Magazine Le Mensuel

Nº 2874 du vendredi 7 décembre 2012

ACTUALITIÉS

Palestine. Un Etat virtuel est né

Jeudi 29 novembre, l’Assemblée générale des Nations unies votait l’élévation de la Palestine au rang d’Etat observateur non-membre. Une dénomination qui concernait jusqu’alors le Vatican uniquement. A Gaza, Naplouse, Ramallah ou Jérusalem, les Palestiniens ont fêté la nouvelle. Le symbole est de taille, mais qu’est-ce que cela change vraiment?

Attention la Palestine observe. Vue comme ça, l’évolution n’est effectivement peut-être pas décisive. Mais associer dans une même résolution onusienne les termes Etat et Palestine, voilà qui est lourd de sens. Un sens symbolique, entendons-nous, parce que concrètement hormis la possibilité de faire appel aux organismes du grand  «Machin», l’ordre des choses ne se trouve en rien bouleversé.

Saisir la CPI?
Parmi ces organismes, on notera quand même que la Palestine pourra saisir –si la communauté internationale le décide et c’est un euphémisme de préciser que cela ne va pas de soi- la Cour Pénale Internationale (CPI). On se souvient que l’Autorité palestinienne avait déjà tenté de le faire sans succès en 2009. Riad Mansour, représentant de la Palestine à l’Onu a, d’ailleurs, évoqué la possibilité de saisir cette CPI si la colonisation juive se poursuivait, ou si, suite à l’exhumation d’Arafat, on venait à établir son décès par empoisonnement. Précisons tout de suite que l’autorité de ladite CPI n’est reconnue ni par les Etats-Unis, ni par Israël. D’autre part, ce qui est vrai dans un sens est vrai dans l’autre: les violences palestiniennes tomberaient également sous le coup d’une enquête de la CPI. De plus, en vertu de l’article 11 du statut de Rome qui la régit, la Cour ne devrait exercer sa compétence qu’à l’égard des seuls crimes commis  après l’adhésion de la Palestine. Autant dire qu’on imagine mal Israël au banc des accusés avant un petit bout de temps.
Preuve que Benyamin Netanyahu ne prend pas cette menace au sérieux, la colonisation s’accélère. En réponse au vote de l’Onu, le Premier ministre israélien a annoncé la construction de 3000 logements supplémentaires à Jérusalem-Est et en Cisjordanie. Les chancelleries occidentales ont bien fait quelques grimaces, mais aucune sanction ne devait être prise. Un journal israélien un peu zélé révélait même le possible rappel des ambassadeurs français et britannique en poste à Tel-Aviv. Ce qui, évidemment, n’a pas eu lieu, le président François Hollande ne souhaitant pas «entrer dans une logique de sanction». Les Occidentaux ont de ce point de vue un certain mal à joindre le geste à la parole. Si plusieurs pays sont sous l’emprise de sanctions commerciales et si très récemment le président du Parlement européen, Martin Schultz, évoquait la probable limitation de la coopération économique de l’UE avec la nouvelle Egypte de Morsi, Israël et ses colons jouissent encore de partenariats avantageux.

L’essoufflement d’Abbas
Toujours est-il qu’après plus d’une année d’intenses tractations diplomatiques, Mahmoud Abbas a finalement gagné son pari. Mais un pari au rabais, un an après le revers inéluctable de 2011. L’année passée, le leader de l’Autorité palestinienne se présentait face au Conseil de sécurité. Echec. A l’époque, le contexte était pourtant favorable. Economiquement, politiquement, tous les voyants cisjordaniens étaient au vert. Aujourd’hui, tout est différent. Abbas, qui ne représente déjà qu’une demi-Palestine, peine à asseoir son autorité au sein même du Fateh. Le Hamas, ultra-majoritaire à Gaza, devient l’interlocuteur incontournable pour ne pas dire majeur d’Israël. La crise budgétaire qui ravage l’économie ne résout rien. C’est donc en perte de vitesse que le leader de l’Autorité palestinienne a trouvé une solution intermédiaire. En lieu et place du statut de membre, ce n’est plus que celui d’Etat observateur que la Palestine revendique. Une procédure plus facile. Aucun veto autorisé. Et une victoire annoncée. Une volonté de se prouver qu’il a gagné quelque chose. Son dernier round?

Une large majorité
Concrètement, seuls Israël et un bloc ultra-atlantiste se sont opposés  à son initiative: quelques îles du Pacifique (Nauru, Palau, les îles Marshall et la Micronésie ont voté contre, l’Australie s’est abstenue), la partie européenne de l’ancien bloc communiste (abstention généralisée et opposition assumée de la République tchèque) et certains européens plus américains que l’Amérique (abstention de l’Allemagne et du Royaume-Uni). 138 pays «pour» parmi lesquels les pays arabes, la Chine, la France ou la Russie. 44 abstentions. 9 voix contre. Le point commun de tous ces votes, c’est d’être un soutien pour la paix. La France a voté pour «un pas vers la paix» (selon
Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères), et la Russie l’a imitée pour «faire passer un message en vue de la reprise du dialogue de paix israélo-palestinien». L’Australie ne s’est pas exprimée parce que sa politique «vise à soutenir une solution à deux Etats ainsi que la paix au Proche-Orient» (selon la Première ministre Julia Gillard), et l’Allemagne a fait de même «pour empêcher les conséquences négatives sur un processus de paix dans l’impasse» (selon G. Westerwelle, le chef de la diplomatie allemande). Israël comme les Etats-Unis ont voté contre tout en se positionnant «pour la paix» (dixit Netanyahu).
On peut remarquer aussi comme le regrette le ministre belge Didier Reynders, que «l’Union européenne n’a pas pu aboutir à une position commune sur un vote si symbolique».
Avec un brin de mauvaise foi, on pourrait presque affirmer que ce vote a surtout permis à certains gouvernements de se décerner un brevet de courage et de dignité. Un peu de bonne conscience pour excuser leur impuissance.

Et les accords d’Oslo?
Cette évolution est dépourvue de toute incidence sur la souveraineté de la Palestine et risque même de la «bantoustaniser». En clair, d’être utilisée comme carcan juridique pour acter de l’apartheid existant. Mais grâce à ce statut, la Palestine, qu’on aura toujours du mal à qualifier d’Etat tant qu’elle n’aura ni frontière, ni monnaie, ni armée, ni politique étrangère, confirme le consensus international en faveur de son indépendance. La Russie propose de recevoir à Moscou une grande conférence mondiale sur le Proche-Orient. Un pas qui en appelle d’autres? Si les 3000 logements prévus par Netanyahu sont bel et bien construits, il risque de ne pas y en avoir beaucoup. D’autant que le gel des colonisations est la condition sine qua non  côté palestinien pour revenir à la table des négociations. Le secrétaire général de l’Onu, Ban Ki-Moon exhorte Israël à renoncer. Selon lui, «les colonisations sont illégales et risquent de couper Jérusalem de la Cisjordanie. Si elles venaient à se concrétiser, elles porteraient un coup fatal aux dernières chances de garantir une solution à deux Etats». Pour la diplomatie israélienne, tenter de résoudre ces problèmes à New York plutôt qu’à Ramallah ou à Jérusalem est une «initiative néfaste pour le processus de paix et pour les Palestiniens eux-mêmes». En 1994, l’Autorité palestinienne est mise en place par les accords d’Oslo en vue de la création cinq ans plus tard de l’Etat palestinien. Dix-huit ans après, toujours rien. La coalition du Likoud de Netanyahou et des ultranationalistes d’Israël Beitenou étant pressentie pour l’emporter au mois de janvier, il ne faudra pas compter sur un changement à Tel-Aviv.

Peu de médias rappellent qu’il y a vingt-quatre ans presque jour pour jour, Arafat proclamait depuis Alger le 15 novembre 1988 l’indépendance de la Palestine. Si cela avait permis une quelconque avancée ça se saurait.

Antoine Wénisch

 


3 questions à Hilal Khashan
Hilal Khashan est professeur de Sciences politiques à l’Université américaine de Beyrouth.


 

Concrètement, qu’est-ce qui change pour les Palestiniens?
Mais il est évident que ce nouveau statut ne change absolument rien, a fortiori pour les populations. Il s’est passé la semaine dernière est une avancée purement symbolique.

On parle beaucoup de la possibilité qu’auront désormais les Palestiniens de saisir la Cour pénale internationale…
Cette possibilité s’apparente à un parcours du combattant quand même. Sur la scène internationale toutefois, les politiques israéliennes seront probablement scrutées plus attentivement. Les dirigeants de l’Etat juif seront soumis éventuellement à une plus forte pression. Mais regardez, cela n’empêche pas Netanyahu d’annoncer la construction de 3000 logements supplémentaires à Jérusalem-Est et en Cisjordanie. Et ces colonies, il va bel et bien les construire.

A New York, la grande majorité des Etats a voté en faveur de l’initiative Abbas. Est-ce une épine dans le pied américain?
Les Etats-Unis sont les premiers alliés d’Israël, ils ne pouvaient légitimement pas faire autre chose que de voter contre ce texte. Ils savaient qui plus est, qu’il allait obtenir les faveurs de la majorité. Leur avis n’était donc pas décisif. Il  ne demeure pas moins qu’Obama fera son possible pour relancer le dialogue de paix. Les deux premières années du second mandat américain sont toujours les plus libres pour le président américain. Si quelque chose peut être fait, il le fera. (Impossible ici de ne pas citer Churchill, «les Américains font toujours la chose juste, après avoir essayé tout le reste»).

Olmert à contre-courant
L’ancien Premier israélien Ehud Olmert a exprimé lundi dernier sa ferme opposition à la politique de Netanyahou. Depuis New York, il a estimé qu’il n’y avait aucune raison de refuser la demande de l’Autorité palestinienne. Il a également fait part de sa surprise quant à la décision de poursuivre les colonisations, «la seule chose qui était certaine d’offenser les dirigeants politiques américains». En quête de rédemption après avoir été contraint de démissionner en 2008 suite à des accusations de corruption, il devait annoncer ce mercredi s’il allait participer ou non aux prochaines élections du mois de janvier. Alors info ou intox?

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