Voilà 35 ans que l’association Sesobel caresse un rêve. Celui de faire accepter le handicap à la société libanaise et surtout faire que les différences ne créent pas de différends.
Mercredi 5 décembre, au centre de Sesobel de Aïn el-Rihani, on fête la Sainte Barbe. On entend des cris de joie venus de la salle de réception. Tous jouent le jeu: des animateurs aux petits écoliers, chacun s’est déguisé. L’excitation est dans l’air. Les étudiants de Sesobel se tiennent devant un public chaleureux et imitent de grands artistes arabes.
Alors que beaucoup de choses ont pris fin en 1975, c’est précisément alors que l’aventure de Sesobel débute. Comme un présage. Rien ne l’arrêtera dans sa mission. En 1975, Yvonne Chami, fondatrice du projet, arrive au Liban. Elle revenait du Viêtnam où elle a travaillé pendant six ans dans une maternité et un orphelinat. Au troisième étage de l’hôpital St Georges à Beyrouth, le professeur Ernest Majdalani a besoin d’une secrétaire en pédiatrie. Elle obtient le poste et ne met pas longtemps à constater que les enfants naissant avec un handicap ne bénéficient d’aucune prise en charge et que leurs parents se sentent isolés. Il n’en fallait pas plus à l’humaniste pour réagir à cet état et à appliquer la devise «ensemble l’impossible devient possible». «La société ne portait aucun intérêt à ces enfants, surtout pendant la guerre, explique Fadia Safi, présidente et cofondatrice de Sesobel. En 1976, nous avons constitué une équipe d’assistantes sociales pour faire de la prévention et faire un relevé des structures existantes au Liban sur ces thématiques. Il y avait des institutions pour les handicaps sensoriels, spastiques, en tout, une dizaine d’associations traitant d’un seul handicap à la fois, soit spécialisée dans l’éducation, soit dans la formation professionnelle». Sesobel était née. Une institution qui a ouvert grands ses bras protecteurs pour que les enfants à handicap physique ou mental ne soient plus oubliés et discriminés par la société. Un travail de titan.
«Sesobel agit sur plusieurs axes d’action pour ne laisser personne sur le côté de la route, affirme Gladys Aoun, attachée de presse de l’association. Nous nous occupons des enfants qui ne doivent pas être éloignés de leurs familles mais également de ces dernières pour qu’elles ne soient pas exclues de la société». Gladys a débuté à Sesobel en tant que bénévole, il y a plus d’une dizaine d’années, depuis impossible de la quitter. «L’Association a changé ma façon de voir la vie, affirme-t-elle. Les enfants donnent beaucoup plus qu’ils ne reçoivent».
Aujourd’hui, entre les services externes et internes, l’établissement s’occupe de 517 enfants et emploie plus de 200 spécialistes permanents. «Nous pourvoyons tous les services de l’enfant sur le plan médical, social, éducatif mais également au niveau de l’apprentissage et des animations existentielles, décrit Fadia Safi. Nous avons une grande bataille à mener. Il nous faut trouver des services adaptés à l’enfant mais aussi aider la famille, un temps discriminée et isolée, à retrouver une autonomie et une harmonie parmi ses membres. C’est notre première partenaire, il faut la soutenir». Des bilans de santé auprès des mères sont également réalisés en prévention, pour qu’elles puissent faire leur choix, en cas de seconde grossesse «à complications». «Il faut accompagner l’enfant dans son projet de vie, le soutenir dans les crises qu’il traverse et traversera, continue la présidente. Il doit arriver à lire, à s’exprimer, à s’habiller, à se laver, afin qu’il acquiert un maximum d’autonomie. Si l’enfant en a les capacités, nous le scolarisons. Nous avons mis en place, avec la bénédiction du ministre de l’Education, un programme d’intégration scolaire à l’école publique de Jezzine».
Sesobel a également créé un centre d’aide au travail pour permettre aux jeunes de plus de vingt ans d’accéder à une certaine indépendance personnelle et sociale. Aujourd’hui, le centre emploie trente-cinq jeunes tant dans les ateliers de chocolat, biscuits, couture, prépresse, hôtellerie qu’au service de l’association dans les secteurs du secrétariat, de la cuisine, des dépôts ou des espaces verts. «Nous invitons aussi les mères à travailler avec nous, souligne Fadia Safi. Il y a une très belle dynamique, elles sont plus à l’aise, discutent ensemble et s’entraident. Elles reçoivent un salaire minimum mais cette activité les sort de leur quotidien. Des formations professionnelles permettent aux mamans de travailler à la maison dans les domaines de la manucure, du maquillage, de la broderie ou encore de l’informatique».
Depuis un an, un projet d’hôtellerie a été mis en place en collaboration avec l’hôtel Phoenicia pour former des jeunes de Sesobel à l’accueil et notamment à la prise en charge des chambres. C’est ainsi qu’au 5e étage du centre, un véritable hôtel a vu le jour depuis février dernier, sous le patronage de Leila el-Solh, une auberge baptisée «3 Hearts Lodge», équipée en collaboration avec l’association Walid Ben Talal. «Nous avons pour l’instant neuf étudiants inscrits à ce programme, précise Nayla Tamer, responsable du lieu. Ils vont continuer leur formation ici pendant plusieurs années. L’auberge est dotée de cinq chambres en cours d’équipement qui ont déjà accueilli 62 visiteurs. Nous espérons que nos futurs clients nous permettront un jour de nous autofinancer», ajoute-t-elle.
En contrebas d’un bâtiment attenant, le Bazar de Sesobel accueille les clients de passage, désireux d’acheter quelques délices sucrés faits maison, ou autres cartes, imprimés et lingeries. Dans les escaliers des ateliers, un alléchant parfum de chocolat et de biscuits en cours de cuisine chatouille les papilles. Dans l’atelier chocolat, Yolla et une dizaine de femmes sont à la tâche, bientôt rejointes par une poignée d’élèves. «Avant de connaître l’association, témoigne Yolla, j’étais toute seule, ma famille n’acceptait pas mon fils Anthony. Depuis treize ans, Sesobel nous aide moralement et financièrement. J’ai rencontré d’autres femmes dans le même cas que moi. J’ai beaucoup appris de cette expérience. Je suis différente aujourd’hui. Anthony a grandi, poursuit-elle, je l’ai amené ici quand il avait quatre ans, il en a dix-sept aujourd’hui et s’est fait beaucoup d’amis. Sesobel, c’est ma famille, s’exclame-t-elle, et elle est extraordinaire». Dans une deuxième salle, c’est Gloria qui prend la parole. «Quand dans une famille, un enfant est handicapé, on fait le tour des structures existantes pour trouver la meilleure, assure-t-elle. J’aime Sesobel, ce n’est pas une association, c’est bien plus. Elle nous procure la joie, la paix, vous fait vous sentir important». C’est naturellement qu’elle décide d’aider l’institution en s’attelant aux ateliers. «Les enfants fabriquent les boîtes, mettent des stickers sur les chocolats, reprend-elle. C’est merveilleux de travailler avec eux, ils donnent une joie extrême». Puis la jeune mère de famille ajoute: «Si Sesobel disparaît, nous n’existerons plus». Perol et Thérèse, de jeunes apprentis, sont en plein travail. Thérèse, quelque peu intimidée par l’interview ne lâche pas son sublime sourire. Elle participe aux différentes étapes d’élaboration, aidée par «Tante» Nour, notamment au délicat enrobage des douceurs chocolatées. Perol, quant à lui, s’est pris au jeu des questions. «C’est très beau de travailler ici, j’aime beaucoup ça, explique-t-il. Au début je m’occupais de l’aménagement des espaces verts, mais finalement je me plais plus ici. J’aime tout le monde et j’ai beaucoup d’amis». Ce jeune trentenaire n’oublie pas de tenter ses invités par une dégustation de chocolat, offre très appréciée.
Pour faire vivre cette magnifique famille, les fonds sont nécessaires et malheureusement jamais suffisants vu les demandes croissantes. «Nos locaux deviennent très étroits, nos enfants grandissent et à chaque étape de leur vie, il faut les suivre, souligne la présidente. Que faire pour accompagner nos protégés jusqu’à la retraire? Se demande-t-elle. Nous avons besoin de toutes les contributions possibles pour poursuivre notre combat. Car nous avons nos limites, actuellement nous ne sommes pas financièrement à l’aise, déplore-t-elle. Nous avons arrêté provisoirement notre développement, pour le moment nous consolidons. Malgré tout, nous voulons finir la construction de notre centre pour autistes qui sera opérationnel d’ici trois à cinq ans selon nos finances». Il faut noter que près de 80% des familles sont nécessiteuses et que le prix moyen de scolarité d’un enfant s’élève à 7500$/an.
Sesobel, c’est un grand cri d’amour. «On les aime, on voudrait leur donner le maximum, confie Fadia Safi. Quand je les vois heureux, je suis très émue. Trente-cinq ans que je suis là et lorsque je rencontre les parents, je suis toujours très touchée. Je crois en eux. Je crois en leur place dans la société. En tant que croyante, je pense que ces enfants sont là pour humaniser la société. Nous sommes convaincus et nous essayons de les convaincre de leur importance et du fait qu’ils sont précieux, qu’ils sont capables, qu’ils ne sont pas là pour être assistés mais pour recevoir un service dont ils ont besoin et qu’ils peuvent offrir à leur tour et c’est souvent eux qui nous donnent le plus, assure-t-elle. Un jour, un de nos enfants m’a dit à propos de l’un de ses camarades: «s’il me donne son sourire, c’est déjà quelque chose».
Delphine Darmency
Engagez vous!
Vous pouvez faire un don, contribuer à une thérapie, parrainer un enfant, soutenir un projet, acheter les produits dans les boutiques Sesobel ou encore devenir volontaire.
Pour plus de renseignements:
www.sesobel.org, info@sesobel.org, tél: 09 233940/2.