Depuis le 1er août, il occupe le poste de recteur de l’Université Saint-Joseph, après avoir été, pendant plus de 18 ans, recteur du Collège Notre-Dame de Jamhour et depuis 2008, doyen de la Faculté des Sciences Religieuses. Une importante mission qui le remplit à la fois «d’honneur et de joie» comme il le dit. Portrait du Père Salim Daccache.
De son enfance passée à Bouar, un beau village du littoral du Kesrouan, il a gardé cet attachement à la nature libanaise, dans ce qu’elle a de beau et de rude aussi. Né dans une famille modeste, «mais riche par sa foi, ses valeurs et son amour de la vie» dit-il, il a développé dès son plus jeune âge un esprit combatif. «Je suis un enfant de la nature libanaise. J’ai grandi dans une ambiance paysanne et agricole. Je suis toujours collé aux plantes, aux fleurs, à la nature et à la mer. Ce fut ma première expérience, et c’est dans ce climat que s’est produit le jaillissement de ma personnalité», confie le Père Salim Daccache. Salim avec un «a» précise-t-il. «Je ne tiens pas à le franciser ou à le turquiser avec un «e». C’est un prénom libanais», dit-il en souriant.
Qui dit nature, dit culture et c’est à l’école Mar Doumit à Bouar, tenue par les Sœurs maronites de la Sainte Famille, que le jeune Salim entame ses études. C’est là qu’il démontre ses facultés à apprendre. Il se souvient encore d’avoir été pris en charge et initié à l’alphabet par Lucie Bouéri, devenue par la suite une des religieuses des Filles de la Charité et qui est toujours en vie. Le père de Salim, homme très croyant et pratiquant, était le responsable de la sacristie de l’église paroissiale du couvent Saint-Doumit. C’est lui qui l’a introduit à la vie paroissiale. «Je l’accompagnais à l’église et c’est là que, pendant la Semaine Sainte, j’ai appris à aimer le syriaque. Je suis devenu, par la suite, spécialiste du syriaque que j’enseigne», confie Père Daccache. Assoiffé de culture, il développe une tendance possessive envers les livres. «Je voulais tellement apprendre que je refusais, à l’âge de 5 ans, de me détacher des livres ou de les prêter», se rappelle le recteur. Cet attachement est devenu une habitude. Tout normalement, on lui propose de poursuivre ses études au séminaire Saint-Maron des pères Jésuites à Ghazir.
L’amour de la lecture
De ces années, il garde un excellent souvenir. «Ma formation s’est faite à cette époque. Ce fut une période très riche durant laquelle j’ai fait la connaissance de plusieurs pères jésuites qui m’ont marqué par leur personnalité», dit le Père Daccache. «C’était une période politiquement active. Avec un groupe de jeunes séminaristes, nous étions passionnés par la politique et le meilleur moyen de se former était de lire des journaux. Je lisais beaucoup, en arabe et en français, des auteurs tels que Victor Hugo, Roger Martin du Gard, Naguib Mahfouz, Taha Hussein, les grands auteurs idéologiques arabes et internationaux… Au séminaire, il retrouve en quelque sorte la famille qu’il avait quittée. Très sportif, il fait partie de l’équipe de basket ball. «Dans l’équipe, j’étais le distributeur, vu que je n’étais pas grand de taille. J’ai continué à tenir ce rôle à Jamhour comme dans ma vie missionnaire et professionnelle. L’important ce n’est pas seulement d’arriver au but, mais de faire les bonnes passes. Chacun possède des attributs et des fonctions qu’il doit fructifier et c’est en jouant qu’on les développe», souligne-t-il. En athlétisme, il fut également remarqué par les entraîneurs et il remporta plusieurs courses. «Je représentais le séminaire dans les tournois», raconte le Père Daccache. En revenant sur cette période de sa vie, partagée entre les études et le sport, avec une franchise désarmante, il confie: «Je n’étais pas un élève brillant mais je m’appliquais pour réussir et ne pas être réprimandé. L’être humain ne se définit pas par ses notes. Et un élève n’est pas défini par ses résultats scolaires. Ce qui compte c’est la culture humaine, littéraire et scientifique, cette capacité d’apprendre. Le savoir-être plutôt que le savoir-faire. Si l’on possède tous les savoir-faire du monde et que l’on n’a pas de savoir-être, on n’a rien réalisé».
Il garde encore en mémoire les nuits où il sortait en mer avec les pêcheurs. «Dans mon esprit, Bouar revêt une image biblique. Ce n’est pas sans me rappeler les paroles du Christ à Saint-Pierre, vous deviendrez des pêcheurs d’hommes… Il faut offrir à chacun l’amour, l’opportunité de progresser dans sa vie spirituelle. Il faut faire des choix et comprendre le sens de ses choix. D’après le témoignage des gens, je suis quelqu’un qui écoute beaucoup, peut-être parce que je suis un enfant de la nature qui adore être écouté. Aujourd’hui, les gens ont besoin d’être écoutés», confie le recteur. L’écriture a occupé une place importante dans sa vie. «J’écrivais beaucoup, maintenant je ne le fais plus faute de temps. J’écrivais des poèmes, des articles et des idées libres», dit-il. On sait qu’il a, à son actif, plusieurs ouvrages qui ont été traduits. Le fait d’être prêtre ne lui a pas ôté son côté affectif, qui le rend si humain, malgré ses fonctions. «Ce n’est pas parce qu’on est prêtre qu’on n’a pas de sentiments. Quelque part, je suis artiste. La photographie est une passion pour moi. Je fais de belles photos. Je prends des clichés pour pouvoir m’exprimer et garder ce lien avec la nature. C’est pour moi également un moyen d’entrer en communion avec les visages, les paysages et les bâtiments. Il existe toujours chez l’être humain ce besoin de contact et de communion avec l’autre et avec la nature. C’est cela qui fait l’être humain», confie le recteur. Le ciel, dans toute sa dimension, physique et morale, est pour lui une autre source d’émerveillement. «Je suis sidéré par le bleu du ciel. Je trouve cela très beau», dit-il.
Après le séminaire, c’est à l’USJ, qu’après trois années d’études, il décroche sa licence en philosophie. Il travaille dans la presse, où il se montre très actif. A l’époque, il reste très proche des Jésuites. A la fin de ses études, il passe un an à Jamhour puis une année de noviciat en Egypte, avant de se rendre à Paris pour une période de sept ans, durant laquelle il obtient un doctorat en philosophie islamique et étudie la théologie. «Les trois années passées à Beyrouth étaient riches et pleines. A Ghazir, nous avons connu la formation de notre conscience politique et citoyenne, mais à Beyrouth j’ai été plus loin dans mon engagement et mes idées. C’était la période des grandes idéologies de l’époque. Beyrouth était la capitale culturelle du monde arabe», confie le Père Daccache. La discipline de l’esprit et de l’âme, la capacité de discernement et celle de faire des choix lui ont été apportées par son adhésion à la Compagnie de Jésus. «Il faut savoir ce que l’on veut dans la vie afin de l’orienter», affirme le recteur.
Formé dans l’esprit qu’un jour il quittera les lieux, il a donné le meilleur de lui-même et a laissé ses marques à Jamhour. Aujourd’hui, il s’apprête à prendre en charge ses nouvelles fonctions en devenant le recteur de l’USJ. Un honneur et une joie pour lui. En tant que recteur, il s’engage à insister sur les valeurs intellectuelles, morales, éthiques et spirituelles de l’université, allant de l’honnêteté scientifique à l’engagement, la rigueur morale et la dimension spirituelle. Il parle aussi d’une ouverture à la différence de l’autre. «Il existe 38% d’étudiants musulmans à l’université. On ne peut pas vivre avec l’autre comme s’il était une parenthèse. Il faut construire un monde nouveau. Ne pas construire signifie détruire», estime le recteur. Pour lui, assumer une telle charge n’a pas de sens si on ne se met pas au service de l’énergie positive ensemble. «Notre université vise l’excellence. Il ne faut pas avoir peur. C’est un défi vis-à-vis de nous-mêmes», dit le Père Daccache. Un défi qu’il se chargera de relever brillamment…
Joëlle Seif
Les années Jamhour
«Lorsque je suis arrivé à Jamhour, j’étais riche de mon expérience. J’avais connu les grandes idées et effectué un travail sur ma personne et la tâche me semblait abordable», raconte le Père Daccache. En tant que recteur du Collège, il fallait comprendre les besoins de l’institution. «On devait s’ouvrir à d’autres expériences françaises et internationales, et détecter les exigences sur le plan du développement personnel et professionnel. Ceci a donné une plus-value à ce que Jamhour offre sur le plan de la discipline de l’esprit, de la vie intérieure et de l’engagement social. Il s’agit de former des personnes qui agissent sur des situations, des acteurs de transformation sociale. Cette plus-value, j’y ai contribué sur le plan pédagogique et spirituel», estime le recteur. Un autre élément important à ses yeux, c’est le travail sur le sentiment d’appartenance. «Ce serait dramatique de perdre cet esprit à Jamhour. Si nos anciens partout, à travers le monde ont ce sentiment c’est parce que nous y avons toujours travaillé», affirme Père Daccache. Pour lui, la culture repose sur les valeurs humaines et sociales et devrait être investie dans un projet national, un projet de communauté. «Le dollar n’est pas une religion. Ce n’est qu’un moyen pour consolider nos objectifs. Il faut savoir ce que l’on veut de la vie. L’éducation est une cause, une richesse qu’il faut préserver. Nous avons mis des moyens au service de celle-ci», dit-il. Le recteur met également l’accent sur le rôle des anciens et en particulier sur l’esprit d’équipe. «Il faut intégrer les laïcs et les pousser à prendre des responsabilités tout en ayant en tête l’esprit jésuite du don de soi. Quand on me dit que j’ai réussi à Jamhour, je réponds que c’est grâce au travail d’équipe, fait d’échange, d’engagement et de complémentarité. Travailler ensemble n’est pas évident au Liban. C’est une réussite à Jamhour», souligne le Père Daccache. Pour lui, l’individu responsable doit se fondre dans une équipe. «Le responsable est au service de l’équipe et non pas l’inverse. Tous doivent être au service d’une cause», estime le recteur.
Ce qu’il en pense
-Sa vision de l’avenir: «J’ai une inquiétude concernant l’avenir, surtout que je démarre mes fonctions dans une ambiance peu positive, vu la situation régionale».
-Ses loisirs: «Passionné de photographie, amateur de musique classique, de musique orientale et de tarab. Du grand sportif que j’étais, aujourd’hui je continue simplement à faire de la marche de temps en temps».
-Sa devise: «Quand on sait ce qu’on veut, il est inévitable de ne pas aimer l’autre. Dans notre spiritualité de jésuite, donner un sens à sa vie, c’est aimer l’autre, être généreux. Traduire le verbe aimer dans la continuité. Offrir le meilleur de soi».