Après Who is Claire Zahnassian, Eyyem bteswa Franco, Ekher beyt bel Gemmayzé, Betty Taoutel présente sa nouvelle pièce, El Orb3a bNoss el Jom3a, jusqu’au 2 décembre au théâtre Monnot.
Ils sont neuf personnages et autant d’histoires différentes, à se côtoyer, se croiser, s’entrecroiser, à un croisement de rues. Un croisement comme un microcosme, à l’image du Liban d’aujourd’hui, où s’emmêlent rires et larmes, regrets et rêves, passé et présent, temps révolu, statu quo et modernisation à outrance. Ils sont neuf à porter leurs histoires d’amour, de mariage, de fiançailles, de rencontres, de doutes, de divorce, de vieillesse, de solitude. A porter la vie dans toutes ses couleurs, dans toutes ses saisons, là, à un croisement de rues, près de la station de bus, sur les bancs publics. La solitude d’une mère attendant ses enfants rencontre les espérances d’une fiancée, et les doutes naissent. Des jeunes fiancés se donnent rendez-vous en attendant d’avoir suffisamment d’argent pour le jour J. Un couple de personnes âgées, marié depuis des années et sans enfants, prend sa pause de l’après-midi. Deux afficheurs de panneaux publicitaires se racontent leur double vie. Et un homme seul attend.
Les saynètes se succèdent, les personnages, interprétés en toute spontanéité et simplicité par des acteurs professionnels et amateurs, déboulent sur scène, seuls, à deux, à plusieurs, tous ensemble, à l’image de ce mariage rêvé qui les rassemble, les pieds plongés dans l’eau salée de la mer de Chypre, pour une bénédiction nuptiale civile. Vu qu’au Liban… le mariage ne peut être civil.
De rires et de larmes
On chante, on danse, on crie, on rit, on s’inquiète et on s’occupe de l’autre, des soucis de l’autre, des problèmes du pays, problèmes économiques, sociaux, politiques qui influent sur notre quotidien, jusqu’à peser sur l’intimité d’un couple. Des routes coupées, des grèves, une zaffé, une dabké, un immeuble qui risque de s’effondrer, un autre qui surgit et cache la vue environnante, des appartements super «deluxe», des appartements vides, manque d’argent, argent gaspillé, voisins et racontars, taboulé et falafel… autant de moments du quotidien du Libanais, saisis au vif, étalés sur scène, pour en rire, un rire parfois noir, parfois léger, pour transformer la réalité en réalité qui se donne à voir, qui se construit et se déconstruit, sous nos yeux. La réalité de Beyrouth qui éjecte ses habitants, les pousse à aller ailleurs, à chercher ailleurs, une autre vie, dans d’autres pays. Beyrouth la rencontre, malgré tout. La rencontre un mercredi à 17h. Une rencontre comme ce «mercredi au milieu de la semaine», cet orb3a bnoss el jom3a, comme on se plaît souvent à le répéter.
Dans cette pièce écrite et mise en scène par Betty Taoutel, qui interprète également un des personnages, le Libanais est dépeint dans toutes ses nuances, avec tendresse, dérision, autodérision. Humour et humour noir, on rit souvent, amusé par les répliques fusant par-ci par-là, par les situations rocambolesques, par les rencontres bizarres dont cette rue est le témoin, par la tendre complicité qui unit tous ces personnages inconnus qui finissent par devenir membres d’une même famille. C’est ça aussi le Liban, le Liban dans son essence, dans son intime profondeur, au-delà des apparences, au-delà de ces affiches publicitaires, exécutées par Yamen Saab, qui ponctuent la pièce et promettent monts et merveilles. Wait and See, Things might happen always, The game is over, offre alléchante pour un mariage à Chypre, nourriture de luxe, habits de luxe, appartements de luxe… Et d’un coup, les soldes, le rabais, les prix sacrifiés, les liquidations totales, l’exil, le voyage, la séparation, le béton qui envahit la ville. Mais le Libanais, lui, reste, il reste comme «un mercredi au milieu de la semaine».
Nayla Rached
Les représentations de El Orb3a bNoss el Jom3a se poursuivent jusqu’au 2 décembre, les jeudis, vendredis, samedis et dimanches, à 20h30.
Billets en vente au théâtre Monnot (01) 421875 et à la librairie Antoine.
Fiche technique
Texte, mise en scène, scénographie: Betty Taoutel Sfeir.
Comédiens: Walid Abou Hamad, Josette Aftimos, Wadih Aftimos, Abdo Chahine, Hicham Khaddage, Jessy Khalil, Jacques Mokhbat, Andrée Nacouzi et Betty Taoutel.
Assistants à la mise en scène: Wadih Aftimos, Raymond Aftimos et Jamale Abou Hamad.
Production: Betty Taoutel et Saad Sfeir.
Conception éclairage et installation: Hagop Derghougassian.