Ils ont été, dans les années 80, aux antipodes de la pensée politique de l’impétueux Bachir Gemayel. Gauchistes, pro-palestiniens et nationalistes arabes, ils ne se sont pas épris des discours du jeune président ni de ses méthodes. Certains l’ont même combattu militairement. Aujourd’hui pourtant, les anciens ennemis sont devenus les alliés les plus précieux de la famille biologique et politique de Bachir…
Il n’est pas aisé d’aborder la question de la succession politique de Bachir Gemayel avec ses anciens détracteurs. Trente années sont passées depuis l’assassinat de l’ancien président et beaucoup d’eau a coulé sous les ponts… Toujours est-il que les personnalités contactées par Magazine ne semblaient pas prêtes à remuer le couteau dans la plaie.
Les alliances se sont faites et défaites, les stratégies revues et peaufinées, les idéologies ont évolué. Il est par conséquent normal, et peut-être même sain, d’observer des changements de politique, des alignements inattendus, des anciens ennemis reprendre le flambeau.
Marwan Hamadé
D’aucuns voient dans les événements du printemps de Beyrouth de 2005 rien de moins qu’une résurrection de la cause de l’ancien président Bachir Gemayel. Le rêve de Bachir, celui d’un Liban libre, indépendant, celui des 10452 km2 entièrement souverains, ne s’est certes pas encore concrétisé. Cependant, la révolution, née à la suite de l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, est certainement basée sur les mêmes idéaux. Qui aurait dit, en plein milieu des années 80, que Marwan Hamadé serait un jour le fer de lance de la révolution du Cèdre? L’un de ses piliers les plus importants, l’allié de Samir Geagea et de Nadim Gemayel… ?
Il est vrai que l’ancien ministre a failli payer de sa propre vie son revirement contre le régime syrien, puisqu’il fut le premier d’une longue liste de victimes associées au mouvement du 14 mars. Depuis ce funeste 1er octobre 2004, date de l’attentat manqué contre lui, Marwan Hamadé est un des leaders les plus importants du mouvement indépendantiste. Il n’hésitera pas à se distancier, politiquement du moins, de son ami de toujours, Walid Joumblatt, lors de la crise ministérielle de janvier 2008. Un irréductible du camp du 14 mars…
Elias Atallah
Si Bachir Gemayel pouvait aujourd’hui voir et entendre Elias Atallah, et surtout le voir aux côtés de son fils, unis dans le même combat, il n’en reviendrait pas. L’ancien député avait rejoint le parti communiste dès 1971, était ouvertement pro-palestinien et avait même pris les armes à la tête d’une force de 5000 hommes au sein de la coalition menée par le PSP (Parti socialiste progressiste) lors de la guerre de la Montagne en 1983. Une guerre que les Forces libanaises, privées de Bachir, ont perdue. Il était aussi le chef militaire du Front de la résistance nationale, premier à lancer les opérations contre les troupes israéliennes d’occupation, dès 1982.
Le même Elias Atallah s’est cependant éloigné du parti communiste vers 2004, et a formé avec un nombre d’intellectuels, dont le martyr Samir Kassir, la Gauche démocratique. C’est un tournant pour l’ancien parlementaire qui, tout en conservant une idéologie de gauche, est un membre très actif du mouvement du 14 mars. Celui-là même auquel sont ralliés tous les héritiers politiques de Bachir Gemayel…
Mohammad Abdel Hamid Beydoun
L’ancien ministre, originaire de Bint Jbeil, a longtemps été un cadre supérieur du mouvement Amal. Dès 1982, il fait partie de son bureau politique, qu’il préside même en 1998. Suite à de profonds désaccords avec le président de l’Assemblée et chef du Mouvement, Nabih Berry, il effectue un revirement de 180 degrés. Revirement qu’il semble aujourd’hui assumer amplement. On a du mal à croire, lors de la chute du cabinet de Saad Hariri, que c’est bien Mohammad Abdel Hamid Beydoun, l’ex-Amal, l’ancien député chiite de Tyr qui parle de coup monté et qui dénonce le «chiisme politique». C’est encore lui qui affirme que si la Résistance considère ses armes comme sacrées, la majorité des Libanais pensent de même à propos du Tribunal spécial pour le Liban!
Si l’ancien ministre et député n’occupe pas aujourd’hui un rôle actif au sein du mouvement du 14 mars, il ne se prive pas de mettre ses membres en garde contre… Nabih Berry, qu’il qualifie de symbole de la tutelle syrienne et de la période qui a mené à l’assassinat de Rafic Hariri!
Samir Frangié
Dans les années 70, Samir Hamid Frangié est un gauchiste affirmé. Et, tout maronite qu’il soit, il s’oppose aux milices chrétiennes dans les premières années de la guerre civile. Pro-palestinien puis pro-syrien dans les années 80 et 90, il sera, paradoxalement, l’un des membres fondateurs du rassemblement de Kornet Chehwane.
Depuis, il s’est rallié ouvertement au camp des héritiers politiques de Bachir Gemayel, dont il est même devenu l’une des figures de proue. Ainsi, en 2005, il obtient le siège de député maronite à Zghorta, aux côtés de Nayla Moawad, résolument ancrée à la coalition du 14 mars…
Nohad Machnouk
Sur la page officielle du député du Bloc du Futur, Nohad Machnouk, on lit surtout l’expérience de l’homme politique à dater de 1992. On lit aussi, presque furtivement, qu’il a écrit, entre autres, pour le journal al-Doustour. Il n’est sans doute pas nécessaire, aujourd’hui que le député siège aux assises de Maarab dans le cadre de la coalition du 14 mars et de rappeler qu’il a écrit régulièrement dans le magazine baassiste, proche de l’ancien régime de Saddam Hussein. Il aurait aussi, selon certaines sources, été un proche d’Abou Iyad, le numéro un des renseignements de l’Organisation pour la libération de la Palestine. Autant dire qu’il faisait partie d’un camp radicalement opposé à celui du président Bachir Gemayel.
Ce fut l’un des premiers nationalistes arabes pro-palestiniens à se rallier à Rafic Hariri, même s’il fut éloigné, par le régime syrien, de la scène politique libanaise vers le milieu des années 90.
Il est aujourd’hui l’une des figures les plus médiatiques du mouvement du 14 mars, l’un des défenseurs les plus fervents du Tribunal spécial pour le Liban…
Joumana Nahas
Le 14 mars, héritier de Bachir?
Ce petit retour en arrière sur certaines des personnalités les plus influentes au sein du mouvement du 14 mars vise surtout à rechercher, aujourd’hui, la manière dont la relève de l’ancien président assassiné est assurée.
Si les idées de Bachir restent, pour la plupart des Libanais du 14 mars, un rêve qui attend toujours d’être assouvi, force est de reconnaître que le mouvement né de la révolution du Cèdre obéit à une logique très différente de celle des années 80.
Taëf est depuis passé par là, de même que quinze années de joug syrien asphyxiant. Les événements du printemps de Beyrouth en 2005 ont certes réveillé les idées de souveraineté, de liberté, et de démocratie, chères au président assassiné. Mais les méthodes, les alliances et la structure du mouvement indépendantiste du 14 mars obéissent à des réalités socioculturelles et surtout géopolitiques profondément différentes de celles de Bachir Gemayel.
Pourtant, trente ans après sa disparition, sa voix résonne encore, même dans les oreilles de ses anciens détracteurs.