On était loin, ce 19 octobre 2012, du 14 mars 2005 et de l’enthousiasme qu’avait suscité le spectacle d’une foule de jeunes, de moins jeunes, d’hommes et de femmes, venus spontanément du nord comme du sud du pays, de toutes les régions de la montagne et toutes communautés et catégories sociales confondues, se recueillir devant la tombe du Premier ministre assassiné, Rafic Hariri et ses compagnons dans le martyre. Un climat exemplaire de civisme, de calme et presque de recueillement avait régné sur cette Place des Martyrs, qui n’a jamais été autant digne de son nom. La foule appelait, alors, au retrait des troupes syriennes. Deux semaines plus tôt, sous la forte émotion suscitée par les interventions des députés Marwan Hamadé et Bahia Hariri, Omar Karamé, Premier ministre de l’époque, démissionnait devant un parterre de députés sidérés.
L’odieux attentat perpétré à Achrafié, l’assassinat du principal responsable de la sécurité du pays et son compagnon, les victimes tombées à leurs côtés, les blessés qui remplissent les hôpitaux et les dégâts causés dans les habitations et les petites maisons de commerce ramènent étrangement en mémoire les circonstances dramatiques de l’assassinat du Premier ministre. La misère a frappé, en même temps que le malheur, cette région de la capitale sans cesse brisée par le sort.
Si on ne peut que dénoncer l’injustifiable violence de la réaction à l’odieux assassinat du principal responsable de la sécurité, glorifié par ceux qui, hier encore, le critiquaient, on ne peut l’expliquer que par certains discours enflammés, par la peur d’un retour à la série noire et par le ras-le-bol d’une population, notamment de sa jeunesse, excédée par un trop plein de problèmes quotidiens dont on n’aperçoit aucune solution à l’horizon. Depuis des mois, pour ne pas dire des années, une génération entière vit dans le désarroi avec le terrible sentiment de se battre contre des moulins à vent. Le mal de vivre se ressent dans tous les domaines du quotidien, dans toutes les classes de la société et dans l’ensemble des communautés. L’économie, l’éducation, le social sont désormais des mots vides de sens pour les dirigeants en place. Autant de raisons pour la population de perdre espoir dans un pays fragilisé par son voisinage et, sans cesse, menacée de subir les contrecoups d’une crise syrienne dont elle ne se sent concernée que par les risques qui pèsent sur leurs frontières et sur leurs régions. Du plus haut sommet de la République, la décision était prise d’une non-ingérence dans la situation d’un pays voisin qui ne nous concerne que par les soins humanitaires à offrir aux réfugiés sur notre terre. Mais cette décision a-t-elle été respectée par tous?
Dans un passé, qui paraît lointain mais qui ne l’est pas vraiment, le Liban était envié pour la joie de vivre de ses habitants, la chaleur de son peuple et la capacité de ses citoyens à s’accepter et à assumer leurs différences. Le Liban auquel le pape Jean-Paul II et, très récemment encore, son successeur Benoît XVI, lui aussi en visite au Liban, ont rendu hommage et appelé à demeurer «un message» pour les pays de la région, est tombé dans le piège qu’on lui a tendu. Après avoir été le «paradis» terrestre envié de ses voisins, il se place pour nos amis étrangers en pays à risque.
Les appels au calme, certes tardifs, semblent avoir été entendus par certains. D’autres continuent à défier l’armée et les forces de sécurité tandis que se multiplient les efforts pour ramener le calme et la sagesse. Les leaders de l’opposition guident-ils leurs partisans ou les suivent-ils dans leur colère incontrôlée? La rue semble avoir été maîtrisée au cœur de la capitale, mais ailleurs des victimes innocentes continuent à payer le prix de la révolte et l’armée sévit partout. Reste la question majeure que se posent les observateurs: par le boycott des institutions et du dialogue initié par le chef d’Etat, dont l’impartialité et le sens de la responsabilité ne sont plus à prouver, par ce qu’ils qualifient de négativisme pacifique, les leaders des différents partis de la coalition du 14 mars, pensent-ils pouvoir réaliser le changement en profondeur qu’ils promettent et qu’on attend d’eux?
Mouna Béchara