Bien au-delà de sa communauté, c’est à la figure tutélaire du patriarche Ignace IV Hazim que tout un pays a rendu hommage cette semaine. Son successeur est appelé à poursuivre sa mission première en prônant la coexistence pacifique.
C’était l’une de ces figures lumineuses qui, par sa sagesse et son humilité, œuvrait à un monde meilleur. Ignace IV Hazim s’est éteint au moment où l’exigence de la coexistence est mise à mal par les événements de la région. Dimanche, la cérémonie organisée à sa mémoire à la cathédrale Saint-Nicolas de Beyrouth a réuni les plus éminents représentants de l’Etat. Etaient notamment présents le président de la République, Michel Sleiman, le Premier ministre Najib Mikati, un représentant du président de la Chambre Nabih Berry, aux côtés d’un grand nombre d’officiels, d’ambassadeurs, de patriarches et d’évêques grecs-orthodoxes et catholiques. L’office divin a été célébré par le vicaire patriarcal Esber Saba. L’oraison funèbre a été prononcée par l’archevêque grec-orthodoxe du Mont-Liban, Mgr Georges Khodr.
Le patriarche œcuménique Bartholomée 1er a mis l’accent sur le vide laissé par la disparition de Mgr Hazim, «notamment, dit-il, en ces temps durs que traversent le peuple syrien et la communauté grecque-orthodoxe» dans la région. «La personnalité du patriarche Ignace et son amour pour les fils de sa paroisse, ajoute-t-il, sont une source d’inspiration pour chacun de nous au double plan spirituel et moral, parce que nous avons pu tous voir en lui une incarnation de la vertu et du courage».
Le patriarche de Moscou et de toutes les Russies, Mgr Kirill, a salué le dévouement du défunt, en soulignant «l’action qu’il a menée pour défendre les principes de la coexistence pacifique entre les représentants des différentes communautés et cultures, et pour soutenir la cause de la paix au Moyen-Orient au moment où les Terres saintes étaient prises dans une spirale de violence». Tour à tour, l’archevêque Anastasios de Tirana et de toute l’Albanie et l’archevêque de Chypre, Chryssostomos II ont salué sa contribution à «montrer la vraie face des chrétiens dans le cadre du dialogue des cultures et des religions et à consolider la paix mondiale». Le représentant du pape Benoît XVI a salué «le témoignage d’amour et de foi» de Mgr Hazim, et «son dévouement en faveur de la réconciliation et de la paix entre les peuples».
Après lui avoir remis, à titre posthume, les insignes de l’Ordre national du Cèdre, le chef de l’Etat a rappelé la maxime que Hazim prononçait allègrement: «Même si l’Orient se déstabilise, le Liban reste inébranlable».
Le patriarche Ignace IV Hazim a été inhumé lundi dans la vieille ville de Damas, en la cathédrale de Marie, en présence de nombreux dignitaires religieux de toutes confessions, notamment du patriarche grec-catholique, Mgr Grégoire III Laham, du chef du Parlement syrien Jihad Laham et de plusieurs ministres. Plusieurs personnalités ainsi que des élèves des écoles chrétiennes de Damas ont défilé devant la dépouille du défunt, exposée dans la cathédrale pour lui rendre un dernier hommage. A la fin de la célébration, des prélats, accompagnés des scouts, ont porté le cercueil jusqu’au caveau des Patriarches, situé dans la cathédrale de Marie où Ignace IV Hazim a été mis en terre.
Au Liban, une messe a été célébrée à Balamand, l’une des places fortes de l’orthodoxie libanaise qu’il a largement contribué à fonder, pour le repos de l’âme du patriarche Hazim. L’office religieux a été présidé par l’évêque grec-orthodoxe de New York, Joseph Zahlaoui, en présence de l’archevêque du Bas-Danube, Mgr Casian, représentant le patriarche Daniel, chef de l’Eglise grecque-orthodoxe de Roumanie.
Sa disparition est une perte tragique pour les chrétiens syriens. Sur les 1.8 millions de fidèles chrétiens en Syrie, plus de la moitié sont grecs-orthodoxes. Déjà affaibli et malade, le patriarche Ignace avait élevé la voix contre toute intervention militaire étrangère en Syrie: «Les conséquences nuisibles de toute intervention étrangère dans nos affaires toucheraient aussi bien les chrétiens que les musulmans. La crise sanglante qui secoue la Syrie n’éloignera pas les chrétiens des musulmans». Un vœu pieux d’un patriarche qui aura été bien peu écouté dans le chaos ambiant.
Julien Abi Ramia
Qui peut prendre le flambeau?
Se pose aujourd’hui la question de la succession. Le vicaire Esber Saba a été élu au monastère de Balamand pour assurer l’intérim. Mais la disparition de Hazim a un impact incontestable dans la hiérarchie orthodoxe mondiale. Des quatre patriarcats les plus importants, ceux qui sont fondés sur des successions apostoliques directes, il y a d’abord celui de Constantinople, avec à sa tête Bartholomeos Ier, dont on ignore s’il pourra avoir un successeur, car à ce jour la Turquie maintient fermé le séminaire qui pourrait le former; le patriarcat copte d’Alexandrie, qui vient de voir Tawadros II accéder à la chaire de saint Marc, mais dont on ignore encore quel sera son rayonnement dans un pays sous le joug islamiste. Vient donc ensuite celui d’Antioche et celui de Jérusalem, dirigé par le patriarche Théophile III.
Les cinq autres patriarcats sont dans l’ordre: celui de Moscou, avec Kirill Ie, le patriarcat serbe avec Irénée, le siège de Daniel de Roumanie, le siège vacant depuis un mois de Bulgarie et celui d’Elie II, catholicos de Géorgie.
Clairement, le rôle de facto de leader de la communauté orthodoxe mondiale échoit plus que jamais au cinquième patriarche, celui de Moscou, qui multiplie voyages et gestes en faveur des communautés orthodoxes moyen-orientales. Aujourd’hui, le grand concile panorthodoxe, qui se prépare depuis plus d’un demi-siècle, ne cesse d’être repoussé. Mais la génération de patriarches qui disparaissent, peu à peu ces derniers mois, oblige la hiérarchie à se reconstruire.