à notre époque, tous y avaient-ils voyagé? La question ne fut pas posée, car certains malaises prouvaient que l’entraînement à ce genre d’exercice n’était pas très grand, ce devait être un baptême du chemin de fer à vapeur pour plusieurs», peut-on lire dans les archives d’époque. D’autres visites se sont faites en leur temps sur le bateau «Jeanne d’Arc» (années 30), ou dans les ateliers d’Air France, du Parc Annexe Auto, de la Compagnie du port de Beyrouth ou encore dans l’usine de ciment à Chekka.

 

Rôle actif dans l’économie
Plus qu’une école, l’institution des Arts et Métiers a eu dans la première partie du XXe siècle, un rôle actif dans l’économie du pays, notamment en aidant les industries naissantes par des conseils techniques et en contribuant à la maintenance du parc industriel libanais. Parmi ses faits d’armes, en 1929, l’école est le siège du premier congrès séricicole. Un an plus tard, elle organise le premier Salon Libanais de Peinture et monte la première exposition artisanale. En 1932, elle crée et développe l’industrie à domicile en installant onze métiers à tapis chez des familles paysannes de la montagne.

 

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