Magazine Le Mensuel

Nº 2868 du vendredi 26 octobre 2012

En Couverture

Le 14 mars opte pour la confrontation. L’Occident a l’obsession du vide

Après la tempête, le calme précaire. Cette semaine, le Courant du futur et le 14 mars se sont attelés à canaliser la colère de la rue sunnite pour ramener son opposition frontale au gouvernement sur le terrain strictement politique. Les appels au maintien de la stabilité des chancelleries étrangères y sont sans doute pour quelque chose.

Le week-end dernier, Najib Mikati aurait pu vouloir démissionner. Le Premier ministre voyait alors l’attentat qui a coûté la vie à Wissam el-Hassan comme un échec personnel. Le chantre de la politique de distanciation, qui devait assurer tant bien que mal face à la crise syrienne la relative stabilité du pays, a vu ses choix politiques s’effondrer comme un château de cartes à Achrafié. Le chef de ce gouvernement, toujours prompt à donner des gages à la communauté sunnite qu’il représente, a vu l’un de ses symboles tomber en martyr. C’est l’intervention directe du président de la République, Michel Sleiman, garant des institutions, qui le dissuade momentanément de jeter l’éponge. Il lui explique qu’il faut au minimum temporiser et assurer la continuité des institutions. C’est ce que lui expliquera également Walid Joumblatt, garant pour sa part de la majorité qui l’a porté à son poste, par l’intercession de ses ministres. Mais ce sont surtout les signaux venant de l’étranger, et l’escalade vertigineuse avortée depuis, de l’opposition qui l’ont convaincu de rester en place.

Escalade contrôlée?
Le phénomène a pris racine il y a plusieurs semaines déjà. Une grande partie des membres de la communauté sunnite du pays, très hostile au Hezbollah, s’est radicalisée. Porté par les nouveaux leaders d’opinion que sont devenus Ahmad al-Assir et les députés du Nord, le discours identitaire a un fort écho. D’abord réticents à leur emboîter le pas, les leaders politiques traditionnels de la communauté se sont laissé prendre au jeu. Dimanche, les drapeaux noirs flottaient à côté des bannières du Courant du futur et des dizaines de casseurs, que l’on a vus aux abords du Grand sérail, se sont joints à la foule. Les discours enflammés du mufti limogé du Akkar, Oussama Rifaï, et de l’ancien Premier ministre Fouad Siniora ont été vigoureusement applaudis.
Mais les appels au calme de Saad Hariri, qui expliquait que «le 14 mars veut faire chuter le gouvernement, mais de manière pacifique», et du mufti sunnite de la République, Mohammad Rachid Kabbani, qui a dénoncé les tentatives de «renverser le gouvernement par la force, à travers la rue», montrent que le sunnisme institutionnel rechigne encore à surfer sur la vague de la colère épidermique de sa population. Mardi, au cours de la réunion parlementaire du Bloc du futur, les députés ont jugé l’assaut «spontané» contre le Grand sérail «inacceptable». L’escalade sera d’ordre politique. Le Bloc a souligné la nécessité «d’élever le niveau de la confrontation». «La présence de ce gouvernement a contribué à assurer la couverture politique, médiatique et sécuritaire à l’attentat. Nous ne participerons plus à toute activité, réunion de dialogue et séance parlementaire ou politique en rapport avec le gouvernement et les responsables en son sein, jusqu’à la démission du cabinet». Mardi, le 14 mars boycottait les Commissions parlementaires mixtes.
Outre la pression exercée par la base, les responsables du Courant du futur, qui appellent aujourd’hui à la formation d’un gouvernement neutre, ont sans doute également été refroidis par la réaction des chancelleries étrangères qui, d’une certaine manière, les ont placés en porte-à-faux.

Priorité à la stabilité
Lundi, les ambassadeurs des cinq pays qui forment le Conseil de sécurité, ont rendu visite au président Michel Sleiman, accompagnés du coordinateur spécial de l’Onu pour le Liban, Derek Plumbly. Les ambassadeurs ont réitéré la teneur de la déclaration présidentielle du Conseil de sécurité qui exprime «la nécessité de déférer les responsables de l’attentat devant la justice, dénonce toute tentative de déstabiliser le pays à travers les assassinats politiques et exprime la détermination des Etats membres à soutenir le gouvernement en vue de mettre fin à l’impunité». «Nous réitérons ce message aujourd’hui en appelant tous les protagonistes à veiller sur l’unité nationale face aux tentatives de créer la discorde. Nous soutenons Michel Sleiman et les efforts qu’il déploie dans ses contacts avec les différentes parties libanaises. Il revient désormais à ces parties de s’entendre sur une feuille de route pour aller de l’avant. Ce plan doit s’associer à un itinéraire politique pacifique, garant de la continuité des institutions et du travail du gouvernement». Mardi, la représentante de l’Union européenne pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité, Catherine Ashton, livrait elle aussi un appel au calme et à la stabilité. Ces messages ne doivent pas être lus comme un blanc-seing à ce gouvernement en particulier. Signe en est la déclaration le même jour de la porte-parole du département d’Etat, Victoria Nuland, qui explique que «les Etats-Unis pensent qu’il est temps que le peuple libanais choisisse un gouvernement qui agisse contre les menaces que pose la guerre civile en Syrie». Les Américains, comme les Européens, sont surtout attachés à éviter que le Liban ne tombe dans le chaos, notamment par un vide institutionnel. C’est également le message livré par l’Arabie saoudite, où se trouve en pèlerinage Najib Mikati depuis mardi.
L’heure est donc à la temporisation. Dès dimanche, Michel Sleiman entamait des consultations urgentes pour la tenue d’une session du dialogue national le plus tôt possible. Face à l’escalade du week-end dernier, les puissances internationales refusent le débordement de la crise syrienne au Liban. Une validation assez claire de la politique étrangère du gouvernement qui donne au président Sleiman une marge de manœuvre suffisante pour conduire ses discussions.

Julien Abi Ramia


Contacts tous azimuts
Cette semaine, les grandes puissances régionales et internationales, qui comptent au Liban, ont lancé des appels au calme et à la stabilité. Dimanche, après les tentatives de débordement devant le Grand sérail, Najib Mikati a reçu des appels téléphoniques de la secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton, qui a proposé l’assistance du FBI dans l’enquête sur l’assassinat de Wissam el-Hassan, et du ministre français des Affaires étrangères Laurent Fabius. Dès la veille, l’ambassadeur de France, Patrice Paoli, a livré un message au Premier ministre et au président de la République dans lequel les autorités françaises appellent les Libanais à «rester unis dans ces circonstances et à éviter les pièges de la division et de la séparation». «La France accorde sa priorité à la stabilité et à l’avenir du Liban».
 Un message de la même teneur est venu de Grande-Bretagne. Son ambassadeur au Liban, Tom Fletcher, a expliqué que «tous ceux qui cherchent à préserver la diversité et l’unité du Liban sont les mieux à même de prévenir et d’endiguer la violence et la division. La meilleure réponse réside dans l’unité et la solidarité». Dimanche, l’ambassadrice des Etats-Unis, Maura Connelly avait réitéré l’engagement de son pays, à la stabilité, la souveraineté et l’indépendance du Liban.
     

 
     

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