Magazine Le Mensuel

Nº 2876 du vendredi 21 décembre 2012

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Birgitta Maria Siefker-Eberle. Le Liban dans la peau

 

A neuf ans, elle faisait sourire son entourage en clamant haut et fort qu’elle reviendra un jour vivre au Liban où elle a passé son enfance. Parole tenue. Elle est revenue une première fois à dix-huit ans faire ses études à l’Université américaine de Beyrouth (AUB), et elle est depuis mars 2009, ambassadeur d’Allemagne au Pays du Cèdre. Portrait de Birgitta Maria Siefker-Eberle.

Entre l’ambassadeur d’Allemagne et le Liban, c’est une longue histoire qui remonte au début des années 60, lorsqu’elle vivait avec sa famille à Hazmieh-Mar Takla. Son père était membre de la délégation allemande à l’ambassade. «Le Liban fait partie de mon enfance, j’y ai beaucoup de souvenirs. C’est dans la piscine du Carlton que j’ai appris à nager. Nous allions aussi sur la plage Saint-Simon, à l’Acapulco… J’ai également beaucoup voyagé dans la région. J’ai visité Amman, Alep, Palmyre, Damas et je connais tous les sites du Liban», se souvient Birgitta Maria Siefker-Eberle. Elle a toujours gardé en mémoire l’accueil chaleureux de ses amis libanais et leur hospitalité. «Cela m’a beaucoup manqué quand mon père a changé de poste. C’est à ce moment que j’ai décidé de revenir un jour vivre au Liban. J’avais neuf ans et cela faisait rire ma famille», dit-elle encore. C’est aussi à cette époque qu’elle a décidé d’apprendre l’arabe. «J’allais à l’école allemande sur la Corniche. Beaucoup de Libanais y allaient aussi. On y donnait deux fois par semaine des cours d’arabe auxquels j’étais la seule Allemande à y assister», confie l’ambassadeur.
Alors que sa famille se trouve en Turquie, elle décide de revenir au Liban en 1973 pour étudier l’histoire arabe à l’AUB. «Mon but était de décrocher un diplôme en Middle Eastern studies. Je ne pensais pas encore à la diplomatie», indique Birgitta Maria Siefker-Eberle. Ce fut ensuite le déclenchement des événements de 1975. «La situation ne faisait qu’empirer et après avoir vécu la guerre pendant cinq mois, mes parents ont décidé que je devais rentrer en Allemagne», dit-elle. Elle entreprend alors des études de Droit à l’Université de Bonn et intègre le ministère des Affaires étrangères où elle entame une carrière diplomatique. Elle occupe plusieurs postes, d’abord en Syrie, au Pakistan, en Suisse, avant d’être finalement nommée ambassadeur au Liban en mars 2009.
Pour Birgitta Maria Siefker-Eberle, être une femme diplomate au Moyen-Orient n’est pas plus difficile qu’ailleurs. «Par contre, reconnaît-elle, ce qui est difficile c’est de trouver un équilibre entre la famille et le travail». Elle est mère de trois enfants, deux filles et un garçon, Marie-Louise, Nikolaus et Karolin, âgés de 25, 24 et 23 ans. «Mon fils vit chez moi au Liban pour le moment, ainsi que l’une de mes filles qui suit un stage auprès du UNCHR (Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés) et celle qui vit en Allemagne, à Berlin, vient souvent ici», dit l’ambassadeur.

Passion et nostalgie
Quand elle parle du Liban, sa voix vibre. On y ressent toute la passion qu’elle porte pour le pays. «J’ai toujours eu la nostalgie du Liban. Les Libanais sont tellement hospitaliers et chaleureux. Même la nourriture m’a manqué et je suis très contente de l’avoir retrouvée», confie en souriant la diplomate. On comprend aisément son impatience devant la lenteur des réformes et de la reconstruction, elle qui a vécu l’âge d’or, cette fameuse époque où tout le monde s’accordait à qualifier le Liban de Suisse de l’Orient. «Je connais le pays depuis 1960 et je ne peux pas séparer les années que j’y ai vécues de mon impression d’aujourd’hui. Je suis d’autant plus critique que je savais ce que c’était auparavant. Je suis heureuse de voir qu’après tout le sang versé et tous les dégâts qui ont eu lieu, il existe un consensus entre Libanais pour ne pas rééditer cette malheureuse expérience. Je suis fière aussi de leur détermination à reconstruire le pays matériellement, socialement et psychologiquement», souligne Birgitta Maria Siefker-Eberle. Selon l’ambassadeur, malgré tout ce qui a été réalisé, il reste encore beaucoup à faire et le gouvernement a plus d’un défi à relever dans plusieurs domaines et en particulier celui de l’environnement et de la culture. «Le Liban possède un très bel environnement et un riche héritage culturel qui doivent être respectés et protégés. Beaucoup de destructions, qui n’ont rien à voir avec la guerre, ont eu lieu. Je me souviens des jardins et des escaliers qui existaient partout. Il n’en reste presque plus rien aujourd’hui. Tout a été remplacé par des immeubles modernes», reconnaît l’ambassadeur.
Ses multiples occupations et ses nombreuses activités sociales ne lui laissent pas beaucoup de temps libre pour pratiquer ses loisirs. Pourtant, Birgitta Maria Siefker-Eberle est une grande mélomane. Elle joue de la flûte traversière baroque connue également sous le nom de flûte allemande ou traverso. «Je jouais régulièrement mais c’est un instrument qui a besoin d’accompagnement. Depuis l’âge de quatorze ans, je chantais aussi dans une chorale, mais faute de temps j’ai arrêté de le faire». Elle aime aussi la lecture et le sport, mais avec modération, précise-t-elle. Ses sports favoris sont la natation, la marche, le hiking et le yoga. Il semble également difficile de croire que cette femme si dynamique, pleine de vie et d’énergie adore la couture. «J’aime faire quelque chose de mes mains. J’ai exécuté moi-même certaines de mes robes. Je n’aime pas faire des choses simples, je confectionne des robes du soir compliquées, des modèles de grands couturiers tels que Givenchy, Oscar de la Renta ou d’autres». Pour avoir vécu des moments difficiles, Birgitta Maria Siefker-Eberle a appris à se battre continuellement. Avec une force surprenante chez cette femme si menue, elle affirme que sa devise est de ne jamais renoncer: «Never give up!» conclut-elle avec vigueur.

Joëlle Seif 

Social Networking
L’ambassadeur confie qu’elle aurait souhaité avoir plus de temps pour se consacrer au social Networking. «Je considère que c’est un excellent moyen de communication, très utile pour transmettre vos idées mais nous sommes une petite ambassade et nous avons beaucoup de travail administratif, ce qui ne me laisse pas de temps pour faire autre chose. Mais je le ferai peut-être plus tard. Je ne suis pas sur Facebook non plus, alors que mes enfants y sont. Je préfère rester en dehors de cela car quelquefois les gens ont tendance à mélanger entre vie privée et vie professionnelle. Il est difficile quand on est ambassadeur de garder une barrière entre les deux vies. J’ai mon email personnel et cela me suffit amplement».  

Ce qu’elle en pense
-Le Printemps arabe: «Je pense qu’il est encore trop tôt pour savoir si le Printemps arabe a tenu ses promesses. Mais il est certain que le début de ce mouvement est prometteur. Je trouve fascinant, comment en un laps de temps si court, ce phénomène s’est étendu à tout le monde arabe. J’admire tous les Arabes qui y participent pour leur manière d’agir pour eux-mêmes et leur détermination. Il faut également reconnaître qu’il existe des différences entre les pays arabes au niveau du développement et qu’il reste encore beaucoup de difficultés à surmonter. Je pense qu’il est naïf de s’attendre tout de suite à une démocratie parfaite. On devrait faire preuve de plus de patience et donner à ces pays plus de temps. Il faudrait également veiller attentivement à ce que la redistribution des pouvoirs soit faite équitablement, en respectant le pluralisme».
-Crainte pour les chrétiens d’Orient: «La situation des chrétiens au Moyen-Orient est difficile. Il y a un danger en cas d’une guerre entre sunnites et chiites, car dans ce cas ils seront les perdants. Pourtant, les chrétiens sont forts. On ne peut pas imaginer le Proche-Orient sans leur existence. Ils ont toujours été là et font partie de la région. C’est ce que le patriarche maronite Monseigneur Béchara Raï ne cesse de répéter. Ce sont eux qui ont développé l’idée de la démocratie dès le XIXe siècle et ils ont joué un grand rôle dans la défense des libertés. Dans cette nouvelle situation créée par le Printemps arabe, ils peuvent retrouver ce rôle car ils sont acceptés et reconnus par les principales composantes des autres religions, puisque ce sont uniquement les fanatiques et les extrémistes qui les rejettent. Il faut plus d’assurance de la part des chrétiens. Ils doivent écouter les paroles du pape lorsqu’il dit: N’ayez pas peur. Je sais que c’est difficile et je comprends leurs craintes mais je crois qu’il ne faut pas avoir peur».
-Risque de guerre régionale: «Le risque est toujours là, on le sait. Toutes les parties sont appelées à faire preuve de modération. Je pense qu’une guerre dans la région aurait des conséquences tellement graves que personne ne voudrait assumer une telle responsabilité. Une guerre ne servirait les intérêts de personne. Il faut trouver une solution globale au conflit du Proche-Orient car tant qu’il n’y a pas de solution le danger sera toujours présent».

 

   

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