C’est l’affaire dont tout le monde parle dans la région de Jbeil. L’assassin de Roland Chbeir a fini par être démasqué par les enquêteurs. Il s’agit de l’un de ses amis proches, Charbel Challita, qui, pour couvrir ses arrières, a participé à l’organisation des funérailles de la victime. Voici leur histoire.
Dans la nuit du mercredi 24 octobre, à Fidar, une ville du littoral située entre Halat et Jbeil, Nabil et Assia Chbeir s’inquiètent. Leur fils Roland, 22 ans, n’a plus donné signe de vie depuis le début de soirée. Il devait rentrer dîner chez lui. Roland est un jeune fêtard, qui s’est construit un petit cercle d’amis. Il aime sortir, il aime les filles, bref, la vie normale d’un jeune de son âge. Soucieux, les parents et leurs deux autres enfants, Roy et Ronabelle, tentent de le joindre sur son portable. Pas de réponse. Ils appellent alors des amis qui pourraient le localiser, sans succès. Ce n’est pas son genre de ne pas prévenir. Préssentant que quelque chose d’anormal était arrivé à leur fils, Nabil et Assia finissent par signaler sa disparition aux autorités compétentes. A ce stade, la famille Chbeir pense que Roland a été enlevé. Originaire de Jbeil, le ministre de l’Intérieur Marwan Charbel suit le dossier avec attention.
Dès jeudi, les proches de la famille se rassemblent au domicile des Chbeir, afin de manifester leur soutien, leur solidarité. Les amis de Roland sont également présents. Tous essayent, auprès d’amis policiers et des élus de la région qui ont rapidement tenté de glaner la moindre information quant à la progression des recherches de la police. Une équipe de télévision se rendra même à leur domicile pour enregistrer un message dans lequel elle exige que ses éventuels ravisseurs donnent des nouvelles de leur fils. Malgré les assurances des enquêteurs, l’inquiétude monte dans la maisonnée, et dans la ville. Si des kidnappeurs avaient effectivement enlevé Roland, ils auraient sans doute fini par contacter la famille. 24 heures après la disparition de Roland, il n’y a toujours aucun signe de lui. On commence alors à imaginer le pire. Ses parents, leurs enfants ne dorment plus depuis mercredi. Ils font nuit blanche. Le lendemain, dans la matinée, le cauchemar devient réalité.
Les services de renseignements des FSI, qui sont sur le pied de guerre depuis deux jours, localisent une BMW 323 noire, modèle 2000, dans un parking près de l’hôpital Pasteur. C’est la voiture que Roland a utilisée mercredi soir. Lorsqu’ils forcent le coffre de la voiture, ils découvrent le corps sans vie de Roland Chbeir. L’histoire dit que c’est l’un des députés de Jbeil qui apprendra au père la mort de son fils. Le malheureux pensait que l’élu l’appelait pour lui donner des nouvelles de l’enquête en cours depuis la veille au soir. La famille est effondrée. Les équipes de police scientifique et judiciaire effectuent les premières constatations. Les enquêteurs sur place identifient trois impacts de balle. Les médecins légistes confirmeront dans la journée que l’arme utilisée était probablement un fusil à pompe. Ils identifient deux entrées de balle, l’une dans le bas du dos, l’autre dans la tête. En examinant la voiture, les scientifiques constatent qu’elle a été sommairement nettoyée avec de l’eau. Le tueur a essayé d’effacer les traces de son forfait. La police recherche désormais un assassin.
Fidar sous le choc
A Fidar, on s’interroge. Dans un village comme celui-là, où tout le monde se connaît, bruissent toutes sortes de rumeurs au sujet de Roland. Les commérages font état de ses virées nocturnes et de sa propension à la drague qui aurait irrité un petit ami jaloux. Une histoire que Roland aurait eue avec une jeune chiite refait surface. Pour les médisants, il s’agit sans doute d’un crime passionnel, non prémédité. La famille Chbeir, totalement anéantie, condamne tous ces bruits qui salissent la mémoire de son fils. Les habitants de Fidar se rassemblent, décorent la ville de rubans blancs; les amis de Roland aident la famille à organiser samedi matin les funérailles de l’enfant du pays (voir encadré). Ses amis ont acheté les feux d’artifice qui seront allumés pour rendre hommage au défunt. Certains d’entre eux ont porté le cercueil de leur ami assassiné, et tous se sont alignés dans le salon de l’église, aux côtés des membres de la famille de la victime pour recevoir les condoléances. Ce que la foule ne sait pas en ce samedi après-midi, c’est qu’une équipe d’agents des renseignements est déployée autour de l’église.
Alors que Fidar apprenait avec stupéfaction la nouvelle de la mort de Roland Chbeir, l’enquête des policiers a sérieusement avancé. Pour confondre leur meurtrier, ils comptent sur deux précieux indices. La première, la bande vidéo d’une caméra de surveillance située à quelques mètres de l’endroit où la voiture a été découverte. Les enquêteurs ont donc un portrait-robot du conducteur de la BMW noire. La police a peut-être trouvé un complice. Samedi, les agents de renseignements étaient là pour démasquer un coupable. Depuis jeudi, les techniciens en télécommunication des FSI ont localisé le signal d’un téléphone portable, émis mercredi soir, repéré aux côtés du téléphone de la victime. La ligne du téléphone suspecte est enregistrée auprès des opérateurs téléphoniques sous le nom d’une certaine Rita.
Les enquêteurs suivent alors le signal de ce téléphone qui les amène samedi à Fidar. Les agents composent une première fois le numéro de cette Rita. Un suspect est identifié. Lorsqu’il s’éloigne un peu de la foule, ils rappellent une seconde fois. Ce suspect est confondu. Il s’agit de Charbel Challita, un ami proche de la victime originaire de la localité de Kartaba, qui vit à cinq mètres de la maison familiale des Chbeir. Il a activement participé à l’organisation des funérailles, à l’achat des rubans blancs et des feux d’artifice. Il s’est tenu aux côtés de la famille. Challita est discrètement exfiltré. Dès les premiers interrogatoires, le suspect devient, aux yeux des enquêteurs, le coupable potentiel. Face à ses hésitations, la police effectue une perquisition chez lui. On y retrouvera le téléphone portable de Roland plein de sang et dans un sac, des vêtements eux aussi tachés de sang. Quelques heures plus tard, face aux preuves indéniables des enquêteurs, il finit par avouer le meurtre de son ami. Voici sa version des faits.
La version de l’assassin
Charbel Challita devait 3000 dollars à Roland Chbeir. Ces derniers jours, la future victime devenait de plus en plus insistante. Pour prouver qu’il peut éponger cette dette, Charbel emmène mercredi vers 20 heures Roland dans la voiture d’un ami commun sur les hauteurs de Jbeil, entre les localités de Jleysseh et de Breij, sur la route de Laklouk, pour lui montrer une parcelle de terrain qu’il prétend lui appartenir. Il propose de l’hypothéquer en guise de dédommagement. Dans le coffre de la voiture, Challita a emmené un fusil à pompe emprunté la veille à un ami. Le ton monte. A un moment où Roland a le dos tourné, Charbel s’empare du fusil et tire à deux reprises. La première balle fuse, la deuxième touche la hanche de Roland. Il tombe. Charbel lui expliquera que le coup est parti tout seul. Roland lui crie de l’emmener dans l’hôpital le plus proche. Charbel acquiesce mais entrepose son ami dans le coffre de la voiture. Il expliquera à Roland qu’il veut ainsi éviter de souiller la banquette. Charbel pense que son ami est en train de mourir. Il décide de monter à Laklouk afin de se débarrasser du corps bientôt sans vie. Il s’arrête dans un sentier escarpé mais lorsqu’il ouvre le coffre, il découvre que son ami est toujours vivant. Il tire donc une troisième fois, cette fois dans la tête, pour l’achever. Mais il craint que le coup de feu ait été entendu. Il décide de cacher le corps ailleurs. Il prend alors la montre et le téléphone portable de Roland, s’arrête chez lui pour dissimuler ces objets et ses vêtements tachés de sang sous le lit de sa mère, prend une douche et reprend la route vers Jounié où il gare la voiture, et revient chez lui, en taxi.
Julien Abi-Ramia
Funérailles officielles et populaires
Les obsèques ont eu lieu samedi matin, en l’église Notre-Dame de Doueir, à Fidar, en présence des députés Simon Abi-Ramia et Walid Khoury, du préfet de Batroun Roger Toubia, représentant le président de la République Michel Sleiman, de Samer Charbel, le fils du ministre de l’Intérieur, de l’ancien ministre Tony Karam, représentant le leader des Forces libanaises Samir Geagea, du représentant du chef des Kataëb, Roukoz Zgheib et de l’ancien ministre Ziad Baroud. Sont également venus assister aux obsèques de nombreux habitants de Fidar et des alentours.
L’office religieux est présidé par le prêtre de la paroisse Tony Khoury, suppléé par le recteur de l’USEK, le père Hadi Mahfouz et Bassam Rahi. Dans son homélie, le père Khoury pose une question: «Avons-nous péché? Ensemble, levons-nous et crions que nous combattrons les soldats du diable qui se sont posés sur la terre».