L’attentat du 19 octobre continue de faire des vagues. Les deux semaines écoulées, depuis l’assassinat de Wissam el-Hassan, n’ont pas calmé les esprits ni uni les rangs. Au contraire. D’un côté comme de l’autre, les positions sont tranchées et la confrontation est totale.
Jusqu’au 19 octobre passé, le Liban était plongé dans une torpeur presque bienveillante, entrecoupée de quelques incidents sécuritaires vite circonscrits. La politique de distanciation par rapport à la crise syrienne semblait, tant bien que mal, porter ses fruits, et préserver le pays avec plus ou moins d’efficacité.
Y aura-t-il, comme l’affirment les pôles du 14 mars, un avant et un après l’assassinat du général Wissam el-Hassan, à l’instar des conséquences de l’attentat du 14 février 2005? La réponse est pour le moment très mitigée. Car, si les ténors du 14 mars ont adopté des mines graves pour annoncer, d’une même voix, leur intention de faire chuter le gouvernement Mikati, la conjoncture nationale, régionale et internationale n’est pas en faveur d’un changement immédiat.
Mikati, une figure respectée
Tout d’abord, force est de reconnaître que, contrairement au lendemain de l’assassinat de Rafic Hariri, la fronde populaire ne s’est pas traduite, cette fois, sur le terrain, par une mobilisation conséquente. Car, si les Libanais se sont montrés solidaires des victimes de l’attentat d’Achrafié, leur participation aux mouvements politiques, visant à déstabiliser le gouvernement actuel, est restée très timide. On était loin, le dimanche 21 octobre, de l’exaltation populaire des jours qui ont suivi l’assassinat de Rafic Hariri. De plus, les affrontements entre les forces de l’ordre et la poignée de manifestants qui ont essayé de pénétrer au Sérail, ont achevé de rendre les Libanais, à leur tête les partisans du 14 mars, dubitatifs. Il a fallu dès lors se rendre à l’évidence: si les forces de l’opposition veulent faire supporter à Najib Mikati la responsabilité de l’attentat, elles ne pourront pas, cette fois, compter sur une mobilisation populaire.
Najib Mikati reste une figure respectée, rassurante même, tant sur le plan national que par rapport à la communauté internationale. Il ne suscite les foudres ni au Liban, ni à l’étranger. Le Premier ministre a réussi, depuis qu’il est en fonction, à ménager les uns et les autres, et à se montrer convainquant quand il affirme ne pas tenir à son poste mais plutôt à assumer jusqu’au bout la responsabilité qui lui incombe.
Il a pris soin, aussi, de ménager la fibre confessionnelle, au lendemain de l’assassinat de Hassan, en affirmant franchement que sa position était délicate, non seulement en tant que Premier ministre, mais aussi en tant que représentant des sunnites au pouvoir. D’ailleurs, l’appui formel que Mikati a reçu du père du général Wissam el-Hassan, doit être compris dans le sens d’un appel au calme de la rue sunnite.
Par ailleurs, Mikati bénéficie de l’appui de la communauté internationale, qui ne semble pas pressée de voir s’opérer au Liban un changement politique drastique, du moins tant que la crise syrienne perdure.
Le président de la République, Michel Sleiman, est, lui aussi, plutôt rassurant, non seulement dans l’opinion publique libanaise, mais aussi aux yeux des dirigeants du monde. Si le chef de l’Etat met un soin particulier à choisir le moindre de ses mots dans ses allocutions publiques, certaines déclarations ne laissent pas de place au doute. Sleiman s’est ainsi solennellement engagé à mettre en place les moyens nécessaires pour accélérer l’enquête, non seulement sur l’assassinat de Hassan, mais aussi sur l’affaire de l’ancien ministre Michel Samaha.
Ce qui démontre bien une réelle volonté, de la part du président, de mettre son mandat au service du redressement sécuritaire du pays, loin de tout louvoiement en faveur de l’un ou l’autre des protagonistes libanais.
Hariri contre Joumblat
Encore faudra-t-il que la conjoncture régionale et internationale puisse aider Michel Sleiman dans l’accomplissement de la tâche qu’il s’est fixée, avant l’expiration de son mandat. Il est à craindre, en effet, que la crise syrienne s’inscrive dans la durée, compliquant en conséquence tout dénouement politique interne au Liban. Par ailleurs, au Liban comme dans les autres pays de la région, on attend aussi avec fébrilité le résultat de l’élection présidentielle américaine, qui pourrait aussi amener un changement dans la politique étrangère des Etats-Unis… même si l’on n’y croit pas beaucoup.
A ceci, il faudra ajouter une équation qui, pour ne pas être nouvelle, est néanmoins devenue une réalité avec laquelle il va falloir compter. Il s’agit de l’émergence d’un vrai centre, formé de personnalités qui n’obéissent pas forcément à un même agenda. Aux côtés de Michel Sleiman et de Najib Mikati, est venu se greffer en effet le leader druze Walid Joumblat. Les trois hommes n’ont certainement pas en tête les mêmes objectifs sur le long terme, mais leur alliance stratégique actuelle est devenue un élément incontournable dans la recherche d’une solution politique interne au Liban.
On a pu, pourtant, au lendemain de l’attentat, qui a coûté la vie à Wissam el-Hassan, croire retrouver la fougue frondeuse de Walid Bey, qui a désigné sans ciller le régime syrien comme responsable de l’assassinat. Cependant, le leader druze s’est très vite distancié de ses anciens alliés, prenant position ouvertement pour le maintien du cabinet Mikati, à moins d’une entente préalable sur la mise en place d’un gouvernement d’union. Les échanges corsés entre Walid Joumblat et Saad Hariri, par tweets et interviews télévisées, ont achevé de mettre en place de véritables tranchées.
Car, si Joumblat a maintenu ses distances par rapport au 14 mars, ce dernier a déclaré solennellement la poursuite d’un calendrier offensif clair. Lors d’assises solennelles à la maison du Centre, l’opposition n’a pas mâché ses mots, prononcés par un Fouad Siniora très décidé: désormais, le silence n’est plus une option. Les moyens déployés sont pour le moment pacifiques et devraient normalement le rester. Il s’agit notamment de boycotter totalement le gouvernement, y compris les sessions parlementaires auxquelles il participe, jusqu’à la démission de Mikati. Mais face à la persistance de ce dernier à son poste, il y a fort à parier que l’on se dirige vers une impasse institutionnelle grave, à défaut du vide craint par le Premier ministre et les centristes.
Joumana Nahas
Qui a tué Wissam el-Hassan?
Parallèlement à l’effervescence politique, l’enquête concernant l’attentat qui a coûté la vie à Wissam el-Hassan avance lentement. Cependant que les forces du 14 mars ont exigé que l’affaire soit portée auprès du Tribunal spécial pour le Liban, le gouvernement n’a pas prévu une telle démarche, tout en promettant une enquête sérieuse et efficace. Ce que l’on sait jusqu’à présent, c’est qu’une équipe du FBI américain a inspecté les lieux du crime et devrait soumettre son rapport sous peu. On sait aussi que la voiture piégée a été garée dès 7h00 du matin, le 19 octobre, sur un emplacement «réservé» à cet effet depuis près d’un mois par plusieurs voitures qui se sont relayées. Le choix de la ruelle ne se serait pas fait par hasard, mais les terroristes auraient pris soin d’opter pour la rue Ibrahim Mounzer, particulièrement étroite, pour ne laisser aucune chance à Hassan de rester en vie.
Enfin, si certains ténors du 14 mars ont accusé en termes clairs la Syrie et le Hezbollah d’être derrière l’exécution de l’attentat, des médias proches du Parti de Dieu relèvent que l’officier assassiné avait de nombreux ennemis, et, par conséquent, qu’il y avait autant de suspects possibles à envisager. Des théories ont été avancées, faisant état d’avertissements clairs transmis à Hassan, par ses homologues jordaniens et émiratis, sur de possibles attentats en préparation contre sa personne. Nul n’est exclu de la liste des suspects: ni Israël, ni la Syrie, ni même al-Qaïda.
La grande question reste à savoir comment un homme aussi précautionneux que Hassan a pu être piégé dans une forme d’attentat qu’il était justement chargé de déjouer? La présence d’une ou plusieurs taupes dans l’entourage de l’officier est une des pistes à explorer.