Pour Marwan Hamadé, député du Chouf, l’enjeu des prochaines élections législatives est crucial: la prochaine Assemblée sera appelée à élire un président de la République. «Ceci veut dire que celui qui obtient la majorité pourra prendre le contrôle de la présidence». Interview.
Est-il vrai qu’il existe un lien entre la loi électorale et la présidence de la République, comme le prétend le chef de l’Assemblée nationale, Nabih Berry?
Il est certain que la prochaine Assemblée sera appelée à élire un président de la République. Le lien existe forcément. Ceci veut dire que celui qui obtient la majorité pourra prendre le contrôle de la présidence. C’est pourquoi nous appelons les Libanais à ne pas donner la majorité à la légitimation des armes, parce que cela engendrera un président de la République soumis au diktat des armes pendant six ans.
Votre commentaire sur la polémique autour de la loi électorale et sur les tiraillements qui l’accompagnent?
Sans doute que le bras de fer se poursuit avec ceux qui veulent consacrer la suprématie des armes en donnant une légitimité constitutionnelle à ces armes via l’obtention d’une majorité parlementaire. Ce camp ne détient pas une majorité aujourd’hui, il a une majorité ponctuelle due au repositionnement du député Joumblatt en décembre 2011. C’est une majorité instable, et elle ne s’applique pas de façon globale. Elle ne s’exprime pas d’une seule voix sur le sujet syrien, ni sur certains chapitres du budget. Cette majorité n’existe pas non plus au sujet du Tribunal international ou de la loi électorale. La loi sur la proportionnelle adoptée en Conseil des ministres n’a aucune chance d’être avalisée par le Parlement.
Les chrétiens du 14 mars ont présenté un projet basé sur les petites circonscriptions, où en sont les contacts à ce sujet? Le président Siniora a-t-il réellement approuvé ce projet ou est-il en train de manœuvrer?
Le président Siniora a approuvé la formule des petites circonscriptions devant le patriarche Béchara Raï. Evidemment, ils n’ont pas abordé des détails, tel que le nombre… Un premier projet prévoyait 62 circonscriptions qui sont tombées à 50… Il existe des suggestions visant à réduire encore plus le nombre de circonscriptions pour éviter une fragmentation du pays.
La réduction du nombre de circonscriptions a-t-il pour but d’amener le député Walid Joumblatt à donner son feu vert au projet?
C’est vrai… Il faudrait que la polémique se calme un peu. Les commissions mixtes ne pourront régler ce dossier ni mardi, ni jeudi… Les commissions, en fait, reflèteront l’entente qui sera conclue par les parties politiques. A mon avis, celle-ci portera sur le mode de scrutin majoritaire avec un plus grand nombre de circonscriptions que celles prévues dans la loi de 1960. Il se pourrait que le nombre soit inférieur à la formule proposée par les députés Sami Gemayel, Georges Adwan et Boutros Harb. Sans oublier que la commission de Bkerké n’a pas achevé ses travaux sous la houlette du patriarche qui a bien dit qu’il ne prendra pas parti pour les uns au détriment des autres. A mon avis, il jouera un rôle d’arbitre. La composante chrétienne, qu’elle soit du 14 mars ou du courant aouniste, devrait ouvrir le débat de façon plus approfondie avec les autres composantes. Parce que nous avons besoin d’une majorité parlementaire pour avaliser la loi électorale.
On parle d’une tendance implicite chez les alliés du général Aoun, à savoir le Hezbollah et le mouvement Amal, à approuver le projet de la Rencontre orthodoxe. Est-ce pour faire plaisir au général?
Je m’en tiens toujours à ma position concernant le projet de la Rencontre orthodoxe. Si nous procédons à une analyse des chiffres, nous remarquons qu’à travers ce projet, un député peut être élu avec 1000 voix issues des minorités à Beyrouth ou ailleurs, et qu’un député d’une autre communauté accèdera au Parlement avec 200000 voix. Le Liban n’a jamais connu ce mode de scrutin, ni en 1920 à la déclaration du grand Liban, ni dans la Constitution de 1926, ni à l’heure de l’indépendance en 1943… Ce que l’on qualifie de projet de loi orthodoxe, je ne l’appelle pas ainsi, parce que les personnalités orthodoxes importantes ne l’ont pas présenté. Ce projet est valable, à mon avis, pour le Sénat supposé représenter les communautés.
Quel est, à votre avis, l’accord final auquel parviendront les Forces du 14 mars de concert avec Walid Joumblatt?
L’affaire nécessite de plus amples consultations entre les diverses composantes du 14 mars et leur éventuel et confirmé allié électoral, le ministre Walid Joumblatt. Il ne faudrait pas non plus verrouiller le débat avec les autres composantes. C’est ce qui se passe à Bkerké avec une partie du 8 mars, soit avec le général Aoun, et c’est ce qui se passe avec le président Nabih Berry. Je suggère de mettre de côté, pour un moment, les clauses 1 et 2 autour desquelles s’articule le débat pour mener des concertations dans le calme. Nous irons ensuite au Parlement. Si nous continuons à polémiquer sur les clauses 1 et 2 dans la situation actuelle, nous n’avancerons pas. On n’enregistrera aucun résultat. Laissons les consultations en cours mûrir… Donnons l’occasion aux composantes communautaires et aux partis politiques d’approfondir le sujet. Laissons aboutir les concertations menées à Bkerké, et laissons le 8 mars s’entendre avec le CPL, si celui-ci se positionne sous l’égide de Bkerké… Au sein du 14 mars, il existe un projet présenté par les partis chrétiens qui bénéficie de l’appui d’une partie de la coalition, mais l’ensemble n’est toujours pas convaincu, surtout pour ce qui est du nombre de circonscriptions… Les commissions parlementaires ne trancheront pas cette question, elles reflèteront, inchallah, l’entente à laquelle les politiques parviendront.
Les contacts entre le 14 mars et le député Joumblatt ont-ils été entamés? Etes-vous optimiste quant à l’aboutissement à une formule médiane qui prévoit un découpage situé entre celui prévu par la loi de 1960 et les 50 circonscriptions?
Oui, les contacts ont commencé. J’œuvre à cela.
Le président Nabih Berry a déclaré qu’il approuverait toute formule acceptée à l’unanimité par les parties chrétiennes…
Le président Berry se démarque quelque peu des forces du 8 mars. C’est une position qui reflète son rôle de président de l’Assemblée.
Et le vote des émigrés?
Les élections seront nulles si les émigrés n’y participent pas. Nous aurions renoncé à l’engagement pris face à l’opinion publique et à nous-mêmes. Il s’agit d’une trahison, à mon avis. Ajoutez à cela trois éléments essentiels que nous n’avons pas abordés: l’âge minimum du droit de vote qui nécessite un amendement constitutionnel, le droit de vote des émigrés qui doivent bénéficier d’une loi et d’un mécanisme de vote réels, et le Sénat, parce que les communautés doivent conserver une force de rééquilibrage.
Etes-vous pour un délai déterminé concernant l’adoption par le Parlement d’une nouvelle loi électorale?
L’échéance existe. Le ministre de l’Intérieur a fixé un délai en fonction de ses capacités logistiques au cas où la loi prévoit des changements fondamentaux. Je pense que, d’ici la fin de l’année, il faudrait que la nouvelle loi voie le jour.
La série des attentats commence à toucher de nouvelles personnalités comme le président Nabih Berry et le général Michel Aoun et d’autres…
Je n’exclus pas que les auteurs du complot qui veulent détruire le Liban veuillent cibler des personnes comme le président Nabih Berry ou le général Aoun. L’objectif étant de provoquer une fitna. Celui qui désire la fitna va continuer à le faire à droite et à gauche. Mais ce que je peux faire remarquer, c’est que toutes les victimes qui sont tombées appartiennent à un même camp. Cela ne veut pas dire que la menace ne pèse pas sur l’autre camp dont nous respectons les idées et auquel nous faisons face sans violence mais via le débat au parlement, à l’extérieur, ou via le petit écran. Tout cela fait partie de notre démocratie. Mais lorsque les choses se transforment en voitures piégées, enlèvements et autres complots… cela devient du fascisme de la dictature, du totalitarisme.
Propos recueillis par Saad Elias