Elle possède cette simplicité typique américaine et ce sens de l’humour qui font tomber toutes les barrières. Dans ses yeux bleus, une bienveillance qui vous met tout de suite à l’aise et vous fait oublier que vous êtes en face de l’ambassadeur de la plus grande puissance mondiale. Portrait de Maura Connelly, 25e ambassadeur des Etats-Unis au Liban.
Les formalités de sécurité accomplies et, une fois à l’intérieur de l’ambassade, on a l’impression de pénétrer dans un autre monde. La profusion d’arbres, en particulier les bougainvillées, et de couleurs, est un véritable ravissement des yeux. Dans cet après-midi de fin d’été, on écoute le gazouillement des oiseaux. «Nous sommes peut-être au seul endroit où l’on ne tire pas sur les oiseaux. Ils ont tous trouvé refuge à l’intérieur de nos murs et habitent nos jardins», confie l’ambassadeur. Dès le début de l’entrevue, le ton est donné, la simplicité est de rigueur. Délaissant son imposant bureau, elle s’installe dans un fauteuil et se prête tout naturellement à la séance photo. Amusée, elle nous confie que généralement, lors des prises de photos, la conversation tourne autour du temps. «Les gens pensent que nous discutons de choses sérieuses alors que devant les caméras, nous nous contentons de parler du climat, de la chaleur qu’il fait, et nous nous demandons si le temps va se rafraîchir ou pas». En lui remettant quelques exemplaires des publications des Editions Orientales, dont notre hebdomadaire en langue arabe, Ousbou el-arabi, elle lit à haute voix les titres. Devant notre surprise, elle dit en souriant: «Oui, je lis et je parle l’arabe. En revanche je parle atrocement le français», reconnaît-elle.
Avec nostalgie, elle évoque ses dernières vacances en juin, qui semblent déjà si loin. «J’ai fait une croisière en Méditerranée en compagnie de mon père, de ma sœur et de mon neveu. C’était ma première croisière. J’ai trouvé très relaxant de se retrouver en mer, sans connexion, sans internet», confie l’ambassadeur.
Page au Congrès
Avec ses deux sœurs, Maura Connelly a été à l’école catholique. A peine âgée de 16 ans, elle quitte sa ville natale Jersey City pour Washington D.C., où, durant deux ans, elle sert de «page» à la Chambre des représentants. «C’était un programme très intéressant mais qui a été arrêté depuis. Il donnait l’opportunité d’étudier dans la matinée et de travailler au Sénat les après-midis. Ce fut une expérience formidable dit Maura Connelly. Après quelques hésitations entre l’archéologie et la diplomatie, elle opte finalement pour des études en Relations internationales et décroche un B.S de Georgetown University, suivi d’un Master en National Securities studies de l’U.S Naval War College. «J’ai été attirée un moment par l’archéologie, puis j’ai pensé que plutôt que de travailler sous le soleil et dans la poussière, ce serait mieux de se retrouver dans un bureau climatisé», dit-elle en souriant. Qui dit diplomatie dit changement continu; une vie qui ne semble pas déranger l’ambassadeur outre mesure. «On s’habitue à bouger et ceci devient un mode de vie. Pourtant, il est difficile de changer chaque fois de pays et d’amis, mais on finit bien par s’y habituer», dit-elle. Pour avoir vécu dans une ville où plusieurs ethnies se côtoient, Maura Connelly dit avoir voulu découvrir le monde dont sa petite ville n’était qu’un échantillon. «La diplomatie me passionne et je n’ai jamais regretté ce choix». Elle a occupé plusieurs postes au Moyen-Orient, dans des pays tels que l’Egypte, la Syrie, la Jordanie et l’Algérie. Pour elle, être une femme dans ce milieu est un grand atout. «Il est plus facile de traiter avec une femme qu’avec un homme. Souvent en politique on préfère avoir une femme pour interlocuteur et s’il est donné de choisir entre un homme et une femme, c’est généralement celle-ci qui l’emporte. Je n’ai jamais eu de problème dans ce sens», reconnaît l’ambassadeur.
Le Liban, une terre accueillante
L’hospitalité des Libanais ne laisse pas la diplomate indifférente. Elle se souvient encore qu’à la fin des années 90, alors qu’elle était en fonction en Jordanie, lors d’une visite au Liban, elle s’était foulé la cheville au cours d’une marche dans la vallée de Qadisha. Ne voulant pas retarder le groupe, elle était restée durant deux heures avec des gens du village, qui l’avaient accueillie et lui avaient offert du thé. «Les Libanais sont très accueillants et fiers de leur pays. C’est à travers eux qu’on apprend à le connaître. Ils nous font sentir que nous sommes chez nous», dit-elle. La manière qu’ils ont d’insister autant lorsqu’ils sont à table pour vous faire goûter un plat ou à un autre est typique. «Souvent, je leur dis que je n’en peux plus, mais que mes collègues seraient ravis d’y goûter». La tendance des Libanais à se plaindre de tout et de rien amuse l’ambassadeur. «Il y a tellement de choses qui fonctionnent mal dans le pays, pourtant les Libanais sont si ingénieux et créatifs qu’ils trouvent remède à tout. Finalement, tout marche et rien de mauvais n’arrive», confie-t-elle. Pour elle, il est clair qu’on ne s’ennuie jamais au Liban. «Il y a tellement de choses à voir. J’adore découvrir de nouveaux endroits. Il m’arrive souvent d’aller seule au supermarché pour acheter un shampoing. Il y a toujours quelque chose de nouveau, une nouvelle théorie de conspiration et vous trouvez toujours quelqu’un à qui parler», souligne-t-elle. L’ambassadeur a beaucoup d’amis libanais mais vu que son travail est un job à plein temps, il ne lui donne pas l’occasion de les voir aussi souvent qu’elle le souhaiterait. A travers le programme USaid, elle est en contact avec les étudiants libanais. «Ils ont les idées claires et savent parfaitement ce qu’ils veulent. Ils sont impressionnants. C’est une société très forte, capable de produire de fortes personnalités», estime Connelly.
Pourtant, il n’est pas aisé d’être en poste dans un pays où une partie de la population s’oppose à la politique américaine dans la région. Pour l’ambassadeur, c’est la même situation dans tous les pays. Aucune politique ne fait l’unanimité. «Même aux Etats-Unis, les gens sont divisés. Nous représentons nos valeurs et nous sommes des intellectuels ouverts. Nous échangeons nos idées avec ceux qui sont capables de le faire et nous dialoguons avec tout le monde, même avec ceux qui ne sont pas de notre avis. Il n’y a que le Hezbollah avec qui nous n’avons pas de contact par choix et parce qu’il existe une loi qui nous interdit de le faire. Je ne vais pas à chaque réunion en me disant qu’elle sera positive mais j’aime beaucoup argumenter. Je passe de longues heures à discuter avec des gens de tout bord, d’ailleurs les Libanais adorent cela», affirme la diplomate en souriant.
Si les ambassadeurs de France considèrent à l’unanimité qu’être nommé au Liban est une promotion, il en est aussi de même pour l’ambassadeur des Etats-Unis, qui se hâte d’ajouter avec humour: «Mais la différence, c’est que moi je ne vis pas dans un palace comme la Résidence des Pins. Ma résidence est beaucoup plus modeste». Pour la diplomate, le Liban est très important malgré toutes les difficultés que les Américains y ont connues, en particulier la destruction de leur ambassade en 1983. «Le Liban nous importe beaucoup car sa stabilité intéresse toute la région. En outre, les Américains d’origine libanaise sont très puissants à Washington et les liens économiques entre les Etats-Unis et le Liban sont forts. Récemment, les Américains ont acheté un vaste terrain sur lequel ils ont l’intention de construire une nouvelle ambassade. Un signe clair de l’engagement américain au Liban.
Joëlle Seif
Native de Jersey City
En juin 2010, Maura Connelly est désignée par le président Barak Obama comme ambassadeur des Etats-Unis au Liban. Lors de la confirmation de sa nomination au sénat, le sénateur Robert Menendez dira en parlant d’elle: «Quiconque est né a Jersey City, dans le New Jersey, peut probablement bien réussir au Liban». Ces propos font sourire la diplomate. «En fait, c’était une sorte de compliment. Le sénateur Menendez, lui-même originaire de New Jersey, voulait dire que quels que soient les défis et les difficultés, ils seront faciles à affronter pour quelqu’un qui a vécu à Jersey City, connue pour être une ville très dure. Ceci est un atout du fait que les habitants de Jersey, où se mêlent plusieurs ethnies, sont passionnés par la politique. J’ai grandi dans cette ambiance et cela ne m’a pas surpris de voir à quel point les gens ici sont pris par la politique. Pourtant, il faut bien garder en tête que Jersey City ne connaît pas les divisions qui existent au Liban», explique la diplomate.
Sa passion, la photographie
Le peu de temps libre que ses multiples occupations lui laissent, Maura Connelly l’utilise pour aller à la découverte des pays, toujours munie d’une caméra. D’ailleurs, sur les murs de son bureau sont accrochées des photos de cathédrales, prises alors qu’elle était en poste en Grande-Bretagne. Sur une table, trône l’image d’un coucher de soleil pris sur la côte libanaise. Souvent, elle s’arrête à prendre quelques photos, au grand désespoir de ses gardes du corps. «Maintenant, ils se sont habitués. D’ailleurs, souvent il leur arrive de m’indiquer eux-mêmes des endroits intéressants, des paysages, des sites ou des monuments susceptibles d’être photographiés», dit-elle.