Victime collatérale du conflit qui se joue en Syrie, le village d’Ersal a été cette fois le théâtre d’une attaque de rebelles syriens. Ceux-ci s’en sont pris pendant plusieurs heures à un poste de l’Armée libanaise. Que se passe-t-il dans ce coin perdu du Liban?
Le village tranquille n’est plus ce qu’il était. Depuis le début du conflit syrien, le village d’Ersal, dans l’Est du Liban, continue d’essuyer les tirs ou les attaques. En l’espace d’une semaine, les rebelles de l’Armée syrienne libre (ASL) ont ainsi effectué deux incursions en territoire libanais. La dernière s’est produite dans la nuit du 21 au 22 septembre derniers. «Pour la deuxième fois en moins d’une semaine, une force de l’Armée syrienne libre est entrée dans la nuit dans les environs du (village libanais) d’Ersal et ont attaqué un poste de l’armée libanaise avec un grand nombre d’hommes armés, sans faire de blessés parmi les soldats», indique laconiquement un communiqué de l’Armée libanaise. «Des renforts de l’armée ont été dépêchés vers la zone et ont commencé à poursuivre les hommes armés qui se sont enfuis après l’agression en direction des montagnes et de certaines localités et villages frontaliers libanais», poursuit le communiqué. Ce nouvel accrochage a encore fait résonner dans la nuit à Ersal des échanges de coups de feu d’armes automatiques et de grenades.
Quelques jours plus tôt, un autre groupe de rebelles de l’ASL, composé tout de même d’une centaine d’hommes en partance pour la frontière syrienne, s’en était pris à une patrouille de gardes-frontières libanais.
Une fois encore, ce petit village sunnite situé à 150 kilomètres de Beyrouth et à quelques trois heures de voiture, se retrouve impliqué, bon gré, mal gré, dans le conflit syrien qui se joue à quelques kilomètres de là.
Car avant les incursions des rebelles de l’Armée syrienne libre, ce sont les soldats de l’armée régulière syrienne qui y ont pénétré. Ce fut le cas, par exemple, le 6 juin dernier, où les soldats du régime Assad ont fait une incursion de 2 kilomètres à l’intérieur du territoire libanais.
Il faut dire, mais cela n’excuse pas tout, que le village offre un terreau propice à de telles violations de la souveraineté libanaise, que cela soit par l’un ou l’autre camp. En effet, le village d’Ersal, à majorité sunnite, se situe dans une région à majorité chiite. Selon les propos du maire d’Ersal, Ali el-Hujeiri, interviewé après l’incursion du 6 juin, «le village d’Ersal soutient la révolution syrienne. (…) C’est notre deuxième pays la Syrie. Et c’est notre prolongement naturel. Il faut savoir aussi que les Syriens subissent une grande injustice». Alors que dans le reste de la région qui l’entoure, la population semble plutôt partisane d’un maintien de la famille Assad au pouvoir.
A cela se greffe une autre problématique. Le petit village d’Ersal serait ainsi devenu une plaque tournante pour la contrebande et le trafic d’armes et d’argent destinés à la rébellion syrienne qui combat dans la région de Damas. Des groupes de combattants partent de la région pour attaquer les positions de l’armée loyaliste syrienne de l’autre côté de la frontière. Ersal apparaît même comme un vrai lieu de repli des membres de l’Armée syrienne libre, dont certains viendraient se reposer là quelques jours, avant de repartir au combat. Un fait nié par les autorités du village. Le village accueille également de nombreuses familles de réfugiés syriens qui fuient les combats dans leur pays, et qui peuvent compter sur la solidarité des habitants. Depuis le début du conflit, près de 1400 familles syriennes seraient réfugiées à Ersal (voir encadré)
C’est d’ailleurs pour cela que l’armée régulière syrienne ne se gêne plus pour y intervenir, elle aussi, au grand dam de l’Etat libanais. Les troupes de Bachar el-Assad ont déjà bombardé la région à plusieurs reprises, avec l’artillerie ou carrément par hélicoptère. Une situation devenue inconfortable et surtout inacceptable pour le gouvernement libanais qui a dû protester à deux reprises de ces incursions auprès de Damas.
La présence de l’Armée libanaise a donc été renforcée dans la région. Une nécessité, d’autant que le Liban compte 60 kilomètres de frontières avec son voisin syrien. Des frontières plus que poreuses et où une démarcation précise est absente en plusieurs endroits. Dans son communiqué sur l’incident du 21 septembre, l’institution militaire s’est d’ailleurs dite déterminée à empêcher toute partie «d’utiliser le territoire libanais pour impliquer le Liban dans les événements des pays voisins», ainsi qu’à «faire face à toute violation, quelle que soit la partie responsable».
Mais pour l’heure, la situation à Ersal reste tendue. L’attaque par les rebelles de l’Armée syrienne libre d’un poste militaire libanais apparaît comme une réponse au tour de vis effectué par l’Armée libanaise, qui a envoyé de nombreux renforts dans la région.
Sur le plan politique, le camp du 8 mars a déjà accusé à plusieurs reprises certaines forces politiques de faciliter la contrebande d’armes destinées aux rebelles, ainsi que l’infiltration de combattants. Même le ministre de la Défense, Fayez Ghosn, y est allé de sa déclaration. Selon lui, c’est tout bonnement al-Qaïda qui est présente dans ce village. Ses propos avaient été immédiatement critiqués par l’opposition libanaise du 14 mars.
Après les échauffourées entre rebelles de l’ASL et soldats de l’Armée libanaise ce 21 septembre, le président Michel Sleiman a lui-même salué la riposte. Selon lui, la réaction de la troupe est une réponse normale dans le cadre de la décision du Liban d’observer une neutralité vis-à-vis du conflit en Syrie voisine. Le président a également appelé les habitants des villages libanais frontaliers avec la Syrie à se solidariser avec l’Armée libanaise et à soutenir ses éléments. Sera-t-il entendu? De son côté, Michel Aoun a accusé, mardi, le maire d’Ersal d’être devenu un véritable «commandant d’armée», tout en condamnant les troubles dans la région et en appelant l’Etat à se pencher sérieusement sur la question des réfugiés syriens (voir encadré).
Jusqu’à présent, les tirs et bombardements en provenance de Syrie ont déjà fait une trentaine de victimes, morts et blessés confondus, le long de la frontière libanaise. A ce triste bilan, s’ajoute encore les victimes de la dernière attaque en date, dans le village d’al-Tufayl, dans la Békaa. Dans la nuit de mardi à mercredi, Abdallah Hassan Mrad et Mamdouh Hassan Mrad, deux habitants de ce village, ont essuyé les tirs de rebelles de l’Armée syrienne libre. Le premier a été tué sur le coup, le second blessé. Ce qui porte à trois le nombre d’attaques contre le Liban, en une semaine, par les forces de l’ASL. Pour les habitants de la région, la situation devient, jour après jour, de plus en plus insupportable.
Jenny Saleh
120000 réfugiés d’ici fin 2012
Selon le dernier rapport de Caritas Liban, les réfugiés syriens sont toujours plus nombreux à franchir la frontière pour le Liban. L’organisation estime qu’ils seront 120000 d’ici la fin de l’année.
Toutefois, contrairement à ce qui se déroule dans les autres pays frontaliers de la Syrie, en Turquie, en Jordanie et en Irak, les Syriens qui fuient le conflit en se réfugiant au Liban, sont disséminés parmi la population libanaise. Alors qu’ailleurs, ils vivent dans des camps de toile établis à leur attention.
Si les familles les plus aisées se rendent dans la région de Beyrouth, les autres trouvent abri qui, dans des écoles, qui, dans des mosquées ou des bâtiments abandonnés. Avec une angoisse persistante, celle de l’arrivée prochaine du froid.
Selon le Haut Commissariat aux Réfugiés, à la fin août, le Liban comptait près de 52000 réfugiés, qui reçoivent le soutien du gouvernement libanais et d’ONG sur place. Le rapport du HCR dénombrait à cette période 21782 personnes au Nord, 16424 dans la Békaa, le reste étant éparpillé sur le territoire.