«Ce qui nous importe, c’est la stabilité du Liban»
Alors qu’elle se trouvait en position de force sur la scène régionale et internationale depuis des années, la Turquie navigue aujourd’hui en eau plutôt trouble, en raison des bouleversements politiques et sécuritaires qui frappent ses voisins, notamment la Syrie et l’Irak et, plus récemment, la bande de Gaza. Magazine a rencontré l’ambassadeur de Turquie au Liban, Inan Ozyildiz, pour un tour d’horizon.
Le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan a accusé Israël de procéder à «un nettoyage ethnique contre le peuple palestinien» et de faire «souffler un vent de terreur au Proche-Orient». Le divorce entre Israël et la Turquie semble consommé depuis la dernière guerre de Gaza en 2008. Ces rapports tendus se répercutent-ils sur les efforts de la Turquie pour parvenir à un apaisement du conflit entre Palestiniens et Israéliens?
Le Premier ministre a tenu des propos très clairs depuis le début de l’agression israélienne sur Gaza. Comme vous l’avez mentionné, un certain désaccord existe entre la Turquie et Israël autour de la politique de ce dernier à l’égard des territoires palestiniens depuis la guerre sur Gaza en 2008 qui avait débuté, il faut le noter, immédiatement après le départ d’Ankara du Premier ministre Ehud Olmert et lors des efforts de médiation menés par la Turquie entre la Syrie et Israël. La déception avait alors été très grande en Turquie. Tout le monde avait observé les bombardements violents sur Gaza et le caractère disproportionné des combats et des destructions bien plus marquées dans les territoires palestiniens. Cette semaine, le Premier ministre Erdogan s’est entretenu avec le président américain Barack Obama en vue de parvenir à un cessez-le-feu, alors que les officiels égyptiens tentaient de convaincre les Palestiniens de l’importance d’un accord. Mais c’est avant tout à Israël de mettre fin aux bombardements disproportionnés des zones palestiniennes. Le ministre des Affaires étrangères, Ahmet Davutoglu, s’est également rendu aujourd’hui (mardi) à Gaza pour témoigner à la population palestinienne de la solidarité de la Turquie et contribuer aux efforts déployés pour un cessez-le-feu.
Des quotidiens libanais ont rapporté que le ministre libanais des Affaires étrangères, Adnan Mansour, qui présidait la réunion extraordinaire des ministres arabes des Affaires étrangères au Caire pour l’examen de l’agression israélienne contre Gaza, aurait empêché la Turquie de s’exprimer sur le sujet, sous prétexte qu’elle n’était pas un pays arabe. Quel impact aura cette décision sur les relations libano-turques?
Je ne suis pas au courant des détails de cet incident, si incident il y a eu.
Mis à part Gaza, la situation en Syrie reste un sujet d’inquiétude dans la région. Quel regard portez-vous sur la nouvelle Coalition nationale syrienne (CNS) formée au Qatar? Pensez-vous qu’elle puisse réussir là où le Conseil national syrien (CNS) a échoué? Dans quelle situation se trouve le régime du président syrien Bachar el-Assad?
L’opposition syrienne s’est renforcée en s’unissant à Doha. La formation de la Coalition nationale syrienne constitue une étape décisive dans les événements actuels. La Turquie a constamment appelé à la création d’une opposition unie, dans la mesure du possible, qui rassemblerait tous les groupes politiques. Cette Coalition représente un progrès important sur le terrain et elle a déjà reçu un accueil favorable, que ce soit de la part de la France, de la Turquie, des pays arabes ou de l’Union européenne. Tous ces pays ont reconnu la Coalition nationale comme interlocuteur légitime. Cela va entraîner un renforcement de la position de l’opposition syrienne et peut-être mener le régime Assad à envisager un type de solution autre que l’option militaire.
Cela veut-il dire que la Turquie et ses alliés seraient prêts à armer l’opposition syrienne?
Avoir pour objectif d’unir l’opposition ne veut pas dire forcément mener une guerre civile sans fin. La Turquie préconise avant tout une solution pacifique à l’instar de l’initiative de l’émissaire international pour la Syrie, Lakhdar Ibrahimi. Nous espérons pouvoir parvenir éventuellement à un accord entre les divers protagonistes syriens.
Cette approche traduit un revirement important dans la politique turque… La création d’une zone d’exclusion aérienne n’est-elle plus envisageable?
On ne peut pas vraiment parler d’un changement de politique, ce n’est pas le cas. La Turquie n’a jamais prêché une solution militaire en Syrie. Nous préférons aboutir à une solution concertée et à l’instauration d’un dialogue entre les diverses factions syriennes. Le Premier ministre Erdogan a tenté, au début de la révolution syrienne, de convaincre le président Bachar el-Assad d’amorcer un processus de réforme. Nous sommes malheureusement aujourd’hui dans une dynamique de guerre. Toutefois, une opposition consolidée, comme la Coalition nationale, a plus de chance de parvenir à une solution diplomatique. Pour ce qui est de la zone d’exclusion aérienne, la Turquie ne croit pas qu’elle puisse être le fruit d’une décision unilatérale. Une telle option dépendrait au final du Conseil de sécurité des Nations unies. La Turquie, d’ailleurs, s’est toujours abstenue d’entreprendre des actes unilatéraux en Syrie et elle agit de concert avec la Ligue arabe et la communauté internationale.
La crise en Syrie a laissé place libre à certains partis comme le PYD (parti de l’Union démocratique, lié au Parti des travailleurs du Kurdistan, PKK), une faction que vous considérez comme une organisation terroriste. Ce développement est-il suivi avec inquiétude par la Turquie, en raison, notamment, de la proximité de leurs bases de votre pays?
R. Le PYD, un allié du PKK, exploite le vide politique qui existe dans le nord de la Syrie. Nous souhaitons avant tout que la Syrie puisse rester unie et conserver son intégrité sociale et territoriale. Nous espérons que d’autres forces kurdes, plus modérées, pourront prendre le contrôle de la situation en coupant court aux ambitions du PYD.
C’est au tour de la Jordanie de faire face à des manifestations dénonçant de nouvelles mesures économiques impopulaires et une mauvaise gestion de la part de la monarchie hachémite de l’économie du pays. Pensez-vous que la Jordanie puisse suivre le même chemin que la Syrie?
Bien que la Jordanie soit confrontée actuellement à quelques problèmes, l’histoire du pays ne laisse pas présager une dégradation majeure de la situation.
Alliée indéfectible de l’Iran jusqu’au début des révolutions arabes, la Turquie s’est, depuis quelque temps, de plus en plus éloignée de son partenaire d’antan. Quel est l’état de vos relations actuelles?
Les relations de nos deux pays sont traditionnelles. Malgré l’existence de certaines divergences qui peuvent être dissipées par le dialogue, nous partageons des préoccupations similaires en ce qui concerne les développements régionaux. Les deux pays mènent aussi un dialogue sur tous les sujets actuels.
Quel regard portez-vous sur le gouvernement libanais actuel, notamment depuis l’assassinat du chef des services des renseignements de la police, le général Wissam al-Hassan? La Turquie soutient-elle la formation d’un gouvernement élargi comprenant certaines factions de l’opposition ou le maintien de celui du Premier ministre Najib Mikati?
Ce qui importe à la Turquie c’est le maintien de la stabilité, de l’indépendance et de la paix interne au Liban. Nous soutenons toute initiative en ce sens. Les institutions au Liban fonctionnent toujours et nous sommes certains que le Liban parviendra à trouver sa propre voie par un dialogue approfondi.
Qu’en est-il des neuf Libanais pris en otages en Syrie? La Turquie dispose-t-elle de nouvelles informations à ce sujet?
Nous savons que les otages sont en bonne santé et traités convenablement, nous avons bon espoir qu’ils seront libérés, la Turquie déployant tous les efforts nécessaires pour cela. Ce dossier est suivi de près par des responsables turcs. On ne sait toutefois pas quels sont les objectifs des ravisseurs, dont les demandes sont souvent confuses et excessives.
Propos recueillis par Mona Alami