Au Liban, Benoît XVI a répondu de manière magistrale aux interrogations des chrétiens d’Orient en édictant une véritable feuille de route à leur attention. Face aux dangers du fondamentalisme et de l’intolérance, le souverain pontife a mis en avant la nécessité de leur présence et le caractère salvateur de la terre du Christ, fruit du noble alliage entre les communautés de destin qui la peuple.
La visite du pape est préparée depuis des mois. Elle aura été d’une éclatante réussite. C’est le cœur serré que les Libanais, et les chrétiens en particulier, ont assisté au départ du Saint-Père. Pendant trois jours, Benoît XVI a donné corps à un certain idéal de la coexistence. Dans un pays qui cherche encore la bonne formule, le message du pape a redonné de l’espoir. Ses discours ont défini un projet ambitieux que les tourments du Printemps arabe auraient pu définitivement enterrer. En quelques phrases, le souverain pontife a donné vie et fierté à la communauté chrétienne du Moyen-Orient. Ses fils, disséminés sur l’ensemble des pays de la région, partagent les mêmes angoisses, les mêmes craintes. Ils subissent la même marginalisation, goûtent au même «miel amer» de l’émigration, au même destin. Ils ressentent pourtant le même attachement à leur terre. C’est à eux et à leurs frères musulmans que Benoît XVI s’est adressé avec une justesse inégalée. Soyez ce que vous êtes, a-t-il dit en substance. Vous êtes les composantes inamovibles du Levant et c’est ensemble que vous construirez un avenir meilleur. Un message extrêmement simple de communion et de paix, porté par une profonde espérance. Au Liban, ce pape intellectuel a posé les bases théoriques du vivre-ensemble. Explication de texte.
La mission originelle
A son arrivée sur le tarmac de l’aéroport international de Beyrouth, Benoît XVI a posé deux des jalons de sa visite, l’expression de «l’excellence des relations entre le Liban et le Saint-Siège», réponse à l’invitation formulée par les autorités libanaises en 2011 et «la signature et la remise de l’Exhortation apostolique post-synodale de l’assemblée spéciale pour le Moyen-Orient du Synode des évêques, Ecclesia in Medio Oriente». Il s’agit de la lettre de mission consécutive à la rencontre au Vatican du 10 au 24 octobre 2010 qui a réuni l’ensemble de la représentation de l’Eglise d’Orient.
Ce texte de 96 pages fait 100 recommandations sur la façon dont les chrétiens doivent se mouvoir dans cette partie particulière du monde.
Dans les premières pages, le pape rappelle que le Moyen-Orient, «terre choisie de manière particulière par Dieu», fut «le creuset des premières formulations dogmatiques». La région est décrite comme la terre originelle des chrétiens, celle où le Christ a vécu. ‘‘Communion et témoignage’’ était le thème du dernier synode. Voilà la mission apostolique du chrétien d’Orient, témoigner de la présence de Jésus et célébrer le Messie. Mais, note Benoît XVI, «il est triste de voir cette terre bénie souffrir dans ses enfants qui s’entredéchirent avec acharnement, et meurent». Face à ce constat, le maître du Vatican explicite la notion de paix. «Selon les Saintes Ecritures, la paix n’est pas seulement un pacte ou un traité qui favorise une vie tranquille, et sa définition ne peut être réduite à une simple absence de guerre. La paix signifie, selon son étymologie hébraïque: être complet, être intact, achever une chose pour rétablir l’intégrité. Elle est l’état de l’homme qui vit en harmonie avec Dieu, avec lui-même, avec son prochain et avec la nature. Avant d’être extérieure, la paix est intérieure». La foi, le retour aux sources du fait chrétien est l’indépassable première étape vers un monde meilleur.
Ce message n’est pas exclusif. «L’Eglise désire surmonter toute distinction de race, de sexe et de niveau social […] et soutient tout effort en vue de la paix dans le monde et au Moyen-Orient en particulier». «Je vous donne ma paix» aura été le mot d’ordre de cette communion de trois jours.
Cette exhortation à faire fructifier l’héritage de la chrétienté constitue la réponse principale aux hésitations des chrétiens d’Orient, soumis par leur environnement hostile, à la tentation, au «miel amer de l’émigration». La présence ancestrale des chrétiens dans la région n’est pas qu’un choix, elle est une mission plus identitaire que sacrificielle. Il s’agit là, en substance, du message du pape aux chrétiens.
Le refus de la persécution
Ils font «partie intégrante» de la région, tel est le message des chrétiens adressé à leurs frères. En la basilique Saint-Paul de Harissa, où a été signée l’Exhortation apostolique, Benoît XVI a invité l’Eglise d’Orient «à ne pas avoir peur, à demeurer dans la vérité et à cultiver la pureté de la foi». «Telle est la folie de la Croix, celle de savoir convertir nos souffrances en cri d’amour envers Dieu et de miséricorde envers le prochain, celle de savoir aussi transformer des êtres attaqués et blessés dans leur foi et leur identité, en vases d’argile prêts à être comblés par l’abondance des dons divins plus précieux que l’or».
La souffrance des êtres attaqués et blessés, une référence métaphorique aux persécutions dont sont victimes ses fils du Levant, se trouve déclinée dans la totalité de ses discours. Aux jeunes Syriens présents à Bkerké, il dira l’admiration pour leur courage. «Dites chez vous, à vos familles et à vos amis, que le pape ne vous oublie pas. Dites autour de vous que le pape est triste à cause de vos souffrances et de vos deuils. Il n’oublie pas la Syrie dans ses prières et ses préoccupations. Il n’oublie pas les Moyen-orientaux qui souffrent». Au Liban, il ne s’est pas arrêté à de simples dénonciations. Il a, peut-être pour la première fois de manière aussi abrupte, désigné nommément les dangers du radicalisme.
Déjà, dans l’avion qui l’amenait au Liban, le pape a confié à des journalistes que «le fondamentalisme est toujours une falsification de la religion. La tâche de l’Eglise et des religions est de se purifier». Dans l’Exhortation apostolique, Benoît XVI parle d’une «laïcité saine» et surtout, du refus d’un «Moyen-Orient monochrome».
Dans l’Angélus de la messe dominicale de Beyrouth, Benoît XVI a lancé un appel. «J’en appelle à la communauté internationale. J’en appelle aux pays arabes afin qu’en frères, ils proposent des solutions viables qui respectent la dignité de chaque personne humaine, ses droits et sa religion. Qui veut construire la paix doit cesser de voir dans l’autre un mal à éliminer».
Contre la montée de l’islamisme, le pape s’est efforcé de définir les bases d’une saine coexistence avec la communauté musulmane.
Nouveau contrat social
Le synode des évêques du Moyen-Orient en avait déjà posé les principes. «Les chrétiens partagent la même vie et le même destin, et édifient ensemble la société» avec les musulmans. Ils sont appelés à «poursuivre le dialogue de vie fructueux avec eux», «veillant à avoir, à leur égard, un regard d’estime et d’amour, mettant de côté tout préjugé négatif».
Cela passe par une extension du dialogue aux domaines sociaux et politiques. «Il faut promouvoir la notion de citoyenneté, l’égalité des droits et des devoirs, la liberté religieuse comprenant la liberté de culte et la liberté de conscience». A Baabda, le souverain pontife a expliqué que «professer et vivre librement sa religion sans mettre en danger sa vie et sa liberté doit être possible à quiconque».
«Les différences culturelles, sociales, religieuses doivent aboutir à vivre un nouveau type de fraternité (…) Une société plurielle n’existe que grâce au respect réciproque (…) et au dialogue continu. Ce dialogue n’est possible que dans la conscience qu’il existe des valeurs communes à toutes les grandes cultures».
A Bkerké, le patriarche Béchara Raï a déclaré persévérer «à miser sur la prise de conscience de nos frères musulmans de l’importance de la diversité dans nos pays arabes, et de la communion inéluctable entre eux et les chrétiens, leurs partenaires dans la citoyenneté». Aux jeunes, Benoît XVI a mis en avant leur présence qu’il a qualifiée d’importante. «Vous êtes avec les jeunes chrétiens l’avenir de ce merveilleux pays et de l’ensemble du Moyen-Orient. Cherchez à le construire ensemble! Et lorsque vous serez adultes, continuez à vivre la concorde dans l’unité avec les chrétiens».
Avant son départ, Benoît XVI a livré un dernier message. «Le monde arabe et le monde entier auront vu, en ces temps troublés, des chrétiens et des musulmans réunis pour célébrer la paix». Pendant trois jours, le pays a rêvé d’un avenir radieux, puisant dans les avantages de sa diversité les ressources d’une paix globale dans la région. Par sa simple présence, le Saint-Père a conduit l’ensemble des composantes du Liban à se mettre au diapason. Il a tracé la voie, il ne reste qu’à l’emprunter.
Julien Abi-Ramia
Les idées maîtresses
-L’heureuse convivialité toute libanaise, doit démontrer à l’ensemble du Moyen-Orient et au reste du monde qu’à l’intérieur d’une nation, peut exister la collaboration entre les différentes Eglises.
-Cet équilibre présenté partout, comme un exemple, est extrêmement délicat. Il menace parfois de se rompre lorsqu’il est tendu comme un arc, ou soumis à des pressions qui sont trop souvent partisanes, voire intéressées, contraires et étrangères à l’harmonie et à la douceur libanaises.
-Jeunes Libanais, vous êtes l’espérance et l’avenir de votre pays. Vous êtes le Liban, terre d’accueil, de convivialité, avec cette faculté inouïe d’adaptation. Et en ce moment, nous ne pouvons pas oublier ces millions de personnes qui composent la diaspora libanaise et qui maintiennent des liens solides avec leur pays d’origine. Jeunes du Liban, soyez accueillants et ouverts, comme le Christ vous le demande et comme votre pays vous l’enseigne.
-Il faut que l’ensemble du Moyen-Orient, en vous regardant, comprenne que les musulmans et les chrétiens, l’islam et la chrétienté, peuvent vivre ensemble sans haine dans le respect des croyances de chacun pour bâtir ensemble une société libre et humaine.
Quel suivi pour les préceptes du pape?
Il ne faut pas s’y tromper. La visite du pape au Liban et les messages forts qu’il a pu adresser signifient que le Saint-Siège, par l’intercession notamment des Eglises d’Orient, a placé la situation des chrétiens d’Orient en tête de ses priorités. Le souverain pontife a sans doute été rassuré de la situation des chrétiens du Liban, les moins mal lotis dans la région. Mais, comme il l’a expliqué durant le voyage, l’amélioration de leur situation passe par l’élaboration d’un projet plus vaste. Mais le Vatican n’est pas dupe. Concernant la question syrienne, le nonce apostolique à Beyrouth, l’archevêque Gabriele Caccia, explique, à titre d’exemple, que ce qui s’y passe «n’est pas seulement un conflit interne. On assiste à une partie d’échecs au niveau géopolitique entre les grandes puissances».
La diplomatie vaticane pourra-t-elle se mettre au niveau des exigences exprimées par le pape au Liban? C’est là toute la question. La solidification des liens qui unissent aujourd’hui le Saint-Siège aux Eglises d’Orient, processus enclenché depuis le synode de 2010, va favoriser les remontées d’informations provenant des archevêchés de la région. Mais si les grandes manœuvres diplomatiques devaient se mettre en route autour de la Syrie, à l’heure de tensions croissantes entre l’Iran et Israël, quelle place réussirait à prendre le Vatican dans cette éventuelle escalade?