Quand, en mars 2011, les premières manifestations se déroulent en Syrie, elles revendiquent pacifiquement la fin du régime. Celui-ci n’en a cure, il répond violemment, particulièrement à Daraa, où des enfants sont torturés. Les réformes promises par le président Assad ne convainquent pas et face à la brutalité de la répression, les opposants prennent les armes. Très vite, des dissidents de l’armée rejoignent l’insurrection et l’encadrent. Le colonel Riad el-Assad, commandant de l’Armée syrienne libre déclare, en juin 2011, que ses troupes défendront tous les Syriens, toutes confessions confondues. Alors que le régime dispose d’un arsenal important et que la Russie et l’Iran ne manquent pas de réapprovisionner ses stocks de munitions, la rébellion, elle, est réduite à ses prises de guerre. L’argent qu’envoient des émigrés syriens et des particuliers du Golfe aux insurgés ne peut combler le fossé. Les rebelles attendent que les pays arabes, et surtout l’Occident, à défaut d’intervenir sur le terrain, les approvisionnent en armements sophistiqués et suffisants. Rien n’est fait, les Américains ne veulent pas livrer d’armes, ils craignent que des salafistes les confisquent. Le conflit s’enlise, les insurgés sont débordés, ils reculent à Bab Amr, à Homs, devant la machine implacable de l’armée régulière. C’est alors qu’apparaissent les véritables groupes salafistes organisés. Présents dès le début, ils n’étaient qu’en petit nombre et marginalisés. Face à la violence du régime, leurs discours et leurs manières tout aussi violents, séduisent la population. Il est plus facile de tuer au nom de Dieu qu’au nom des hommes. Les banlieues pauvres et les campagnes sinistrées, abandonnées par le régime et l’islam traditionnel tolérant, plus occupés tous les deux à s’enrichir, prêtent l’oreille désormais aux jihadistes. Un discours simple, des sourates du Coran et des hadiths bien choisis et détournés, nourrissent la haine qui ne demande plus qu’à s’exprimer. Quand ces groupes commencent à se former, le Qatar et l’Arabie saoudite trouvent, en eux, d’excellents agents à leur prosélytisme d’un islam prétendument fondamentaliste. Les vannes des pétrodollars s’ouvrent généreusement, les salafistes sont inondés. Même certains groupes de combattants utilisent un langage islamiste dans leurs communiqués par opportunisme, pour avoir accès à cette manne. L’insurrection dépend de plus en plus des formations jihadistes. L’Amérique craignait que ses armes ne tombent en de mauvaises mains, c’est fait! Et de surcroît, grâce à ses alliés du Golfe. Mais cet argument seul ne tient pas la route. Echaudée par l’expérience libyenne, l’Amérique aurait parié sur un revirement de l’armée qui n’a pas eu lieu. Ne voulant pas s’engager directement, encore traumatisée par le fiasco irakien, elle préfère partager le fardeau avec d’autres. Cette politique qui met un terme à l’unilatéralisme, à l’interventionnisme des deux mandats Bush, est déjà appliquée ailleurs. Dans son conflit feutré avec la Chine, elle ne déploie plus uniquement sa flotte. Elle livre à la Corée du Sud de nouveaux missiles de longue portée, réchauffe ses relations avec le Viêtnam, l’ennemi d’hier, renforce sa présence militaire en Australie et n’est certainement pas loin du dernier conflit territorial entre la Chine et le Japon. Cette répartition des rôles, couplée à une présence physique plus discrète des Etats-Unis dans les zones de conflits, est expliquée en une phrase par Bertrand Badie, dans Le Monde du 6 octobre. Il écrit qu’un des effets de la mondialisation est l’augmentation de la part du commerce extérieur dans le PIB américain, qui passe de 10%, il y a cinquante ans, à 25% aujourd’hui. Il en déduit que «le paramètre stratégique compte infiniment moins que le paramètre économique». Pour corroborer ce propos, j’ajouterai les chiffres parus ce mois dans The American Interest, qui prévoient qu’en 2035, grâce aux nouveaux gisements de gaz et pétrole de schistes découverts en Amérique, ce pays réduira sa dépendance en hydrocarbure de 60% en 2005 à 35%, notamment par rapport au Moyen-Orient. L’Afrique, le Venezuela et le Canada pouvant pourvoir à la plus grande partie de ses besoins.
Les Etats-Unis peuvent-ils admettre qu’un régime salafiste s’installe en Syrie et fasse de ce pays un nouvel Afghanistan? Une stratégie est établie pour servir un objectif. Les Américains doivent reconnaître que la leur a échoué puisque les salafistes sont aujourd’hui les mieux armés. Mais une stratégie peut être remplacée. Si, après les élections de novembre, le nouveau président ne change pas de politique, il confirmera ce que ses détracteurs ne cessent de répéter, que l’Amérique n’a, en fait, aucune ambition démocratique pour le Moyen-Orient. La Syrie sombrera définitivement.
Amine Issa