Magazine Le Mensuel

Nº 2862 du vendredi 14 septembre 2012

En Couverture

«Bachir»… par Youmna Gemayel

Etonnant. Pourquoi prendre aujourd’hui la plume pour m’exprimer sur le signifiant «Bachir»?
J’ai été tant de fois sollicitée pour parler de lui, de témoigner sur: Papa, el-Bach, el-Kaëd, le président de la République… «Sur le Mythe Bachir, sur le symbole de toute une génération, d’un Liban fort et souverain, etc. Peine perdue. Et voilà, trente ans après, la langue se délie; comme si j’attendais «les mots pour le dire», des mots qui manquaient… pour retrouver simplement le souffle et le courage pour transcender et vaincre ma douleur, celle de la perte… pour pouvoir finalement «en» parler. Métamorphose, plutôt une metanoïa amorcée au rythme des grands bouleversements régionaux et d’une maturité intérieure. Aujourd’hui, je ne résiste plus. Je savoure le triomphe et la victoire à venir (ou déjà là). La victoire de Bachir. La victoire du Liban.  
D’où puiser mon répertoire? Quoi dire de Bachir alors que je ne l’ai connu qu’à travers le dire des Autres? Dans l’épos de ses camarades? Dans le discours de la famille? A travers des galeries de photos omniprésentes -jusqu’à l’étouffement parfois- et qui hantent mon univers quotidien; des photos et «formules» devenues typiques de sa saga, celle d’un héros et des héros… d’une résistance, des «témoignages» vivants de ces (ses) actes de bravoure sur les fronts et champs de bataille…
Dans tout ce répertoire ou concert je me sentais délaissée. Impossible de crier ma rage, de hurler ma douleur… la douleur d’une fille qui a été privée -aux premiers balbutiements des sentiments- de son «papa», et à qui on demande à chaque instant de faire taire ce côté «intime»… de le sacrifier sur l’autel de la Cause. Héritage de Bachir oblige. Un legs très difficile à porter et à assumer.
A l’école, dans la cour, en descendant de l’autocar…à l’université… aujourd’hui au travail, dans la rue, etc. Tout le monde me «doublait» d’une image, celle en filigrane de Bachir. A tort ou à raison, je n’existais presque plus, je devenais le réceptacle de cette figure.
Aujourd’hui, je les comprends mieux, et constate mon erreur. Que l’on m’excuse pour mon aveuglement et peut-être égoïsme. Aujourd’hui, mon intuition alpha se confirme… prend sens: je me rends compte, chaque jour de plus en plus… que c’est moi qui regarde, vois Bachir en chacun d’eux. Le monsieur untel de la rue devenait Bachir. Il suffit de regarder l’éclat dans ses yeux à l’évocation du nom de Bachir pour se rendre à l’évidence de sa dignité en tant que citoyen et en tant qu’homme. Ceci est le legs de Bachir. Son triomphe et la symbolique de son accès à la présidence. 
Vingt-et-un jours de mandat. Trop court mais suffisant pour marquer les esprits, donner un modèle sur la manière dont la première magistrature devrait être (d’autres ayant eu besoin de neuf ans de mandat pour ne laisser qu’un bilan macabre et noir).
Je suis venue vous parler «d’un temps que les moins de 30 ans ne peuvent pas connaître». Moi en l’occurrence. Une époque révolue où les mythes pouvaient se réaliser encore. Le temps de ces héros «raisonnables qui demandaient l’impossible».
Vingt-et-un jours. Bachir réussit à fournir le prototype d’un Etat modèle. Son épicentre, un Etat fort, souverain et indépendant… avec une place privilégiée, octroyée au seul citoyen qui occupe désormais la place centrale. Devrons-nous dès lors jauger son mandat à l’aune des jours passés dans l’antichambre du pouvoir? Bachir gouverna avant même de prêter serment: qui ne se rappelle encore cette anecdote ou réalité qui circulait, sur l’exemple de ces fonctionnaires qui arrivaient avant l’heure à leur poste, et qui refusaient désormais de recevoir des pots-de-vin. OUI, ceci fut une des réalités de ce mandat avant le mandat. 
Ce même Bachir nous a appris à dire la vérité, dût-elle être dure parfois. Et lorsque tout un chacun se réclame de lui, en alter ego,  pourquoi nous étonner s’il nous est difficile de mentir: un pays à l’image de son leader a cessé de tergiverser. Ses paroles sont toujours d’actualité, traversant le temps, pour embrasser incessamment la réalité présente.
Après trente ans, moi fille de Bachir je peux avouer sans scrupules que je n’ai pas eu son exclusivité, ni son monopole. Bachir ne nous appartient pas. Bachir fait partie du «domaine public». Et personne ne peut prétendre détenir quelque droit exclusif sur son héritage ou ne peut réclamer des droits d’auteur sur le signifiant ou la marque «Bachir». Les (nouveaux) «Béchir-iens» sont ceux qui militent et œuvrent pour les mêmes principes et idéaux. Ils sont nombreux, surtout parmi les jeunes qui savent rêver encore. N’en déplaise aux forces obscures qui ont essayé d’éliminer, un 14 septembre, le projet Bachir (et aux jaloux des temps modernes du projet Bachir).
Des Jeunes qui, sur «les traces que tu as tracées, ils continuent…», comme le dit merveilleusement la chanson.
Entre-temps, bien qu’il me manque de t’étreindre réellement dans mon intimité, je me sentirai le faire à chaque fois que j’enlacerai un enfant aux yeux qui brilleront de cet éclat soudain, de ton éclat,  à l’évocation de ton nom, de ton projet, de ton rêve. N’est-ce pas que Bachir continue à vivre, est vivant en nous?

Y.G.
 

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