Le débat autour de la prochaine loi électorale bat son plein. Entre la loi des caza (dite loi de 1960), les petites circonscriptions, le mode de scrutin majoritaire ou proportionnel, les protagonistes spéculent sur la formule qui sert au mieux les intérêts de chacun. Magazine épluche les différents projets en gestation et propose les projections des résultats.
Les accusations fusent. L’opposition accuse la majorité d’avoir adopté en Conseil de ministres un projet de loi qui lui permet de garder sa mainmise sur l’Etat. La majorité, elle, accuse l’opposition de chercher ses intérêts personnels et confessionnels à travers le projet suggérant les petites circonscriptions, qui vont à l’encontre de l’accord de Taëf; lequel prévoit «un découpage basé sur les mohafazas».
Le décalage entre les chiffres d’une étude à l’autre est important. Pour les uns, la proportionnelle sauvegarde au mieux les intérêts des chrétiens, pour les autres, ce sont plutôt les petites circonscriptions qui servent ses intérêts.
A huit mois des élections législatives, «il ne faut plus différer le débat sur la loi électorale, mais lui accorder une priorité absolue. Le facteur temps joue désormais contre les aspirations aux réformes du peuple libanais», souligne l’Assemblée des évêques maronites. La loi devra être adoptée par le Parlement avant le début de 2013, le ministre de l’Intérieur Marwan Charbel ayant réclamé un délai de cinq mois pour pouvoir organiser les élections.
Les différentes parties sont «officiellement» d’accord sur un point essentiel: pas de retour à la loi électorale de 1960 qui n’assure pas une juste représentation de l’électorat, notamment chrétien. Mais les différends surgissent quant il s’agit de la forme de la nouvelle loi. Si, pour les uns, la proportionnelle assure leur représentativité ou leur permet de recueillir la majorité, pour les autres, ce serait un moyen de rayer leur rôle de la vie politique. Ils la combattent férocement.
Le grand problème reste sans doute la représentativité des chrétiens et la loi qui sert le mieux leurs intérêts. L’absence d’accord entre les leaders chrétiens, réunis à plusieurs reprises à Bkerké, a permis l’apparition de projets. Le communiqué des évêques maronites semble pourtant clair: «La loi de 1960 permet l’élection d’une grande partie des députés chrétiens et autres en fonction de certains poids électoraux. Ceci contredit le principe de la vie en commun et celui d’une saine parité dans la composition de la Chambre des députés, conformément à l’article 24 de la Constitution». La nouvelle loi doit respecter la parité entre musulmans et chrétiens consacrée par la Constitution.
Les 13 circonscriptions
Quatre projets sérieux sont en lice. Le projet de loi, approuvé début août par le gouvernement, est basé sur la proportionnelle et un découpage en treize circonscriptions, auxquelles s’ajoute une circonscription de six députés réservée aux émigrés. Ce texte est agréé par la majorité gouvernementale: le Hezbollah, Amal, et en deuxième priorité, par le CPL. Il est rejeté fortement par les ministres du Front de lutte nationale du député Walid Joumblatt, et par l’opposition, qui le trouve injuste à l’égard de la diaspora, le gouvernement ayant placé tous les expatriés dans la même circonscription. Le gouvernement aurait ainsi approuvé une loi qui lui serait favorable au détriment de l’alliance du 14 mars. Les chrétiens du 14 mars dénoncent, en particulier, les groupements des circonscriptions de Baabda-Metn, et de Jbeil-Kesrouan, qui ont été faits, selon eux, pour favoriser la réussite des députés du CPL grâce aux votes chiites.
Avec le scrutin proportionnel, tel qu’il est présenté dans le projet du gouvernement, le Courant du futur devrait perdre une partie des sièges sunnites, notamment à Tripoli, à Saïda, à Beyrouth et dans la Békaa-Ouest, avec l’apparition d’un nouvel élément sur la scène sunnite et l’émergence des mouvements salafistes. Il en est de même pour le parti de Walid Joumblatt. Pour la communauté chiite, aucune formule n’est susceptible d’apporter un grand changement.
Selon une étude élaborée par la société Ara pour les recherches et les consultations, le projet gouvernemental ne donne aucune majorité absolue au 8 ou au 14 mars, et en fin de compte, chacun des deux camps obtiendra 54 sièges et 20 pour les députés indépendants.
Le patriarcat maronite avait tenté de trouver une solution d’entente entre les chrétiens du 14 mars et ceux du 8 mars. Il a réuni les représentants des deux camps sur le thème: pour une meilleure représentativité des chrétiens. Mais si les deux parties sont d’accord pour considérer qu’en théorie, la loi électorale de 2009, qui apporte des amendements à la loi de 1960, est défavorable aux chrétiens, une grande partie de leurs sièges étant obtenus par le vote de non-chrétiens, ils ne parviennent pas à s’entendre sur une même formule.
Les 15 circonscriptions
La Rencontre chrétienne de Bkerké avait envisagé plusieurs projets. Mais après l’échec du choix de la proposition de la Rencontre orthodoxe, deux projets sont restés à l’étude: le premier prévoit de petites circonscriptions à pourvoir au mode du scrutin majoritaire. Le second est fondé sur la proportionnelle, sur la base d’un découpage en 15 circonscriptions et avec d’importants amendements. Selon les experts, en se basant sur les précédentes élections et le nombre de votants, les chrétiens pourront assurer l’élection de plus de 50 de leurs députés par leurs propres forces. De plus, l’accord entre le CPL et le Hezbollah permet au premier de faire élire les députés chrétiens de son choix dans les circonscriptions à majorité chiite.
Selon Abdo Saad, directeur du Centre de recherche et des études, le projet des 15 circonscriptions permettrait aux chrétiens d’élire 55 de leurs députés. Les musulmans n’auront d’influence que sur 9 sièges. Pour Rabih Habr, directeur général de Statistics Lebanon, les chiffres sont proches, et varient entre 51 et 54 députés.
Le projet du CPL
Les députés aounistes Nehmetallah Abi Nasr et Alain Aoun avaient présenté une proposition de loi électorale basée sur la circonscription unique et la proportionnelle, accompagné d’une condition: chaque communauté élit ses propres députés, selon le projet présenté par la «Rencontre orthodoxe». Ce dernier assure l’élection des 64 députés chrétiens par les voix chrétiennes, et il en est de même pour les musulmans. Il lui est reproché de favoriser l’esprit confessionnel. Si pour les chrétiens, ce projet leur permet d’élire tous leurs députés, les experts pensent que le Courant du futur n’y trouvera pas son intérêt. Il en est de même pour le député Joumblatt.
Les 50 circonscriptions
Le projet de loi présenté au Parlement par les députés de l’opposition Georges Adwan, Boutros Harb et Sami Gemayel est basé sur un découpage prévoyant 50 petites circonscriptions. Selon l’opposition, cette proposition assure une représentation juste des chrétiens. Les 50 circonscriptions auront chacune deux députés, et au maximum trois. Rien ne changera pour Jbeil, Koura, Bécharré ou Zghorta, par exemple, mais le projet divise Beyrouth en sept circonscriptions, Baalbeck en 4, Zahlé, Chouf, Tripoli, Akkar, Metn-Nord, Baabda en 3, la Békaa-Ouest, Tyr, Majeyoun-Hasbaya, Aley, Kesrouan en 2 circonscriptions.
Ce projet a suscité une grande polémique. La majorité y voit une entorse à l’accord de Taëf, et comporte plusieurs lacunes. Les promoteurs du projet estiment qu’il pourrait assurer l’élection de 56 à 57 des députés chrétiens par les voix des chrétiens eux-mêmes. L’expert Abdo Saad souligne que ce chiffre est exagéré, et que les chrétiens ne pourront assurer que l’élection de 18 députés par leurs propres forces. Et pour cause, il n’y a que quatre circonscriptions où la voix musulmane n’est pas décisive: Bécharré (2 députés, presque zéro% de voix pour les votants musulmans), Batroun (3 députés, 4%), Kesrouan (5 députés, 3%) et Metn (8 députés, 4%). Dans les autres circonscriptions, le plus souvent l’équilibre entre les chrétiens de la majorité et les chrétiens de l’opposition aboutit à ce que le vote musulman fasse pencher la balance d’un côté ou de l’autre. Selon cette étude, 35 députés se trouveront dans des régions où la voix des musulmans est très influente (voir tableau), en plus de 11 députés chrétiens dans des régions avec une majorité de votants musulmans. L’expert Saad souligne que le projet du 14 mars profite au Courant du futur et au député Joumblatt qui pourront influer ainsi sur plus d’un tiers des députés chrétiens.
Une étude de Statistics Lebanon, souligne que le projet des 50 circonscriptions assure l’élection de 51 députés chrétiens par les voix des chrétiens eux-mêmes, alors qu’il permet aux musulmans de choisir 61 de leurs députés sans influence. Pour la société de sondage L’Internationale pour les renseignements, seuls 40 députés chrétiens pourront être élus par les voix des votants chrétiens, mais le projet pourra assurer une majorité de presque 78 députés pour le 14 mars.
Selon les experts, le député Joumblatt n’a pas intérêt à contrer le projet des 50 circonscriptions, parce qu’il lui donne 6 députés au Chouf, 5 à Aley, deux à Baabda, et un à Hasbaya-Marjeyoun.
Le CPL considère que ceux qui réclament les petites circonscriptions veulent émietter le pays et ne pensent qu’au bénéfice instantané, alors qu’il n’est plus permis que la majorité populaire soit représentée par une minorité parlementaire.
Aucune étude n’est concluante. Il n’est pas possible de connaître le nombre réel des députés qui seront à l’actif de tel ou tel camp. Car se baser sur les résultats de 2009 serait erroné. Le système qui a prévalu à l’époque est le majoritaire, alors que si la proportionnelle est adoptée, les donnes vont complètement changer. Les chrétiens, qui votaient à 62% dans les régions où leur voix est dominante, n’élisaient que 20 à 37% dans les régions à majorité musulmane. Avec la proportionnelle, ils seront plus motivés à aller aux urnes, et ils pourront changer les donnes.
La bataille semble concentrée sur la représentativité chrétienne, et à quel point les «alliés» des chrétiens de la majorité ou de l’opposition sont prêts à agréer leur projet. Pourtant d’autres défis entrent en jeu. Chaque partie a des calculs différents. Les sunnites et les chiites sont prêts à appuyer leurs «alliés», mais ils doivent prendre en compte leurs intérêts. Joumblatt insiste sur une formule électorale qui lui sauvegarde son rôle de faiseur de majorité et afin qu’il maintienne l’équilibre entre les deux camps, comme il le fait.
Arlette Kassas
Le projet des 13 circonscriptions
Selon le projet de loi approuvé par le Conseil des ministres, le Liban est divisé en treize circonscriptions: Deux pour Beyrouth, avec neuf sièges pour la première (Achrafié- Rmeil- Médawar- Port- Saïfi- Bachoura) et dix sièges pour la seconde (Ras Beyrouth- Dar Mraisseh- Mina al-Hosn- Zqaq el-Belat- Mazeraa- Msayetbeh);
-Deux circonscriptions pour le Liban-Sud, avec douze sièges pour la première (Saïda-Tyr-Jezzine-Zahrani) et onze pour la seconde (Bent Jbeil- Nabatié- Marjeyoun- Hasbaya);
-Trois circonscriptions pour la Békaa, avec sept sièges pour la première (Zahlé), six pour la seconde (Rachaya- Békaa-Ouest) et dix pour la troisième (Baalbeck-Hermel);
-Trois circonscriptions pour le Liban-Nord avec dix sièges pour la première (Akkar- Menié- Dennié), huit pour la seconde (Tripoli) et dix pour la troisième (Zghorta- Bécharré- Koura- Batroun);
-Trois circonscriptions pour le Mont-Liban, avec quatorze sièges pour la première (Baabda-Metn), huit pour la seconde (Jbeil-Kesrouan) et treize pour la troisième (Chouf-Aley). Une quatorzième circonscription est réservée pour la première fois aux Libanais de l’émigration.