Par la consécration cardinale du patriarche maronite, le pape Benoît XVI entend sacraliser la présence des chrétiens dans la région, conformément à la feuille de route adoptée par le Saint-Siège, édictée pour faire face à l’instabilité de la région et à la dérive communautaire du Printemps arabe. Elevé à la dignité de «prince de l’Eglise», Mgr Béchara Raï pourra-t-il un jour devenir pape?
En s’invitant ostensiblement aux cérémonies vaticanes – à Rome, les responsables du protocole s’en souviennent encore – le personnel politique libanais et ses gesticulations ont fini par dénaturer la véritable portée de la nomination du patriarche. Le fait que nos élus se soient battus de manière feutrée pour apparaître sur la photo avec le nouveau cardinal signifie aussi que le chef de l’Eglise maronite a su faire l’unanimité autour de lui. Il est le rassembleur, le visage d’une mosaïque communautaire qui brave les tempêtes régionales, le porte-voix déterminé d’une communauté éprouvée et encore menacée. Pour comprendre la signification du cardinalat du patriarche Raï, il faut se placer dans le regard du souverain pontife. Pour Benoît XVI, la nomination du prélat libanais couronne un mouvement qu’il a impulsé, il y a deux ans au dernier synode pour le Moyen-Orient, et poursuivi au Liban lors de sa dernière visite. Sur un plan historique plus large, elle s’inscrit dans la plus pure des traditions.
Formalité et reconnaissance
Interrogé par Magazine, le doyen de la faculté des Sciences religieuses (FSR) de l’USJ, Thom Sicking, explique que «la nomination de Raï est plus une formalité qu’une approbation politique. Pour moi, accorder le cardinalat au patriarche maronite est une façon de reconnaître sa position». Le collège cardinalice, qui regroupe l’ensemble des cardinaux, seuls habilités à élire le pape, comporte trois ordres qui établissent entre eux une hiérarchie. Dans l’ordre croissant, on trouve les cardinaux-diacres, les cardinaux-prêtres et en tête, les cardinaux-évêques. Depuis une ordonnance du pape Paul VI en 1965, les patriarches des Eglises catholiques orientales peuvent être nommés cardinaux. Le rang honorifique de patriarche se situe au moins au niveau des cardinaux-évêques.
Agé de moins de 80 ans, le cardinal Mar Béchara Boutros Raï fait partie d’office du collège des cardinaux électeurs. Si, dans les huit ans à venir, le pape devait abandonner ses fonctions, il aurait la possibilité de voter pour son successeur. Mais peut-il, lui, devenir pape? «Théoriquement, tout est possible, explique Sicking. N’importe quel chrétien peut devenir pape. Mais traditionnellement, ce n’est pas ainsi que ça se passe. Béchara Raï fait partie des électeurs possibles mais, à mon avis, il est très improbable qu’il soit élu pape. L’Eglise orientale est un territoire très particulier au vu du reste du monde. Dans l’Histoire, la grande majorité des papes est italienne. Cela a commencé à changer avec Jean-Paul II, un Polonais, à qui a succédé un Allemand. Pour l’instant, le pape est européen. Il pourrait être américain ou africain. A l’échelle de la planète, les fidèles de l’Eglise orientale ne sont que très peu nombreux».
La signification de la désignation de Mgr Raï est à chercher ailleurs, notamment du côté de ceux qui ont été nommés en même temps que lui lors du dernier consistoire. Benoît XVI cherche à bâtir une Eglise jeune, moderne, en phase avec son époque tortueuse. Après sa nomination, l’archevêque indien Baselios Cleemis est devenu, à 53 ans, le plus jeune des cardinaux. A 72 ans, Raï est même le plus âgé des derniers nommés. Autre signe fort, parmi les six nouveaux cardinaux, quatre sont confrontés à des conflits qui les concernent directement. L’archevêque de Bogota, Ruben Salazar Gomez, subit la rébellion des FARC; l’archevêque de Manille, Luis Antonio Tagle, fait face à une guérilla islamiste dans l’île philippine de Mindanao; l’archevêque d’Abuja, John Onaiyekan, est en première ligne des troubles interreligieux déclenchés par la secte Boko Haram au Nigeria et le patriarche maronite doit gérer le même type de situation. Tous jouent les conciliateurs et les messagers de paix dans leurs zones respectives.
Le guide des chrétiens d’Orient
«Par le cardinalat du patriarche Raï, je désire accompagner particulièrement la vie et la présence des chrétiens au Moyen-Orient où ils doivent pouvoir vivre leur foi librement», a solennellement déclaré Benoît XVI dans la salle Paul VI.
«Il apparaît clairement que Benoît XVI est très préoccupé par la situation globalement difficile des chrétiens d’Orient. Ceci étant, le Liban est, pour l’instant, le pays où les chrétiens ont encore le plus de liberté de mouvement. S’il veut parler aux chrétiens d’Orient, c’est ici qu’il vient», indique Sicking. C’est cela que Benoît XVI a tenu à sacraliser. Les «très bonnes relations entre Béchara Raï et le pape» sont l’un des moteurs essentiels des intentions de l’Eglise. Certes, le cardinalat du patriarche vient récompenser «la vision pluraliste du Liban» que les deux hommes ont en commun, voire la médiation politique du chef de l’Eglise maronite pour son pays. «S’il y avait de gros conflits au Liban, il n’aurait probablement pas été nommé cardinal», explique Thom Sicking. Mais c’est avant tout, selon lui, son action pour les chrétiens d’Orient que le cardinalat vient honorer.
«On l’oublie assez souvent, lorsque le pape est venu au Liban, son exhortation s’adressait avant tout aux Eglises d’Orient. Les prises de position du patriarche Raï montrent qu’il veut étendre son rôle sur l’ensemble des Eglises d’Orient. Il est allé dans les pays du Golfe, il voudrait aller en Egypte. Il estime avoir quelque chose à apporter pour le dialogue dans l’ensemble de la région». A ce titre, le cardinal libanais «a une voix à porter au sein du collège des cardinaux. Aussi petit que soit le Liban, le pays est très avancé sur la question du dialogue islamo-chrétien. Et au vu de la situation européenne, où il y a pas mal de défis à ce niveau-là, on s’intéresse de près à ce qui se passe au Liban».
La multiplicité des conflits qui embrasent la région sont des défis que l’Eglise prend très à cœur. Désormais coiffé de sa barrette rouge, de l’anneau et du titre de «prince de l’Eglise», Béchara Raï a une mission universelle à accomplir. De retour au Liban, faisant fi du fracas qu’ont causé ses propos sur la nécessité du non-report des prochaines élections, quitte à ce qu’elles soient organisées sous le régime de la loi de 1960, le nouveau cardinal a déclaré que «la place du patriarche est dans l’Eglise. Il n’est pas un chef politique et n’a pas d’ambitions politiques». Une mise au point salutaire.
Julien Abi-Ramia
Les papes orientaux
L’histoire de l’Eglise catholique est jalonnée de papes venus d’Orient. Le premier d’entre eux est Anicet, un évêque originaire de Homs, qui aurait régné entre 155 et 166. On a très peu d’informations sur le 11e évêque de Rome, le titre équivalant à celui de pape n’apparaîtra qu’au
IIIème siècle. On sait juste qu’il a conduit des négociations non abouties entre les Eglises de Rome et d’Asie pour fixer la date de Pâques.
Cinq siècles plus tard, apparaît Jean V, le premier chef de l’Eglise issu de la papauté byzantine, dont l’empire dirigé par Constantin IV se réconcilie avec la ville de Rome, qui élit le prélat né à Antioche. Deux ans plus tard, en 687, Serge Ier, également originaire d’Antioche, prend la suite. En 708, Sisinnus, né à Tyr, ne règnera que vingt jours. Lui succède Constantin, né lui aussi à Tyr. En 710, il se rend à Constantinople auprès du tyrannique empereur Justinien II pour régler des questions religieuses. Il y est accueilli en triomphe. Tentant de se rétracter, l’empereur est assassiné.
Le dernier oriental en date à avoir accédé à ces fonctions est Grégoire III, originaire de Syrie, qui régna de 731 à 741. Lui aussi, fera face aux intentions de l’empire byzantin.
Entre les maronites et Rome
«L’Eglise maronite est la seule Eglise unifiée. Elle ne connaît pas de scission entre catholiques et orthodoxes. Malgré quelques tensions dans l’Histoire, il y a toujours eu des relations très ouvertes, très bonnes entre le Vatican et l’Eglise maronite», explique Thom Sicking.
Apparu au IVème siècle avec saint Maron, l’Eglise maronite intensifie ses relations avec Rome au temps des Croisades. Elle professa ouvertement sa soumission au pape en 1182. Ces relations se relâchèrent sous la domination des Mamelouks (1291–1516) mais reprirent et se renforcèrent sous le régime ottoman. Le collège maronite de Rome, fondé en 1584, aida à la formation des évêques et de la hiérarchie.
Aux XVIe et XVIIe siècles, de nombreux éléments du rite latin furent introduits dans le rite maronite. Aujourd’hui, l’Eglise maronite compte 23 diocèses et deux vicariats.