Magazine Le Mensuel

Nº 2868 du vendredi 26 octobre 2012

En Couverture

L’enquête avance lentement. Les rouages de la souricière

Wissam el-Hassan est tué au lendemain de son retour d’Europe, à bord d’un véhicule de location, dans l’explosion d’une voiture piégée actionnée à son passage, à la sortie d’un pied-à-terre secret. Les enquêteurs comptent sur le listing de ses appels et l’identification du 4×4 qui a servi à l’attentat pour remonter jusqu’à ses instigateurs.

La rue Ibrahim Mounzer, à une centaine de mètres de la place Sassine, adjacente à la rue de l’Indépendance qui mène au futur centre culturel de Beit Beirut, est une artère étroite, typique de l’ancien Achrafié, avec ses immeubles collés les uns aux autres. Elle forme un goulot d’étranglement, à la manière d’un canon de fusil. Lorsque la voiture piégée a explosé, à 14h55, une boule de feu s’est élevée dans le ciel de Beyrouth, visible jusque dans les contrées du Metn. Les vitres volent en éclats à 100 mètres à la ronde, les flammes ravagent les immeubles, des balcons sont détruits. Au sol, un trou béant de plus d’un mètre de profondeur a éventré la chaussée, les débris calcinés embrasent les voitures garées à proximité. Quelques secondes plus tard, dans la panique générale, les témoins de la scène perçoivent distinctement une deuxième explosion plus sourde. C’est le réservoir d’essence d’un camion-citerne.

Hariri donne l’alerte
Dans son bureau, situé dans les bâtiments du quartier général des FSI, à proximité de l’hôpital de l’Hôtel-Dieu, à seulement 600 mètres à vol d’oiseau du lieu de l’attentat, le général Achraf Rifi a très vite l’intuition qu’une personnalité politique a été visée. Il demande à ses équipes sur place de déterminer si c’est le cas. Quelques minutes plus tard, on lui répondra que non. S’enquérant de son côté, le directeur des FSI tente d’appeler Wissam el-Hassan. Son téléphone est hors service. Rifi suppose alors qu’il est encore en Europe et qu’il est juste non joignable. Aux alentours de 16 heures, il reçoit un appel de Paris. C’est Saad Hariri qui est au bout du fil. «As-tu appelé Wissam?», demande l’ancien Premier ministre. «Il est à l’étranger», lui répond Rifi. «Wissam m’a appelé ce matin et m’a assuré qu’il était arrivé à Beyrouth», rétorque Hariri, inquiet.
Rifi envoie alors le service de sécurité du chef des renseignements sur les lieux de l’attentat. Vers cinq heures, ils reviennent vers lui avec un revolver, retrouvé dans les étages supérieurs d’un immeuble voisin, les restes d’un fusil, d’un téléphone portable et d’une montre. Les gardes du corps les identifient. Ils appartiennent à Wissam el-Hassan.
Sur les lieux de l’attentat, les experts scientifiques de la police judiciaire, dirigés par le juge Hatem Madi, identifient rapidement la voiture piégée. Il s’agit d’un 4×4, une Toyota RAV4, dont la carcasse totalement calcinée et complètement déformée ne laisse pas de place au doute. Les légistes expliquent que des corps de Hassan et de son chauffeur Ahmad Sahyouni, il ne reste que «des morceaux de chair calcinés». Au vu du cratère creusé par l’explosion, des gros dégâts matériels autour de la source et de son souffle projeté jusqu’à plusieurs dizaines de mètres, les balisticiens estiment que 60 à 70 kilos d’explosifs, probablement de type TNT ou C4 ont servi. Dans le même temps, les équipes de police quadrillent le secteur. Des informations non confirmées officiellement font état d’une deuxième voiture piégée prête à servir, à proximité de l’hôtel Alexandre, à 300 mètres du lieu de l’attentat.
Les enquêteurs s’emploient à reconstituer les déplacements de l’ancien chef des services de renseignements des FSI. Plusieurs jours avant sa mort, Wissam el-Hassan était, en compagnie d’Achraf Rifi à Berlin, à la tête d’une délégation des FSI pour assister à une conférence sécuritaire présidée par le président du bureau fédéral de la police criminelle allemande, Jörg Ziercke. Le service de presse des FSI expliquait alors que cette visite allait durer plusieurs jours. En réalité, il s’agissait d’une mesure préventive pour sécuriser le retour au pays de la délégation.

Le mode opératoire a déjà servi
La réunion a eu lieu le jour de son arrivée en Allemagne. Conformément aux mesures de sécurité, Achraf Rifi revient au Liban dans la matinée du 19 octobre, quelques heures avant l’attentat, sans Wissam el-Hassan, à qui Rifi avait conseillé de rester en Europe encore quelque temps et de se rendre à Paris, auprès de sa femme et de ses fils, «exfiltrés» en France il y a plusieurs semaines pour des raisons de sécurité. Rifi explique que Hassan décidait lui-même de ses mesures de sécurité, souvent sans en informer ses services.
Hassan revient donc au Liban, la veille de sa mort, à bord d’un vol Paris-Beyrouth qui arrive à l’aéroport international Rafic Hariri à 19 heures. Il loue une petite Honda Accord ordinaire puis se rend dans son pied-à-terre secret d’Achrafié.
Au vu de ces éléments, les enquêteurs pensent que Wissam el-Hassan était pisté au moins depuis l’aéroport d’où il a été suivi, ou même depuis l’Allemagne d’où il s’est rendu en France sans en informer sa délégation. L’équipe chargée de le filer, de le surveiller et d’exécuter l’attentat était composée de 20 professionnels, selon certaines informations non confirmées officiellement. La filature a laissé le temps aux auteurs de l’attentat de placer la souricière, la (ou les) voitures piégées garées sur les trajets possibles de leur cible. Ces éléments suscitent une autre question: les auteurs connaissaient-ils à l’avance le parcours de Wissam el-Hassan? Connaissaient-ils, avant jeudi soir, l’emplacement de son pied-à-terre à Achrafié? Les réponses à ces interrogations détermineraient une liste précise des suspects potentiels. Selon les enquêteurs, deux hommes au moins étaient sur place. L’un possédant le déclencheur, un autre ayant une vision parfaite du périmètre.
La police a pris possession des caméras de surveillance qui balayent le secteur de l’attentat. Sur les films, on distingue que, vendredi dans la matinée, une autre voiture était garée à l’endroit où la RAV4 a explosé. Les enquêteurs pensent que sa mission consistait à «réserver» une aire de stationnement pour le véhicule piégé.
Par ailleurs, le gouvernement a autorisé les services de renseignements à obtenir le listing des appels téléphoniques de Hassan. Dans ce cadre, une journaliste connue, amie de Wissam el-Hassan, est entendue par les enquêteurs à titre de témoin. C’est avec elle qu’il avait rendez-vous dans l’appartement secret le jour de sa mort. Les investigations tentent de déterminer si les assassins surveillaient leur cible à travers elle. Ils essaient de savoir si la jeune femme avait informé quelqu’un d’autre de l’heure et de l’endroit de sa rencontre.
Autre piste, les experts scientifiques ont réussi à relever le numéro de série de la Toyota. Les enquêteurs sont remontés jusqu’au dernier propriétaire connu du véhicule, un homme qui habite Qabr Chmoun, un village perché sur les hauteurs d’Aley, à huit kilomètres à l’est de Khaldé. Il explique que sa voiture a été volée il y a près d’un an. Quelques jours après le vol de la voiture, l’auteur a contacté son propriétaire, lui réclamant une somme d’argent pour reprendre son véhicule, une pratique courante utilisée par les voleurs de voiture. Le propriétaire a gardé le numéro de son interlocuteur. Il est aujourd’hui pisté par les techniciens.

Julien Abi-Ramia


Les SMS de menaces
La veille de l’assassinat de Wissam el-Hassan, les députés du Courant du futur Hadi Hobeich, Khaled Daher, Ammar Houri et Ahmad Fatfat affirment avoir reçu sur leurs téléphones portables un SMS envoyé depuis un numéro de portable syrien. Ce message dit: «Au nom de Maura (du nom de Maura Connelly, ambassadrice des Etats-Unis au Liban), nous jurons que nous vous attraperons un par un, sales impurs». Quelques heures après l’attentat, les quatre députés reçoivent du même numéro deux autres messages. L’un dit «Félicitations, le compte à rebours a commencé. Un sur dix.», l’autre «on va vous apprendre, la putain de politique de distanciation».
Ammar Houri a expliqué qu’il avait rendez-vous avec le général assassiné le jour de l’attentat pour discuter de menaces de mort que, lui et ses collègues, avaient reçues la veille.
    

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