Magazine Le Mensuel

Nº 2871 du vendredi 16 novembre 2012

Economie & Finances

Economie et finance

Grille des salaires et inflation
Riad Salamé inquiet

Le gouverneur de la Banque du Liban (BDL), Riad Salamé, a été une nouvelle fois sollicité pour contribuer, par sa longue expérience de la gestion des crises financières -il occupe son poste depuis dix-huit ans-, à faire un arbitrage et à remettre les aiguilles à l’heure dans le secteur financier. Il a été invité à prendre part à la réunion du Conseil des ministres présidée par le chef de l’Etat, le 7 novembre 2012. Il lui a été demandé de donner son avis sur les retombées sur l’économie nationale d’une possible approbation de la grille des salaires du secteur public.
Première surprise, le patron de la BDL a, non seulement insisté sur la nécessité d’échelonner les sommes à verser, mais il a réclamé que «cet échelonnement soit étalé sur cinq ans et non sur quatre ans», comme le prévoit le projet de loi. Il a estimé qu’un paiement en une seule tranche du réajustement des salaires des fonctionnaires aurait un effet inflationniste élevé sur le marché local, sachant que le taux d’inflation pour l’année en cours tourne à ce jour autour de 10%. Son arbitrage sur la question est intervenu avant même sa lecture du rapport du ministère des Finances se rapportant au coût approximatif de la grille des salaires et de la cherté de vie entre février 2012 et juin 2017 (Voir les détails dans le tableau), distribué au début de la réunion du Conseil des ministres.
D’un point de vue monétaire, le gouverneur de la BDL a souligné l’importance de deux éléments qui influencent l’orientation des marchés: la confiance et la création de nouvelles recettes pour couvrir les dépenses supplémentaires. Le facteur de confiance est renforcé lorsque le déficit budgétaire recule. A ce niveau, un autre problème se présente. Il s’agit de la capacité d’absorption du marché du volume de liquidités qui y seraient injectées du fait du paiement de cette nouvelle grille des salaires en une seule fois et son impact sur la balance des paiements. Surtout si cette liquidité devait être utilisée pour l’achat de produits importés.               
Par ailleurs, vu le recul des indicateurs économiques, le gouverneur de la BDL a demandé aux banques commerciales une révision des échéances des avances consenties aux entreprises des secteurs productifs qui connaissent certaines difficultés en termes de trésorerie, en espérant une amélioration de la situation dans les mois à venir. Par conséquent, il leur a recommandé de s’abstenir d’engager pour le moment des poursuites judiciaires. Cette reconnaissance implicite «d’une certaine faiblesse de l’économie» du numéro 1 de la BDL a suscité les craintes du secteur bancaire. Ainsi, les trois plus grandes banques au Liban, Bank Audi, Blom Bank et Byblos Bank, ont engrangé des provisions nettes dont le montant s’est élevé à 203,1 millions de dollars, en hausse de 211,5% sur les neuf premiers mois de 2012, par rapport à la même période un an auparavant. Ce montant est réparti comme suit: 93,9 millions de dollars pour Bank Audi; 75,5 millions de dollars pour Blom Bank et 33,7 millions de dollars pour Byblos Bank.       

 

Organismes économiques
Pourquoi ce soudain intérêt pour le CES?

Les trois ténors des organismes économiques, auteurs du communiqué du 20 octobre 2012 réclamant la démission immédiate du gouvernement de Najib Mikati, voudraient faire revivre le Conseil économique et social (CES). Ils affirment que le CES est le meilleur cadre pour un dialogue socioéconomique efficient dans les circonstances actuelles.
Certains observateurs s’interrogent sur «l’intérêt soudain» de ces instances pour le CES, dont l’utilité avait été mise en doute à maintes reprises dans le passé par ces mêmes personnes. La réponse est venue d’un homme d’affaires rompu aux labyrinthes du monde syndical, qui affirme que l’un des trois ténors, qui font désormais bande à part, se positionne en tant que candidat potentiel à la tête du CES, réservé traditionnellement à la communauté grecque-catholique. Une position qui lui servirait de tremplin vers le monde politique. Il a oublié que ce ne sont pas les anciens gouvernements, présidés tour à tour par Salim Hoss, Omar Karamé ou Najib Mikati, qui ont décidé de l’arrêt du financement du CES, mais bien un des gouvernements de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri. Cette décision avait été maintenue par les gouvernements présidés par Fouad Siniora et Saad Hariri. Le motif invoqué est «la politique d’austérité». Le CES a été créé par le gouvernement de Salim Hoss (1999-2000), qui avait alors nommé Roger Nasnas à la tête de cette instance, le considérant comme «un homme fédérateur et de dialogue». Lors de la cérémonie d’inauguration des locaux du Conseil supérieur grec-catholique, le 11 février 2011, le patriarche Grégoire III Laham a exprimé son appui à «la candidature de Roger Nasnas au CES à la création duquel il a participé, dans le but de faire bénéficier cette entité de sa longue expérience».
A la suite de la suppression des crédits alloués au fonctionnement du CES dans le cadre de la loi de finance depuis 2002, Nasnas, sur avis du Conseil d’Etat, ne bénéficiait plus du droit de faire des déclarations officielles, mais avait la latitude de ne pas maintenir cette institution en veilleuse. Fort de cet avis juridique et en l’absence de tout appui financier de la part de l’Etat, il a œuvré à maintenir présent le CES sur l’échiquier, assistant à la majorité des colloques. Il y a deux semaines, il était au Caire, pour initier la création d’une Association des conseils économiques et sociaux arabes. Auparavant, il avait entrepris un lobbying pour la tenue l’année prochaine au Liban du Forum des CES européens. Il a patronné l’édition du livre intitulé Le Liban de demain: vers une vue économique et sociale. Un ouvrage auquel ont contribué plus d’une dizaine d’experts économiques, et qui est aujourd’hui pris comme référence par les ministres concernés par la conjoncture économique.
Le Conseil économique et social est l’un des signes de la démocratie dans un pays. Et c’est à ce titre que le président de cette institution est élu par l’assemblée générale et non pas désigné par le pouvoir en place. Le dernier mot revient donc à la société civile.

Liliane Mokbel

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