Un an après son adoption, la loi 174 qui interdit de fumer dans les lieux publics entre en vigueur. Magazine a recueilli l’avis des propriétaires de bars, de restaurants et d’hôtels ainsi que celui des consommateurs.
Désormais, il est interdit de fumer dans les endroits publics fermés, tels les restaurants, les bars, les cafés, les hôtels –où la loi prévoit un quota de 20% de chambres réservées aux fumeurs- et les lieux de travail. La loi interdit également, d’ici 6 mois, les campagnes publicitaires et la promotion du tabac, les affiches, les publicités dans les médias et le sponsoring d’événements. Fumer est désormais interdit aux moins de 18 ans dans les restaurants, ces derniers ne pourront plus servir les narguilés aux mineurs. La loi stipule aussi l’instauration d’un espace publicitaire antitabac sur 40 % des surfaces consacrées généralement à la vente de cigarettes.
Toute violation de la loi par les fumeurs entraînera des sanctions et amendes. Celles-ci sont de près de 100 mille livres libanaises pour les fumeurs. Les établissements qui enfreignent la loi sont passibles d’une amende pouvant aller jusqu’à 50 millions de livres libanaises avec possibilité d’emprisonnement en cas de récidive. Le ministre de l’Intérieur, Marwan Charbel, a annoncé dans une conférence de presse, les directives données aux Forces de sécurité Intérieure: toute infraction à la loi sera pénalisée.
Polémique autour d’une loi
Certes, propriétaires et consommateurs s’attendaient à l’application de la loi, à partir du 3 septembre, mais cela n’a quand même pas manqué de provoquer des remous. Les principaux plaignants sont les propriétaires des restaurants qui proposent le narguilé mais aussi les gérants des bars, alcool et cigarettes allant souvent de pair.
«Nous avons investi des centaines de milliers de dollars dans cet endroit, dit Mazen, gérant de l’un des endroits les plus prisés sur la place beyrouthine, pour en faire un lieu de charme et de sensualité: tables basses, canapés moelleux, tapis d’Orient, objets décoratifs chinés dans les bazars des pays arabes et des narguilés pour couronner le tout. Les clients viennent y dîner, déguster nos spécialités et y restent de longues heures à fumer le narguilé. On peut passer outre la loi antitabac pendant les beaux jours, puisque nous avons un espace découvert devant le resto. Mais que faire en hiver? Je suis sûr que notre chiffre d’affaires tombera substantiellement».
Le gérant de cet élégant restaurant du centre-ville n’a pas les mêmes craintes: «Je suis tranquille, explique-t-il. Au Liban, les lois sont appliquées les premiers mois, mais avec le temps, elles ne le sont plus. Regardez où en est la loi du port de la ceinture de sécurité en voiture, celle interdisant l’utilisation du cellulaire au volant, les contraventions pour excès de vitesse, le test d’alcool dans le sang… je suis sûr et certain que la loi antitabac subira le même sort».
Dans cet autre élégant café, la propriétaire, elle-même non-fumeuse, est partisane des espaces sans tabac. Elle a appliqué cet interdit, il y a un an, et ne le regrette pas. «Certains clients n’ont pas accepté facilement ma décision d’interdire la cigarette dans l’établissement et ils ont disparu un temps. Au bout de plusieurs semaines je les ai vus poindre le nez en me demandant tout simplement d’installer quelques chaises sur le trottoir devant mon café pour qu’ils puissent faire une petite pause tabac. Et cela marche comme sur des roulettes, les fumeurs eux-mêmes se sentent plus à l’aise de manger sans être enfumés».
Ce que pensent les consommateurs
De ce côté, les avis sont partagés: il va de soi que les non-fumeurs se réjouissent de la nouvelle loi et l’approuvent sans conteste. Certains fumeurs ne l’acceptent pas et d’autres se consolent en rappelant les nombreuses lois entrées en vigueur et jamais appliquées. Ils se font à l’idée qu’il leur reste aussi le trottoir pour fumer tranquillement leur clope avant de réintégrer le restaurant, le bar ou le café.
«Cette loi me met hors de moi, s’écrit Tarek. Je veux bien qu’on aménage des espaces non-fumeurs à l’intérieur des établissements, mais qu’on interdise carrément la cigarette? J’y vois une atteinte à la liberté des individus. Personnellement, j’aime fumer et je sors régulièrement après mes longues et difficiles journées de travail pour me détendre, prendre un verre et fumer une cigarette. Je ne me vois pas debout sur le trottoir en tain de le faire, cela ôte tout le plaisir».
Farah, elle, jubile. «Enfin quelque part, dit-elle, le Liban tente d’agir en pays civilisé. De quel droit imposerait-on aux non-fumeurs d’inhaler cette fumée nauséabonde des cigarettes et des narguilés. Que ceux qui insistent à le faire, le fassent en plein air sans déranger les autres, d’autant plus que, chez nous, le temps est clément et que, pendant de longs mois, les clients peuvent s’installer en plein air pour fumer. Je ne vois pas où est le problème. Reste simplement que l’Etat fasse preuve de rigueur pour que cette loi soit appliquée comme il se doit et n’aille pas rejoindre d’autres dans les oubliettes». Danièle Aramouni Gerges
La lutte antitabac par la loi
C’est en 2000 que tout a commencé, lorsque Minerve Keyrouz, dont le mari grand fumeur est décédé des suites d’une maladie, fonde une Organisation Non Gouvernementale (ONG) Tobacco Free Initiative (TFI) qui se spécialise dans la lutte contre le tabagisme. Une énorme campagne de sensibilisation est menée dans les écoles et les universités. Des personnalités et des vedettes en font leur credo. Des ateliers d’éveil et de travail sont organisés, des campagnes dénoncent les méfaits du tabac sur la santé. Un ensemble d’activités couronnées par une pétition signée par près de 10 mille personnes demandent l’interdiction de fumer dans les lieux publics fermés. Les responsables de TFI rencontrent les parlementaires et plaident leur cause.
En 2004, c’est le député de Beyrouth Atef Majdalani qui avance le projet d’une loi antitabac.
En 2005, le Liban signe la convention de l’OMS pour la lutte antitabac.
En 2011, les parlementaires mettent la touche finale à la proposition de loi qui entre en vigueur dans les hôpitaux, les écoles, les universités et les transports publics. Mais devant le tollé général soulevé par les restaurateurs et les hôteliers, la décision est prise de reporter l’application de la loi à 2012 pour leur donner le temps d’aménager des espaces fumeurs en plein air.
Des chiffres qui font réfléchir
D’après des enquêtes réalisées par l’OMS et par le ministère de la Santé, le Liban tient la place A -première place- dans le palmarès des pays fumeurs de la région du Moyen-Orient.
42% des hommes et 30% des femmes sont des fumeurs.
40% des jeunes de 12 à 15 ans fument le narguilé.
On enregistre 4000 décès par an dus au tabagisme actif et passif.
L’Etat paye 300 millions de dollars du fait des maladies résultant du tabagisme dont le cancer des poumons, les maladies du cœur, la tension, l’infertilité…