Les médias audiovisuels et la presse écrite se sont relayé la couverture de la naissance avortée -jusqu’à nouvel ordre- d’un syndicat des employés de la grande surface Spinneys. Les employés ont estimé que leur fédération en un syndicat pourrait accélérer la récupération de leurs droits, à savoir le réajustement des salaires approuvés aux secteurs public et privé par le gouvernement ainsi que leur inscription à la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS). Si leur cause n’a pas encore abouti à un dénouement heureux, elle a au moins fait tache d’huile dans les milieux des salariés du secteur privé, les encourageant à faire valoir leur droit publiquement. Dans ce contexte s’inscrit le mouvement revendicatif initié par les ouvriers et employés de la société de construction A-Build, une filiale de la compagnie IKK, dont le siège social est en Arabie saoudite. Le personnel de A-Build n’aurait pas encore encaissé jusqu’à ce jour l’augmentation légale des salaires, sachant qu’une médiation menée en mai dernier par le ministère du Travail aurait échoué.
Ceci dit, l’affaire du personnel de Spinneys n’a pas fini de faire couler de l’encre, alors que le ministre du Travail, Sélim Jreissati et le président de la Confédération générale des travailleurs au Liban (CGTL), Ghassan Ghosn, observent un silence retentissant. Les deux principales autorités de tutelle du travail syndical ont brillé par leur absence de la scène du conflit. D’ailleurs, plus d’une partie concernée par cette affaire se pose de nombreuses questions. Le ministre du Travail s’est contenté de déclarer, lors d’une interview télévisée, qu’il avait chargé une commission de son département de lui établir un état des lieux afin qu’il puisse prendre les mesures nécessaires. Ceci dit, le mouvement revendicatif des employés et ouvriers de Spinneys remonte déjà à deux mois et le ministre continue de tergiverser sur le point de signer le permis de création d’un syndicat des employés de la grande surface. Le fait étonnant est que Sélim Jreissati, désigné le 23 février 2012 à la tête du portefeuille ministériel du travail en remplacement de Charbel Nahas, connu pour son long parcours de lutte pour la justice sociale, est «un homme de loi par excellence au niveau de sa formation et de son expérience professionnelle». Il est détenteur d’un doctorat en droit privé et enseigne le droit depuis 1981, notamment à l’USJ. Il est inscrit au barreau de Beyrouth au titre d’avocat près la Cour d’appel. Il a fait partie jusqu’en 1999 du Conseil constitutionnel. Comble de la bizarrerie, le ministère du Travail vient de mettre une ligne d’urgence (1740) dédiée à la réception des plaintes des salariés, le maillon faible des partenaires dans le processus de production. Quant à la quasi-absence du président de la CGTL, Ghassan Ghosn, il n’y a rien de surprenant. Depuis le 6 mai 1992, la CGTL est devenue petit à petit «un outil aux mains du pouvoir». La syndicale ouvrière s’est éloignée «des causes sociales» et représente désormais tout le monde à l’exception de la tranche sociale qu’elle est supposée défendre. Elle a tout simplement perdu son autonomie. Dans les faits le 6 mai 1992, la CGTL présidée par Antoine Béchara, avait appelé à une grève de trois jours dont l’objectif était la demande d’un réajustement des salaires. Les syndicalistes ont été surpris de voir des pancartes brandies dans différentes régions du pays réclamant le départ du gouvernement de Omar Karamé. Un sujet qui n’était pas inscrit à l’ordre du jour de la CGTL. Le chaos qui s’en est suivi a vite fait chuter le cabinet. Plus tard, la dichotomie de la présidence de la CGTL qui a eu lieu lors des élections le 24 avril 1997 a confirmé l’objectif du pouvoir politique «de réduire à néant le champ d’action syndicale». Et depuis, les épisodes du thriller se poursuivent prenant différents aspects.
Lilianne Mokbel