Magazine Le Mensuel

Nº 2872 du vendredi 23 novembre 2012

Lieux de mémoire

La caverne de Monsieur Koudalakian

Alors que la carte postale ancienne est revenue à la mode depuis quelques années, l’Oriental Art Center de Koudalakian préserve toujours des milliers de photographies, lithographies et autres documents des siècles passés. Rendez-vous dans une boutique pas comme les autres, unique à Beyrouth.

En se baladant dans les ruelles de la capitale, on tombe toujours sur ces magasins, à la fois oubliés des foules et prisés de leurs habitués. Celui de monsieur Artin Koudalakian, fermé depuis plus d’un an dans la rue Makhoul parallèle à la grande rue Bliss, longe l’Université américaine de Beyrouth. Son rideau de fer couleur bordeaux toujours levé permet aux passants de s’arrêter devant sa devanture et de contempler d’anciennes photographies et lithographies de la région du Moyen-Orient.
Ce lieu jadis fréquenté par de hauts responsables, des ambassadeurs, des touristes… en quête de la mémoire du Liban et des pays voisins, a été fondé au début des années 50. Dans la caverne de Koudalakian rien n’a jamais vraiment changé. Les murs de la petite boutique sont tapissés de 1001 cadres, offrant gravures ou motifs arabes du XIXe siècle. Le bureau, à l’instar des commodes à multiples placards et tiroirs, croule sous le poids de documents en tout genre. Quant au plafond, il accueille des antiquités arabes en trois mots: l’«Oriental Art Center».  
Accroché en évidence, un vieil article du Daily Star revient sur l’histoire de monsieur Koudalakian. «Ce que vous voyez autour de vous, ce ne sont pas juste de rares photographies, lithographies et cartes, expliquait-il alors. C’est la mémoire vivante de notre histoire et la manière essentielle de préserver notre identité». Dans la famille, la photographie est une passion qui a su transcender les générations.
Son père, Toros, tenait déjà au début du XXe siècle un studio photo à Sin el-Fil. En digne successeur, Artin Koudalakian s’intéressa à l’art du cliché, alors qu’il était encore sur les bancs de l’école. Profitant de longues promenades sur le bord de la mer, il admire les paysages habituellement captés par l’objectif de son père.  
Agé de 85 ans, ce dernier est trop fatigué pour recevoir ses clients et fixer sa mémoire, c’est son fils, Viken, qui transmet son héritage et se rend, sur demande, au magasin. «Mon père est un grand collectionneur de cartes postales et d’anciennes photographies du Liban, précise-t-il. Il prenait également lui-même des clichés de Beyrouth avec ces grandes chambres noires sur trépieds, qui obligeaient l’utilisateur à se cacher la tête sous une couverture noire», se souvient Viken. C’est au fil de ses lectures sur l’histoire des pays arabes qu’Artin Koudalakian se prend d’intérêt pour les lithographies. Passionné par son travail, il les restaure en y magnifiant la couleur, leur redonnant ainsi vie et préservant l’histoire du même coup, cela dans le plus grand respect de l’artiste.
«Mon père adorait les antiquités, ajoute-t-il. C’est pour ça qu’il a décidé d’ouvrir cette boutique». Originaire d’une famille pauvre, jeune il n’hésitait pas à vendre le dimanche des montres au marché du Bourj. Artin travaille d’abord pendant vingt ans dans une librairie, rue Bliss, avant de réaliser son rêve et d’ouvrir son Centre d’art oriental dans un souci de préserver un riche héritage.
L’héritage, lui, est respecté et Viken Koudalakian est bien décidé à reprendre le flambeau de son père. «J’ai travaillé plus de vingt ans avec lui lorsque je revenais de l’école. Nous travaillions dans un studio à Bourj Hammoud pour développer les tirages, d’ailleurs les vieilles machines sont toujours en état de marche», assure-t-il.
Passionné également par la mémoire de Beyrouth, le fils n’a qu’un objectif, protéger l’héritage de son père, soit quelque 4400 documents. D’ailleurs, la plupart des archives précieuses ne sont plus dans la boutique mais consciencieusement rangées chez eux. Viken rêve de moderniser le classement des trésors de son père en les digitalisant pour en  faire prochainement un site et les exporter à l’étranger.
Fermé il y a donc un an, après le départ à la «retraite», de son emblématique gardien, l’Oriental Art Center pourrait bien un jour prochain ouvrir de nouveau, cette fois dans un autre quartier. Les propriétaires de l’immeuble semblant avoir pris la décision de détruire le bâtiment. Viken aura des difficultés à trouver un nouvel emplacement à Ras Beyrouth pour une raison de budget. Il pourrait bien s’installer à Bourj Hammoud.

Delphine Darmency

Oriental Art Center de Koudalakian
Rue Makhoul, Ras Beyrouth.
Photographies, lithographies, cartes et livres anciens.
Pour un rendez vous, appelez Stevak Karakouzian au 78 89 73 88.

 

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