Au début des années soixante-dix du siècle dernier, une affaire défraie la chronique. Un prince saoudien poignarde un étudiant dans un bar à Beyrouth. Condamné à cinq ans de prison, il est libéré au bout d’un an après versement de dédommagements à la famille. Retour sur un épisode peu connu du public.
Le 16 décembre 1970, le neveu du roi Fayçal d’Arabie saoudite, le prince Abdel Mohsen Ben Saoud Ben Abdel-Aziz Ben Saoud, se trouve à Beyrouth. A l’époque, la capitale libanaise était une destination très prisée des membres de la famille royale saoudienne. Le prince passe la soirée dans un bar de la région de Hamra. Très vite, la situation tourne au cauchemar. Une bagarre éclate entre des clients et sous l’effet de l’alcool, le prince Abdel Mohsen poignarde un étudiant dans le dos. Le jeune Ali Eid est atteint à la moelle épinière. A l’hôpital, le diagnostic est catégorique: le jeune homme est paralysé à vie.
Une enquête est diligentée par le ministère public. Selon les témoignages, la responsabilité du prince saoudien dans l’incident ne fait pas de doute. Déféré devant la justice, il est condamné le 18 août 1971 par la Cour criminelle de Beyrouth à cinq ans de prison et à 600000 livres libanaises à titre de dommages et intérêts à sa victime paralysée. Le prince est, entre-temps, placé en garde à vue au sanatorium de Bhannés.
Un mois plus tard, le 21 septembre 1971, des commandos de choc tenteront une opération afin de libérer le prince. Elle sera vouée à l’échec. Cinq individus armés et masqués avaient essayé de pénétrer au sanatorium dans le but d’aider le coupable à fuir. Mais les Forces de sécurité intérieure (FSI), qui avaient pris toutes les dispositions, ont réussi à déjouer cette tentative. Des échanges de tirs ont lieu entre les agents de la sécurité et les membres du commando qui prennent alors la fuite. L’opération en est restée là et la garde est renforcée autour du prince.
Six jours plus tard, le roi Fayçal Ben Abdel-Aziz est à Beyrouth pour une visite officielle de trois jours. Il rencontre le président de la République Sleiman Frangié. Sa visite est prolongée de deux jours afin de rencontrer le leader de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), Yasser Arafat, qui se trouvait à Damas. La visite du roi saoudien à Beyrouth a lieu le 27 septembre 1971. Au menu des entretiens, la situation dans les pays arabes et le rôle des Palestiniens au Liban. Arafat rentre à Beyrouth, accompagné de Khaled el-Hassen et Mohammad Najjar (Abou Youssef). Le souverain saoudien rappelle au leader palestinien la nécessité de respecter la souveraineté libanaise. De fait, les Fédayins avaient multiplié leurs actions à travers le Liban, au cours de cette période, provoquant des menaces israéliennes.
L’affaire du prince Abdel Mohsen est également évoquée mais sans solution apparente. Toutefois, un compromis est mis sur les rails afin de réduire la durée de détention du prince qui, ayant agi sous l’effet de l’alcool, son crime n’était pas prémédité.
L’affaire traîne encore quelques mois. Les contacts avec la victime et ses parents finissent par aboutir. La partie civile ayant retiré sa plainte, l’affaire revient devant la justice. Le cas est réexaminé à la lumière de cette nouvelle donnée et le prince est condamné à un an de prison au lieu de cinq. Ayant passé plus d’un an derrière les barreaux depuis le jour de sa condamnation, il est libéré le 19 janvier 1972. Cependant, l’indemnité prévue est augmentée et passe de 600000 à 750000 L.L. afin d’offrir une compensation à la victime qui se trouve dans une situation délicate.
Aperçu historique
Les relations entre le Liban et l’Arabie saoudite étaient excellentes au début des années 1970. Riyad, tout en apportant une aide aux Palestiniens, affirmait son attachement à la souveraineté du Liban et appelait ces derniers à la respecter. La visite du monarque saoudien au Liban durant l’année 1971 est survenue quelques jours après des accrochages entre des Palestiniens armés et des Israéliens au Liban-Sud, surtout dans le village de Rmeich.
Arlette Kassas
Les informations de cet article sont tirées du Mémorial du Liban: Le mandat Sleiman Frangié de Joseph Chami.